La franc-maçonnerie a-t-elle un genre ?
Parler d'obédience féminine, est-ce parler de franc-maçonnerie féminine ?
En ces temps où la féminisation du vocabulaire rituel se présente comme une revendication "féministe", voici un extrait de l'échange de commentaires avec Jean-Dominique Reffait qui s'est déroulé sur la page du groupe Facebook éponyme de ce blog à partir d'un article de "La Maçonne" :
Gérard Contremoulin : PERSONNE ne parle d'obédience neutre !
Je crois qu'il ne faut pas confondre franc-maçonnerie et obédience...
On peut ne pas partager les combats des organisations féministes mais on ne peut pas nier leur existence de même qu'on ne peut pas nier la légitimité des obédiences féminines, masculines ou mixtes, en tous cas pas moi.
Mais la franc-maçonnerie en tant que telle n'est ni l'une ni l'autre ni l'autre encore : elle est, point barre !
Chacun la vit selon ses préférences, concrètement dans sa loge et dans son obédience, ce qui ne remet pas en cause son caractère universel, du moins dans la franc-maçonnerie libérale.
Jean-Dominique Reffait : Les rituels sont évidemment genrés, c'est une évidence historique : un métier d'homme repris symboliquement par des hommes pour constituer une association d'hommes selon des problématiques relevant à l'époque des hommes. Pas de révisionnisme historique, ça ne sert pas la cause.
Les femmes ont souhaité intégrer ce processus créé dans un contexte exclusivement masculin. Si l'on tient à définir une franc-maçonnerie féminine, il faut alors admettre qu'elle est l'imitation d'une franc-maçonnerie masculine. Délicat pour le féminisme, non ?
Si nous partons, au contraire, de l'idée que la franc-maçonnerie s'est créée dès l'origine sur la notion d'universalité, les choses prennent une autre allure. Il ne s'agit pas d'une maçonnerie masculine mais universelle, à l'époque où l'universel social était conçu comme masculin. Ce concept d'universalité s'est ouvert progressivement aux juifs, aux noirs. En 1944, le suffrage universel s'est ouvert aux femmes, la société a intégré que l'espace social ne pouvait être universel sans les femmes. La franc-maçonnerie n'a pas changé sa nature universelle, c'est l'espace de l'universalité qui s'est élargi.
L'organisation obédientielle est une organisation privée, qui n'entre pas, stricto sensu, dans le cadre de la société civile. Les obédiences pouvaient donc se maintenir dans un statut monogenre sans remettre en question la vie de la société. Cependant, les femmes tenaient à s'approprier cette invention masculine et l'ont fait, par le biais d'obédiences mixtes et féminines. Cette création n'est pas le fait d'un enthousiasme mais du dépit de se voir fermer la porte par les obédiences historiques. Droit Humain et GLFF se sont créées faute de mieux (Ne hurlons pas, c'est juste l'histoire).
Il ressort donc qu'en parlant de franc-maçonnerie féminine, on parle d'un ersatz de la maçonnerie historique.
Les précurseurs de DH avaient bien compris cela : ils n'ont pas modifié les rituels, ne les ont pas féminisé, ils se sont inscrits dans l'universel, tel qu'il avait été compris et tel qu'il avait évolué.
La meilleure preuve que la franc-maçonnerie n'était pas plus masculine hier qu'elle n'est devenue mixte aujourd'hui, c'est que l'entrée des femmes au GODF n'a fait l'objet d'aucune modification de la moindre virgule du réglement général et des rituels ! Pas besoin ! Parce que le GODF, constitué universel dès le départ, ne s'était jamais identifié comme masculin. Mieux : à chaque convent, l'entrée des femmes était refusé mais en même temps les résolutions qui voulaient définir le GODF comme masculin étaient également rejetées.
Ainsi donc, pour ce qui est du GODF, dont l'évolution est intéressante de par sa durée dans le paysage maçonnique, le concept d'universalité a repris force et vigueur lorsqu'une simple interprétation du réglement a constaté que rien ne s'opposait à l'entrée des femmes. Le GODF n'est pas devenu mixte, il est redevenu universel.
Je conclus que la référence à une franc-maçonnerie féminine est un signe de subordination à la maçonnerie inventée par des hommes pour des hommes, ce qui ne correspond pas à l'intention universelle des créateurs et qui instaure, de surcroit, une forme de sexisme désobligeant à l'égard des femmes puisque la maçonnerie féminine serait sémantiquement un avatar réducteur de la franc-maçonnerie.
Pardon d'avoir été long.
Une intervenante : presqu'entièrement ok avec toi Jean-Dominique, il y a juste un point qui me chiffonne : la symbolique des constructeurs, par définition plutôt "masculine" puisqu'il s'agit d'outils plus essentiellement utilisés par eux-mêmes à partir du 18ème, n'était pas dévolue aux hommes exclusivement aux différentes époques médiévales. Les femmes travaillaient aussi en Loge, sur les chantiers. Je pense que c'est plutôt le regard et la connaissance "moderne" que nous avons de cette culture aujourd'hui, qui nous fait "classer" cette symbolique comme essentiellement masculine. Si je me trompe, explique moi!
Jean-Dominique Reffait : Les femmes dans les métiers stricts du bâtiment étaient marginales : elles étaient sur les chantiers dans des activités féminines, dans la mesure où les ouvriers habitaient sur place (cuisine, blanchissage, commerce). Les femmes gravitaient donc dans l'économie générale d'un chantier mais n'exerçaient pas les métiers directs du bâtiment.
On fait grand cas de mentions de certaines femmes "maîtres de loge" au Moyen-âge. Le maître est un patron d'entreprise qui doit transmettre son patrimoine à ses héritiers. Dans la très grande majorité des cas, quand il n'a pas de garçon, il marie sa fille à celui qui lui succèdera. La fille n'intervient pas dans le métier mais reste propriétaire de la charge héritée de son père et reste membre de la guilde, comme toutes les épouses. On connait ainsi des représentations graphiques où la future épouse transmet à son mari les outils de son père. (J'avais une telle représentation, je vais la rechercher) Dans quelques rares cas, la fille, plus exigeante, plus maline, plus proche de son père, apprend le métier : ce sont des exceptions telles Jeanne d'Arc dans l'armée. Mais elle ne doit alors pas se marier, sinon, c'est fini (une femme bourgeoise dérogerait en travaillant). Ce fut le cas de Sabina von Steinbach, sculptrice à Strasbourg.
Je ne dis pas pour autant que le symbolisme du métier est masculin mais que ses inventeurs sont des hommes, ce qui n'est pas pareil. Tout ce qui est pensé ou créé par un être humain n'est pas marqué par son sexe. Ce qui est sexué, c'est le choix du métier de référence : le bâtiment et pas la lessive, la franc-maçonnerie et pas la franche-blanchisserie. Parce que ce sont des hommes qui se sont inspirés d'un métier d'hommes pour créer la maçonnerie. Mais les outils maçonniques ne sont pas spécifiquement sexués mais pratiques ! Peut-être peut-on inférer de la différence musculaire qu'un maillet inventé par une femme aurait eu une forme ou une masse différente, avec un mouvement différent pour s'en servir, possible. C'est l'impératif pratique qui commande et rien de sexué là-dedans.
Et vous, qu'en pensez-vous ?