Communication et franc-maçonnerie : le secret maçonnique.
Dans le cadre de la "Guilde des blogueurs maçonniques", nous sommes convenus de publier tout au long de cette semaine, à la manière d'un "tour de garde", quelques réflexions sur le secret maçonnique.
Et notre Frère blogueur Noé Lamech est toujours parmi nous...
Voici ma contribution.
Communication et franc-maçonnerie
(Il s’agit là d’un extrait d’un article paru dans la Revue Critica Masonica n°3)
L’apparition d’informations sur la franc-maçonnerie est aussi vieille que la franc-maçonnerie elle-même. La première « divulgation » d’un contenu maçonnique date de 1723[1] à Londres. En 1742 sera éditée la gravure ci-dessus représentant une procession[2] maçonnique.
Depuis le 18° siècle la volonté « d’extériorisation » est quasiment consubstantielle à la franc-maçonnerie. Lorsqu’elle est le fait de profanes, c’est le plus souvent sur la base d’une intention peu favorable.
De l’extériorisation à la communication.
La notion d’extériorisation correspond aux informations que les Francs-maçons s’autorisent à rendre publiques à l’extérieur des temples. Divers supports existent. Les musées maçonniques rassemblent des collections de gravures, bijoux et décors des différents grades, mais aussi tous objets ayant trait à l’exercice du travail maçonnique. Différentes publications portent à la connaissance des profanes des témoignages, des récits, des rituels, des représentations illustrées puis imagées de ces mêmes travaux ; enfin la télévision a permis de rendre à ces objets, à ces documents un peu de leur contexte et de leurs fonctions.
Autoriser la diffusion d’un tel contenu doit faire l’objet d’une délibération attentive, nous verrons pourquoi.
L’arrivée massive dans les années 80 des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), appellation qui sonne déjà comme une relique, a bouleversé les pratiques et a précipité les obédiences maçonniques dans un monde de communication à l’égard duquel elles sont restées légitimement très méfiantes. Aujourd’hui, la massification de l’utilisation des smartphones et des tablettes opère une transformation radicale de notre rapport à l’information et d’une manière générale à toute notion de confidentialité.
C’est dans ce contexte que les obédiences maçonniques peinent à définir leurs propres positionnements par rapport à la communication, celle qu’elles diffusent et celle dont elles sont l’objet.
L’information et de la communication en franc-maçonnerie.
Entendons-nous sur ces deux termes qui finalement renvoient chacun à des modèles de transmission très hétérogènes, voire contradictoires. Outre les nombreuses études qui ont été faites sur ces thèmes et qu’on lira avec bénéfice, je retiendrai deux définitions.
L’information est une donnée ou un ensemble de données transmis d’un point à un autre. Cette transmission vise à fournir au récepteur des éléments descriptifs, analytiques, documentaires qu’il traitera. Ils sont susceptibles de le faire réfléchir, de stimuler son esprit critique, pour lui permettre d’acquérir, de connaître et de choisir.
La communication est la transmission d’informations traitées préalablement pour constituer un ensemble cohérent de données. Cette transmission vise à construire, induire ou transformer une opinion, une image sociale relative à l’entité qu’elle traite (produit, marque, objet, entreprise, groupe) dans la perspective de favoriser une opinion-type, positive ou négative, mais toujours orientée.
On pourrait donc souhaiter que toute expression concernant la franc-maçonnerie ne procède que du domaine de l’information. Nous en sommes loin. Car la nature de la franc-maçonnerie suscite chez les profanes une réaction irrationnelle, fantasmatique où le franc-maçon fait souvent figure de bouc émissaire.
Répandre au dehors…
Les francs-maçons sont confrontés à une contradiction de plus en plus prégnante entre l’engagement qu’ils prennent de « répandre au dehors (du Temple) les vérités acquises » et l’obligation de la discrétion.
Communiquer ou pas ? La franc-maçonnerie, dans le cadre qui est le sien, n’échappe donc pas à ce dilemme. Il suscite à différents niveaux des interrogations quant à sa pertinence, voire des craintes sur « le trop dire ou le mal dire ».
Un exemple souvent cité est celui du Grand Orient de France où l’exécutif et en premier lieu le Grand-Maître sont l’objet de deux critiques diamétralement opposées. La première dénonce tout acte de communication au motif que l’on n’a pas été consulté ; la seconde dénonce au contraire le silence du Grand-Maître sur tel ou tel point d’actualité, jugé particulièrement essentiel. L’importance des sujets traités fait varier la proportion de ces deux blocs à l’avantage de l’un ou de l’autre.
Il en résulte une grande incapacité à mettre en place à la fois une stratégie et un dispositif de nature à fournir une réponse à la hauteur de l’enjeu.
Le secret maçonnique
Accepter de dire à l’extérieur ce qui se déroule à l’intérieur repose sur une évolution de la règle qui encadre le respect du secret maçonnique.
Depuis 1723, ce qui concerne la franc-maçonnerie a pour ainsi dire été « dévoilé ». La quasi-totalité des textes maçonniques, rituels compris, ont été publiés[3] maintes et maintes fois. L’initiation a fait l’objet de reportages[4], malgré le problème manifeste posé au regard du caractère « intime », certains diraient « sacré », de cette cérémonie.
De sorte que la notion de secret maçonnique, jusque-là conçue dans une acception touchant la presque totalité du champ maçonnique, se resserre sur quatre aspects principaux. Le secret d’appartenance, je ne peux révéler la qualité maçonnique de quiconque. Le secret des propos tenus en Loges, de sorte que chacune et chacun se sentent parfaitement libres de parler. Le secret dit « du mot de maçon » ou traditionnel qui concerne les signes et mots spécifiques de reconnaissance, largement décrits dans la presse. Et enfin « mon » secret qui concerne l’intimité que chaque franc-maçon vit en Loge et qu’aucun mot ne peut révéler. Il est en fait le seul secret réel. Et il y en a autant que de francs-maçons.
Ne dit-on pas de la franc-maçonnerie qu’elle est une société plus discrète que secrète ?
Les NTIC
Cette discrétion se confronte, à son tour, à une autre réalité, née des nouvelles pratiques de communication entre individus. Le maçon, qu’il le veuille ou non, est face aux contraintes de la diffusion par internet comme il l’est dans sa vie profane. Les risques encourus sont liés à l’oubli des règles élémentaires de prudence liées à l’outil informatique.
Car si le questionnement porte aujourd’hui sur les relations d’extériorisation plus que sur la communication interne, c’est sur cette dernière que le risque apparaît. Alors qu’elle a longtemps eu le papier comme support et la confidentialité de l’enveloppe fermée et du destinataire unique, elle se trouve aujourd’hui confrontée à une utilisation qui peut la remettre en question. La diffusion de messages envoyés à tout va, de listes non cachées, l’abolition du cadre de langage formel, la non discrétion des propos tenus est sans doute le risque encouru le plus flagrant.
Et il n’est pas rare que tout en l’acceptant pour des raisons pratiques, le maçon n’en continue pas moins à s’insurger contre les risques et les dangers de l’informatique. Un paradoxe de plus dans la vie maçonnique.
Une accélération du temps.
Les NTIC nous ont obligés à entrer dans le XXI° siècle à Très Grande Vitesse, ce qui n’est pas aisée pour la franc-maçonnerie qui prend toujours son temps.
L’accomplissement d’une tâche maçonnique n’est pas soumise à la même échelle de temps qu’un acte de la vie quotidienne, en tous cas pas à l’immédiateté.
La multiplication des supports, un atout et une difficulté.
La multiplication des supports de l’information joue un rôle important pour sa diffusion. Ils peuvent à la fois ouvrir des perspectives de choix et la diversité des sources permet de présenter des visions analytiques, complémentaires, d’une même réalité. Mais aussi altérer la capacité à trier, hiérarchiser cette masse de données au développement exponentiel, véritable Tsunami d’informations.
Cette difficulté se rencontre par exemple lors du traitement, de sondages qui agissent comme de véritables outils de fabrication de l’opinion. On se réfère à l’opinion réputée majoritaire qui sort du sondage, d’où l’on tire quelques abscondités. C’est ainsi que l’on parle de « la demande sociale », de « l’opinion des français », de cette fameuse « ménagère de moins de 50 ans » ou du « français moyen ». Alors, parlera-t-on du « franc-maçon moyen » ?
Un projet politique, oser l'extériorisation.
Le franc-maçon et la société, des approches différentes de l’extériorisation.
Si l’on se réfère à la franc-maçonnerie de la fin du XIX° et celle du début du XX° siècles, on remarquera une réelle extériorisation des idées et des combats : les Communards, Thirifock (GLDF) et Louise Michel (GLSE) ; les partisans de la liberté de conscience, Frédéric Desmons (GODF) ; les partisans de la mixité en franc-maçonnerie, Maria Deraismes et Georges Martin (GLSE puis DH) mais aussi Frédéric Desmons, les fondatrices de l’Union Maçonnique Féminine, première entité préparant la GLFF ; la création du Parti républicain radical et radical socialiste par 130 loges du GODF ; Gustave Mesureur (GLDF), qui en sera le premier président ; la séparation des églises et de l’État, Aristide Briand (GODF)...
La question de la place du franc-maçon ne se posait pas. Il était dans le combat, quelle que soit son obédience.
Aujourd’hui une partie de la franc-maçonnerie s’interdit tout travail sur la société et considère comme une injure le fait d’y agir en tant que franc-maçon, comme en témoignent certaines diatribes sur Facebook, à propos de sujets d’actualité (la crèche Baby Lou, le Mariage pour tous).
L’extériorisation révèle les différences entre les obédiences.
Les Landmarks[5] et surtout les « basic principles[6] » interdisent de traiter de sujets religieux ou politiques. Dans cette conception, les affaires de la Cité, sujets éminemment politiques, sont donc inabordables en loge.
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Toute transmission fait alors l’objet d’un tabou. Une position paradoxale entre la nécessité de répandre au dehors les vérités acquises et le respect absolu du serment maçonnique.
La franc-maçonnerie a perdu beaucoup de sa faculté à la parole publique. Elle a surtout pris un tournant spiritualiste sur fond de respect d’un symbolisme rituéliste tout à fait nouveau et prétendument « régulier ».
Faudrait-il d’abord s’améliorer soi-même avant de songer à améliorer la société, position spiritualiste des obédiences régulières à laquelle la GLDF s’identifie ou bien considérer qu’il faut mener de front la démarche initiatique intime (s’améliorer soi-même) et l’engagement citoyen (agir dans la société), comme cela se pratique chez les obédiences libérales-adogmatiques et notamment au GODF ?
J’ai néanmoins la conviction qu’il n’y a aucune raison pour un franc-maçon de se taire. Surtout s’il s’agit de contribuer à tarir la source à laquelle se nourrissent les auteurs, journalistes, reporters, photographes, contempteurs, voire détracteurs de la franc-maçonnerie.
[1] A mason's examination » (« Le tuilage d'un franc-maçon »). Il s’agirait de la plus ancienne divulgation éditée selon Philippe Langlet « Les Textes fondateurs de la franc-maçonnerie », Dervy 2006, p. 265
[2] Gravure satirique représentant des francs-maçons où l’on peut distinguer les principaux symboles maçonniques.
[3] Voir les rayons « ésotérisme » ou directement « franc-maçonnerie », s’il existe, des grandes librairies ou certains sites antimaçonniques
[4] J’ai toujours refusé ce type de tournage lorsque j’étais en fonction. Le film de Pascal Catuagno pour TF1, tourné en 2010, montre néanmoins une initiation. Le réalisateur a choisi de contourner notre refus en filmant dans une loge d’une obédience inconnue et avec laquelle le GODF n’avait aucune relation.
[5] Les anciens Devoirs
[6] http://ddata.over-blog.com/4/02/76/23/Regularite/Les-Basic-Principles--regle-en-7-et-8-points.pdf
Gérard Contremoulin
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La liste des participants sera mise à jour au fur et à mesure des parutions tout au long de cette semaine :
- Frangine du nord
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