S comme sociétal
La franc-maçonnerie libérale adogmatique s'ingénie parfois à être victime de la caricature que ses détracteurs font d'elle. Ainsi de ces "débats" que l'on se sent autorisés, voire "obligés" d'organiser dans une période comme celle-ci.
Entendons par "détracteurs" celles et ceux des francs-maçons pour qui il ne saurait y avoir de maçonnerie que "spiritualiste", déroulant ses travaux sur la Bible ou tout autre livre sacré et les plaçant "à la gloire" d'une transcendance, quelle soit-elle... Cette maçonnerie existe, c'est très bien car elle répond à leurs besoins. Qu'ils acceptent néanmoins qu'une autre puisse exister, souvent d'ailleurs antérieure à la leur, comme en France, en Belgique.
Ca ressemble un peu à cela : puisque nous sommes "sociétaux" alors montrons (leur) ce que que nous savons faire... Et sans bien savoir où placer les limites du travail maçonnique, on s'aventure sur le terrain miné des réflexions politiques, voire essentiellement politiciennes. Ce n'est pas notre job !
D'essence philanthropique, philosophique et progressive...
Notre maçonnerie sociétale repose sur ce "trépied", que nous répétons à chaque ouverture de travaux :
La franc-maçonnerie est une institution philanthropique (qui aime l'Humanité), philosophique (qui aime la Sagesse) et progressive (qui ne se confine pas dans le passé, qui procède sans à-coups).
Le travail maçonnique en loge nourrit l'ambition de "faire des maîtres-maçons", c'est-à-dire des femmes et des hommes sachant "maîtriser" leurs passions, sachant écouter, parler lorsqu'il le faut et ne pas le faire lorsque cela n'est pas indispensable à la progression d'un travail, ayant acquis suffisamment de connaissance de soi et des autres qu'il peut se mettre en situation de retransmettre sans dogmatisme, sans a priori, dans le respect des personnalités.
C'est qu'il ne s'agit pas de convaincre mais de réfléchir ensemble pour élaborer des voies, des pistes vers la réalisation des "idéaux de notre Ordre", comme nous y invite le célèbre article Premier de la Constitution du GODF.
Le temps politique, une autre problématique.
Une période électorale est, dans le meilleur des cas, un moment de confrontation de programmes, d'exposés de stratégies politiciennes, de déploiements d'arguments qui évitent rarement la polémique, voire la mauvaise foi, où l'objectif est de faire triompher son point de vue. D'ailleurs, les programmes, lorsqu'ils existent, sont écrits, imprimés et diffusés. Les écoles de formation politiques, lorsqu'elles existaient, avaient entre autres pour mission d'apprendre aux jeunes militants comment partir de l'argument de l'adversaire pour le faire arriver sur le sien, pour lui faire adopter la "ligne" définie par les instances dirigeantes.
Pas souvent d'éthique dans cet exercice où ce qui compte n'est que de convaincre, de faire adhérer. Un peu comme si on nourrissait le projet de nier l'existence même de la pensée de l'autre, certains régimes allant même jusqu'au bout de cette logique avec la déportation ou l'assassinat de leurs adversaires politiques.
On peut se laisser aller à rêver ce moment comme celui, au contraire, de la réflexion, où les propositions présentées par les candidats seraient mises en délibération collective, sorte d'agora d'où devrait sortir une orientation pour l'action comme fruit de cette délibération.
Au lieu de cela, les citoyens prennent de moins en moins le chemin des urnes, chaque scrutin rapporte le témoignage accablant que le modèle de la démocratie représentative est entré dans une crise profonde...
Vers quelle perspectives ?
Le franc-maçon ne peut pas se satisfaire d'un tel constat. Redonner de la vie à la démocratie, réapprendre le goût de la délibération collective, former à la citoyenneté n'est le travail de la franc-maçonnerie qu'à la condition de prendre les voies de la réflexion générale, "fondamentale" diraient les chercheurs scientifiques...
Le Grand Maître Christophe Habas en trace quelques unes dans ses interventions publiques. Comme à la Bellevilloise lors du dernier Salon Maçonnique du Livre ou, récemment, à Vierzon, à l'invitation de la loge "Les Amis de la Liberté".
"Il ne faut pas se laisser abuser, séduire par ces néo-populismes. Les partis politiques traditionnels en sont responsables. Ils ont perdu le lien avec les classes moyennes et les classes populaires et ont pris le parti d'une société qui s'atomise.Tous les partis confondus ont la même conception néo-libérale de la société. J'ai rencontré des candidats à la primaire de droite et de gauche : ils sont déboussolés, déconnectés"... "Il est temps, peut-être de passer à une nouvelle République"...
Sur la nécessité du débat public :
Pour nous, à travers nos valeurs philosophiques, humanistes, il s'agit d'amener ces thématiques dans le débat public et de se demander quel humanisme nous voulons pour demain ?"
Des mouvements se font jour pour dépasser l'humanisme classique. Le transhumanisme, en vogue depuis trente ans aux Etats-Unis, né dans la Silicon Valley, commence à trouver écho en Europe.
"L'Humanisme classique est dépassé et l'être humain est toujours en quête de perfectibilité. On peut faire sauter les limites biologiques du corps et créer une espèce nouvelle"... "Ce mouvement rationaliste, scientiste, technophile et philosophique vise à créer des cyborgs par l'accroissement des capacités mentales et physiques de l'homme et ce n'est pas de la science-fiction".
"Dans cette quête sans cesse renouvelée de liberté et de perfectibilité, l'homme ne risque-t-il pas de recréer, sans cesse, les conditions sociales et politiques d'une société individualiste qui trouvera toujours une parade consumériste et libérale ? "
La journaliste Céline Chouard, dans la conclusion de son papier sur cette réunion vierzonaise, pose cette question :
De quoi donner à réfléchir et à débattre aux francs-maçons qui se réclament de la philosophie des Lumières."
Notre pavé mosaïque.
Tel est effectivement le défi que les membres de la maçonnerie "sociétale" ont à relever. La tâche n'est-elle pas exhaltante et les thématiques, essentielles ? D'autant que les contextes européen et international ne préparent pas la sérénité dans l'épanouissement des principes humanistes...
Il nous faudra savoir prendre le bon chemin pour faire progresser, par delà les contradictions, l'élaboration de nouvelles propositions idéales susceptibles d'améliorer à la fois l'Homme et la Société.
Gérard Contremoulin
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