RPMF : réactions en chaine ?
En lançant le processus dit de Recomposition du Paysage Maçonnique Français (RPMF) destiné à propulser la GLDF vers la reconnaissance londonienne sur les décombres fumants de la GLNF, les 5 de Bâle n'envisageaient certainement pas quelques effets induits...
Quelques constats.
D'abord, en fait de décombres fumants, la GLNF a su renaître de ses cendres et se reconstruire dans des délais qui en ont surpris plus d'un. Elle a ainsi su retisser les liens distendus sous l'ère Stifani avec la maçonnerie régulière nord-américaine, préalable indispensable à la décision de Londres.
Laquelle est intervenue beaucoup plus vite que les meilleurs experts le prédisaient. Au point que les 5 de Bâle ont été contraintes de faire comme si elles l’avaient prévu et même souhaité. Nous savons qu’il n’en était rien. La Maçonne retrace fort justement cet épisode.
Ensuite cette rapidité de la re reconnaissance éloigne d’autant la perspective pour la CMF d’être elle-aussi reconnue puisque la GLUA maintient en effet son dogme d’une seule obédience reconnue par pays.
Curieusement, c’est l’exact contraire de ce qu’expriment les 5 de Bâle ! Retenons bien ce fait.
Cette fâcheuse perspective peut conduire à beaucoup de désillusions. À commencer par les Frères de la GL-AMF qui sont partis de la GLNF dans l'espoir de se voir vite à nouveau reconnu par Londres. Du moins leur GM, Alain Juillet, s'y était-il engagé lors de la création ! Force est de constater que le choix stratégique de la CMF ne semble pas être le plus perspicace.
Pour compléter ce panorama, on peut se demander à quoi tient l’attachement de la GLDF pour ces 5 Grandes Loges
Pourquoi les 5 Grandes Loges ?
Outre le fait, mais ce n’est pas anodin, de se voir confier la tâche de réunir une famille maçonnique, ce « cadeau » était certainement accompagné d’une autre perspective… Plusieurs hypothèses se présentent :
Première hypothèse : puisqu’elles sont reconnues, elles vont faciliter le processus.
Pas si sûr, car deux des cinq risquent de s'opposer à la reconnaissance de la CMF pour des raisons de règles institutionnelles. En effet, la Grande Loge Unie d'Allemagne est composées de cinq Grandes Loges. Certaines sont favorables à la reconnaissance de la GLNF. La GLU d'Allemagne (12.000 membres) ne pourra donc pas reconnaître la CMF. Et il est fort probable que la GL d'Autriche suive cette position.
Deuxième hypothèse : le poids de ces obédiences va pouvoir jouer.
Restent donc 3 Grandes Loges favorables à la CMF.
- Grande Loge du Luxembourg : moins de 250 membres
- Grande Loge Régulière de Belgique : 1.800 membres
- Grande Loge Suisse Alpina : 3.500 membres.
Entre 4.500 et 5.000 frères répartis sur 3 pays : les anglais frémissent ! They will be obliged to change tea-time, at least !
Troisième hypothèse : Ce n’est pas la reconnaissance londonienne qui est visée.
Nombre de commentateurs, notamment frères de la GLDF se sont employés à le dire. Non, la GLUA ne nous importe guère, ce que nous voulons c’est le rassemblement de la famille régulière. Mais alors que signifie un tel rassemblement s’il n’est pas reconnu par Londres ? Et l’on retrouve les positions contradictoires des 5 et de la GLUA sur le nombre de reconnaissances par pays.
C’est ce que nous allons essayer de d’éclaircir…
De deux choses l’une.
Ou bien cette opposition n’est que conjoncturelle
Conséquences d’un processus conçu par des appareils
Le processus de RPMF est d'abord un accord d'appareils qui ne repose à cette époque (juin 2012) sur aucune consultation ni mandat des convents des diverses obédiences signataires et/ou concernées.
Et à moins de considérer comme cela se faisait à la GLNF du temps de François Stifani, qu'un dignitaire "incarne" son obédience, ce processus n'était en fait que l'œuvre de quelques-uns.
Et si le convent de 2013 de la GLDF en avait validé les grandes options, il faudra attendre que le débat s'installe dans les loges.
L'on sait depuis le convent de juin 2014 que l'exigence de rupture "sans ambigüité" avec les "irréguliers" est repoussée par une large majorité de députés.
De même est voulu le maintien de la libre interprétation du GADLU, alors que pour le reste des maçons réguliers dans le monde, le GADLU, c'est Dieu.
De sorte qu’à la GLDF, les Loges se sont réapproprié le pouvoir et refusent l’application de règles qui, selon elles et par les voix de leurs députés, ne respectent pas l’histoire de l’obédience d’une part et de la franc-maçonnerie française d’autre part.
Alors, les dignitaires sont placés devant un choix qui va solliciter fortement leurs abducteurs : Les exigences de Bâle ou le mandat du convent…
Et si leurs choix va dans le sens du respect, alors, les jours de la CMF seraient dès lors comptés et comme le dit « Duplay » dans l’un de ses (trop) rares commentaires :
Cet épisode de la petite histoire maçonnique prend fin. L’agonie est longue et, comme à l’opéra, le chanteur n’en finit pas de clamer qu’il va mourir. »
Ou bien cette opposition est structurelle.
Cette expression contradictoire sur l’une des règles intangibles du processus de reconnaissance n’est pas un incident de parcours mais elle est faite de propos délibéré.
Et dans ces conditions, que restera-t-il alors du processus élaboré à Bâle ?
Le 27 juillet, Christophe postait le commentaire suivant :
Faut-il ajouter de façon constante que l'UGLE a déclaré que le territoire Français n'est pas ouvert. Les "5" prennent des risquent pour eux-mêmes en affirmant le contraire, c'est évident, d'autant que les américains et canadiens ont re-reconnus la GLNF également. Il n'y a aucune évolution pour la CMF à attendre de ce côté-là non plus.
Ceci dit, lorsque tout ceci sera apaisé, que le groupement "5" sera dissous et probablement un peu (un peu seulement) mis en quarantaine, restera la question qu'ils ont posé. Elle est importante.
Je crois que le monde "régulier à l'anglaise", apaisé, s'en saisira alors et y apportera une réponse, car elle devra se renouveler compte tenu de sa perte de membres.
Le monde "libéral" ferait bien également de s'y pencher aussi, s'ouvrir pour apporter ses réponses de tolérance et d'inclusion, et peut-être à ce moment, créer quelques ponts bien utiles. De ce point de vue, le retour de la GLTSO dans le monde "libéral" serait un atout majeur.
Alors il faut se tourner vers un autre projet, alternatif à la reconnaissance londonienne. L’appel à une Recomposition a rapidement débouché sur la création la de la CMF. Rapide et certains s’interroge encore sur la description d’un projet maçonnique qui dépasserait les propos généraux comme « restaurer la paix et la fraternité » ou « rejoindre la fraternité universelle »
La CMF apparaît comme le relai indispensable pour la France des « 5 continentales », en lien ou non, et en tout cas indépendant, de la GLNF.
Vers une maçonnerie régulière continentale ?
Dans la construction du processus ou plus exactement en parallèle, est apparu le rôle que jouaient les différents Suprêmes Conseils. Notamment dans le retour vers l'orthodoxie théïste et dans certains cas déïste, des brebis égarées.
Quoique les obédiences concernées en disent, la partie se joue tant en France (SCdF et SCplF) qu'en Europe (avec l'Union des Suprêmes Conseils) à ce niveau.
Mention particulière en effet pour la GL-AMF dont le Suprême Conseil (SC pour la F) est commun avec la GLNF ! Or la GLDF a son propre Suprême Conseil, le SCdF (SC de France).
En dépit des protestations d’indépendance entre les hauts grades et les loges bleues, (et peut-être serait-il bon d’arrêter enfin cette plaisanterie), on s’adresse néanmoins le plus souvent aux mêmes frères, lesquels sont concernés par les mêmes situations et occupent ou ont occupé souvent des offices de responsabilités dans ces différents niveaux.
Ce fruit de l’histoire récente de la scission de la GLNF et de la création de la GL-AMF a probablement du inspirer en partie cette phrase de la déclaration de Berlin :
Les Grandes Loges signataires, suite à d’intenses discussions avec la direction de la GLNF, comprennent que les traces laissées par la crise prendront du temps à s’effacer.
Elles espèrent en conséquence qu’un climat d’amitié entre la GLNF et la CMF finira par s’installer. Pour l’instant, elles encouragent les Frères de la GLNF à admettre le fait que la CMF est considérée comme régulière depuis l’étranger et candidate valable à la reconnaissance.
Et là deux questions se posent :
- Que désigne ce mot « étranger » ?
- Et reconnaissance par qui ?
Prolongement naturel du regroupement des suprêmes conseils en Europe, il est difficile d'écarter l'hypothèse de la construction d'une maçonnerie régulière "continentale" (c'est le mot qui revient souvent pour parler des 5 de Bâle) distincte de Londres !
Dans cette perspective la GLUDE, confédération dont Alain Graesel a pris la présidence en juin 2010 un an après avoir quitté la grande maîtrise de la GLDF, prend tout son sens.
Et le fait qu’il soit étroitement associé avec Alain-Noel Dubart, voir qu’ils marquent tous les deux les pas de l’actuel GM, dans le suivi de la mise en place de la CMF n’est pas, évidemment, totalement fortuit !
Mais, ce qui frappe l’esprit, c’est cet emploi, désormais systématique dans certains articles d’auteurs « bien informés » du terme « continentale ». Il apparaît tout d’un coup bien sectateur par rapport à l’insularité londonienne ! Sectateur au point de paraître vouloir s’y substituer, au moins pour ce qui serait de donner de brevets.
Et si la curiosité vous pousse à regarder les pages du site d’Alain Graesel, vous découvrirez que la page de la GLUDE n’existe plus alors que la page « International », en cours de rédaction, se prépare pour une « Confédération Internationale des Grandes Loges Unies » (CIGLU !) et contient les membres de la GLUDE. Surement avec la bénédiction de la GLUA !
Alors, oui, il faut envisager l’hypothèse émise par Christophe.
La situation du paysage maçonnique français, après la crise de la GLNF et la modestie des résultats du processus de Bâle (et notamment le départ de la GLTSO) ouvre-t-elle, et si oui, à quelles conditions, une situation favorable au développement de la maçonnerie « libérale » ? On notera d’ailleurs qu’il préfère parler de maçonnerie « inclusive ».
Christophe y développe le contenu de cette franc-maçonnerie de progrès et y cite deux textes de référence, particulièrement bien venus dans la période : l’appel de 1960 du GODF et du GOB et le discours de Jacques Mitterrand, Grand-Maître du GODF au Convent.
Dans un monde qui par bien des aspects donne à penser qu’il n’est plus d’équerre, est-il judicieux pour les maçons de progrès de même que pour celles et ceux qui envisagent de rejoindre la franc-maçonnerie de s’interdire tout débat sociétal, qu’ils soient politique ou religieux ?
Et dans ce monde où les femmes sont chaque jour davantage la cible des fondamentalistes et leurs droits de plus en plus menacés, est-il envisageable de continuer à « maçonner » à l’écart de plus de la moitié de l’humanité
D’un coté, la maçonnerie régulière, un modèle « ancien ».
En souhaitant rester bien à l’écart de la société qu’elle prétend pourtant améliorer, mais seulement après que l’homme lui-même aura réussi sa propre mutation, la franc-maçonnerie régulière s’entoure de murs destinés à la protéger des « métaux ».
Ce qui pourrait être matière et sujets à réflexion, à maturation intellectuelle, à confrontation humaine propice à l’affermissement des résolutions, à l’édification des volontés est perçu comme autant de sources de dévoiements de toutes sortes et en premier lieu politique et religieux.
Et l’on peut être surpris par les réaffirmations de plus en plus péremptoires, de plus en plus catégoriques, des règles de la « Régularité » maçonnique.
De l’autre, la maçonnerie des Lumières.
« Duplay », dans un commentaire au même article, préconise d’approfondir :
« la réflexion qui devrait exister sur la nature de la Franc-Maçonnerie. Parler d’universalité est une véritable imposture, ce qui ne veut pas dire que tout le monde n’a pas le droit à se prétendre franc-maçon et se réclamer, au sens propre ou figuré, propriétaire des morceaux de la Croix. Il n’est pas de franc-maçonnerie universelle, il y a, pour faire très simple, deux courants. L’un se réclame ouvertement des Lumières, dans le droit fil de la Loge des Neuf Sœurs et souhaite comme le formulait son Vénérable Maître d’Holbach se débarrasser des « augustes fadaises » qui encombraient alors, et malheureusement toujours la réflexion des Loges. L’autre, composite, ésotérique, au bon et au mauvais sens du terme, se veut initiatique et transcendant. Les deux peuvent vivre en parfaite intelligence à condition de ne pas prétendre à être les seuls détenteurs de la Vérité. En maçonnerie, il ne devrait pas y avoir de dogme et en tout cas pas de Vatican qui donne le ton en reconnaissant les uns et excluant les autres. Comme le disait Arthur Groussier en parlant de la soi-disant régularité : « les autres nous prendront ou nous laisseront comme nous sommes ».
Le GODF, qui est loin de constituer un exemple universel, laisse en tout cas à ses membres la possibilité de croire ou de ne pas croire, cherche à rassembler ce qui est épars et, aujourd’hui, admet en son sein hommes et femmes. C’est un peu l’image que la maçonnerie devrait, à mon sens donner, si elle veut être crédible. »
En fait la crise de la GLNF aura provoqué un véritable séisme en déstabilisant le cadre défini, structuré et discipliné que la GLUA avait mis en place en France. Les dignitaires de la GLDF, en acceptant de se faire les acteurs d’un projet qui ne devrait plus tardé à s’affirmer comme « régulier-dissident », et s’acharnant à poursuivre un processus dont la clause essentielle (la rupture) a été rejeté par le convent de juin, prennent le risque d’une cassure, voire davantage.
De ce point de vue, le sort qui sera réservé aux propositions de modifications des règlements généraux et des statuts, considérés comme satisfaisantes par la CMF (comprenons : par la GL-AMF) sera déterminant.
Finalement et probablement sans le vouloir, Jean-Laurent, dans un article d'une facture dont il conserve le secret, nous offre avec beaucoup d’humour une illustration qu’il veut certes caricaturale pour la maçonnerie « libérale », mais qui donne en fait une impression assez saisissante de ce qui se passe désormais à la GLDF...
La CMF : la passion de la sortie d’autoroute, la voie de dégagement vers la fantaisie…
A moins que l'on y préfère La Fontaine...
copies des pages du site d'Alain Graesel...
Gérard Contremoulin
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