La tentation du mur...
Tout mur de séparation n'a-t-il pas d'autre vocation que de chuter
Peut-on être membre de plusieurs obédiences ? Est-ce une décision personnelle ou existe-t-il des interdits ?
La franc-maçonnerie, "institution essentiellement philosophique, philanthropique et progressive", particulièrement marquée en France par son apport à la construction de la République, conduit à penser que ses membres peuvent choisir d'appartenir librement à telle ou telle obédiences, voire à plusieurs à la fois. Seule l'autodétermination de la franc-maçonne ou du franc-maçon devrait présider à son ou à ses choix. Tel n'est pas toujours le cas !
Se protéger...
C'est ainsi qu'en matière initiatique aussi, une sorte de réflexe d'autoprotection existe... Certaines obédiences n'échappent pas à la tentation de pratiquer l'interdit. Elles élèvent des murs comme pour se rendre imperméable à l'altérité ! Les arguments sur lesquels reposent ces interdits sont toujours les mêmes : spécificité de la démarche maçonnique, régularité, croyance en Dieu, genre.
Par étapes.
Plusieurs niveaux peuvent être observés dans l'interdiction selon la qualité du franc-maçon... Ils vont de l'exclusion pure et simple à la possibilité de partager certains des travaux en "visiteur". En passant par des degrés intermédiaires tel que l'impossibilité de partager tous travaux rituéliques ou seulement certains d'entre eux.
Sur fond de respect de la Régularité, la Grande Loge Nationale Française ne reconnaît en France actuellement (cf. les débats sur la CMF) aucune entité maçonnique en dehors d'elle-même. N'est franc-maçon à ses yeux que les hommes (à l'exclusion des femmes) qui ont été initiés en son sein. Et en écho, ses membres ont l'interdiction de rendre visite à tout autre obédience. On retrouve la même exigence vis à vis des soeurs chez les obédiences issues de la crise de la GLNF : la Grande Loge de l'Alliance Maçonnique Française (GL-AMF), la Grande Loge Indépendante de France (GLIF) et la Grande Loge Traditionnelle Française (GLTF). Au moins cela a-t-il le mérite de la clarté...
Un peu moins claire mais tout aussi forte est l'interdiction à la Grande Loge de France d'accueillir des Soeurs lors des travaux initiatiques. Mais son histoire l'accompagnant et notamment les loges d'adoption (loges féminines), la GLDF a mis au point un rituel de substitution pour accueillir les Soeurs. Un cérémonial édulcoré de certains éléments initiatiques et de certains décors (le tablier, les gants), a été établi. Il lui donne la possibilité (et probablement l'illusion) de "travailler" avec les Soeurs et de "reconnaître" l'initiation féminine.
La situation se complique dans le cas des relations interobédientielles avec les obédiences mixtes et notamment avec le Droit Humain...
S'il s'agit de travaux "solennels" et, s'ils se déroulent au siège de la GLDF, il est demandé au DH de ne composer sa délégation que de Frères... Le caractère inamical et peu fraternel d'une telle demande conduit la GLDF à préférer transformer de tels travaux en simple réunion sans forme maçonnique. C'est le cas notamment des travaux de clôture de son Convent.
A ostracisme, ostracisme et demi.
Les Soeurs de la Grande Loge Féminine de France ne peuvent évidemment pas visiter les obédiences n'acceptant pas de Soeurs dans leurs travaux initiatiques : la GLNF, les obédiences qui en sont issues et la GLDF, notamment.
Mais, victime de ce qui est un véritable ostracisme maçonnique, la GLFF édicte à son tour un interdit, celui de la double appartenance de ses membres avec le ... GODF ! Mesure d'autant plus surprenante qu'elle l'autorise avec le DH et que le GODF ouvre largement les portes de ses temples aux francs-maçons, Soeurs et Frères, sans qu'il leur soit nécessaire de prouver autre chose que leur qualité maçonnique !
De sorte que les Soeurs qui souhaitent être membre d'une Loge du GODF sont tenues de démissionner préalablement de la GLFF et de rompre ainsi les liens qu'elles ont tissé au sein de leur loge-mère. Cette disposition qui se veut dissuasive s'apparente encore plus à une mesure vexatoire, bien peu fraternelle.
Si bien que ces obédiences en proclamant le caractère universel de la franc-maçonnerie pratiquent en fait exactement le contraire.
Le temps n'est-il pas venu, à l'ère d'internet, de faire tomber ces "fortifications" ?Si l'on souhaite que la franc-maçonnerie soit réellement universelle, pourquoi laisser subsister ce genre de dispositif sélectif ?
La franc-maçonnerie, pour porter les idéaux des Lumières, doit pouvoir s'ouvrir à toutes les pensées, à toutes les pratiques qui placent l'émancipation de l'Homme comme centre de la préoccupation. "Sapere aude : Aie le courage de te servir de ton propre entendement !" Telle est la devise des Lumières !
Se référer à la franc-maçonnerie du Siècles des Lumières peut-il s'accomoder de l'érection de ces murs qui séparent les femmes et les hommes "de bonne volonté", ces bénévoles de l'émancipation humaine ?
Tout mur de séparation n'a-t-il pas d'autre vocation que de chuter...
Gérard Contremoulin
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