"Liberté de conscience"... ? Oui, bien sûr, mais laquelle ?
Voici une contribution sur la Liberté de Conscience adressée par Michel Thys, d'Ittre en Belgique. Michel Thys a produit une approche neuroscientifique du phénomène religieux qu'il qualifie lui-même "d'inhabituelle".
« Liberté de conscience » ... ? Oui, bien sûr, mais laquelle ?
Car, à mes yeux, il y en a deux : celle - symbolique - qui est « décrétée » par les Constitutions démocratiques, et celle, hélas encore utopique, qui devrait être effective.
Avant d'en venir aux "Conventions internationales relatives aux droits de l'enfant" - car tout dépendra évidemment de l'éducation ! -, demandons-noussi « la liberté », du point de vue actuel de la psychologie et de la neurophysiologie, ça existe vraiment et/ou dans quelle mesure.
C'est que, du fait de nos nombreux déterminismes généralement inconscients (héréditaires, hormonaux, éducatifs, culturels, religieux, idéologiques, sociaux, politiques, etc...), notre orgueil dût-il en souffrir, il semble bien que nous soyons moins libres que nous ne le pensons ...
Le neurobiologiste Henri LABORIT, l’avait bien compris dans « Eloge de la Fuite », page 59 :
« Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais ».
Il ajoutait même, répondant à Jacques LANGUIRAND, à Radio Canada :
« Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et, finalement, c’est une illusion, la liberté ! ».
Ou encore :
« Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici que cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change » (dernière phrase du film, « Mon oncle d'Amérique » (1980), écrit par Alain RESNAIS.
Par exemple, la foi : un choix vraiment libre ?
Vassilis SAROGLOU, professeur à l'Université catholique de Louvain, successeur du chanoine Antoine VERGOTE, reconnaît que « le fait d'avoir la foi (...)n'est pas tellement, d'un point de vue statistique, une question de choix. C'est plutôt une question de continuité ou d'assimilation de tout le bagage mental ou affectif que l'on a reçu par le biais de la socialisation, qu'il s'agisse de croyance, de pratique, d'émotion ou de valeurs ».
Et pour cause : si j'estime que, dans nos pays démocratiques, «la liberté constitutionnelle de conscience et de religion» est plus théorique et symbolique qu’effective, c'est parce que l’émergence de la liberté de croire ou de ne pas croire me paraît compromise.
Elle l'est d’abord par l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale précoce (le tout jeune enfant est déjà naturellement animiste), éducation forcément affective puisque fondée sur l’exemple et sur la confiance envers les parents (influence certes légitime mais unilatérale, identitaire et communautariste).
Elle l'est ensuite parce qu'elle est le plus souvent confortée par un milieu éducatif croyant unilatéral, occultant volontairement (du moins autant que possible à notre époque médiatique) toute alternative humaniste, non confessionnelle, rationnelle, philosophiquement laïque et donc non aliénante.
A contrario, l’éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas à 99,99 %.
Quoi qu'en disent les théologiens islamiques qui citent le coran (verset 2:256 : «Il n'y a pas de contrainte en religion » pour soutenir que l'islam accorde la liberté religieuse), je constate que la soumission à tous points de vue au coran, à Mahomet, aux hadiths, à la charia, ..., y est totale. L'apostasie y est même punie de mort.
Les musulmans ne bénéficient donc pas de l'article 18 de la DUDH de 1948 : «Toute personne a droit à la liberté de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction (...) ».
L'origine psychologique, éducative et culturelle de la foi.
En 1966, le psychologue-chanoine Antoine VERGOTE, alors professeur à l’Université catholique de Louvain, avait déjà constaté, dans « Psychologie religieuse », sans doute à son grand dam, qu’en l’absence d’éducation religieuse, la foi n’apparaît pas (les enfants de parents incroyants en témoignent), et que la religiosité à l’âge adulte en dépend (et donc l’aptitude à imaginer un « Père » protecteur, « agrandi, substitutif » et anthropomorphique.
Ainsi, page 294 :
« La disponibilité religieuse de l’enfant ne prend forme qu’à la condition d’avoir été précocement éduquée. Toutes les observations l’ont confirmé : l’influence des parents est le facteur le plus décisif dans la formation des attitudes religieuses.(…) Les gestes et le langage religieux des parents, la célébration des fêtes religieuses marquent de façon indélébile les souvenirs d’enfance de nombreux adultes, et déterminent leurs sentiments d’appartenance religieuse. (…). L’extraordinaire permanence des attitudes religieuses, que de nombreuses enquêtes ont mis en lumière, s’explique certainement par l’influence prépondérante de l’éducation familiale.»(…).
Vassilis SAROGLOU, le confirme : « Le fait d'avoir eu des parents religieux et d'avoir reçu une éducation religieuse est le facteur le plus important pour déterminer les probabilités d'être, de rester ou de redevenir soi-même croyant, que ce soit à l'adolescence ou ultérieurement à l'âge adulte ».
Interprétation « neurophysiologique ».
Comment expliquer la fréquente persistance de la sensibilité religieuse et même déiste ?
Les neurosciences tendent, me semble-t-il, à confirmer son imprégnation neuronale précoce : des neurophysiologistes ont en effet constaté que les hippocampes (centres de la mémoire explicite) sont encore immatures à l’âge de 2 ou 3 ans (nous n'avons en effet aucun souvenir à cet âge), mais que, par contre, les amygdales (du cerveau émotionnel !), elles, sont déjà capables de stocker inconsciemment le souvenir d'événements à forte charge affective ou émotionnelle, par exemple l'atmosphère « envoûtante » d'une église, les prières et autres comportements religieux des parents, voire leurs inquiétudes métaphysiques, sans doute reproduits via les « neurones-miroirs » du cortex pariétal inférieur et du cortex moteur. Ces « traces » neuronales, appelées « engrammes », sont indélébiles, et se renforcent par plasticité neuronale, au fur et à mesure des expériences religieuses.
Les observations par IRM fonctionnelle et par tomographie à émission de positons suggèrent que le cerveau rationnel, le cortex préfrontal notamment, et donc aussi bien l’esprit critique que le libre arbitre ultérieurs, s’en trouvent inconsciemment « éteints », et donc « anesthésiés », à des degrés divers, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect ultérieurs, du moins en matière de foi.
Que disent les conventions internationales ?
Concernant l'enfant, la déclaration de 25 novembre 1981 de l'ONU stipulait article 5 alinéa 1 :
« Les parents ou, le cas échéant, les tuteurs légaux de l'enfant ont le droit d'organiser la vie au sein de la famille conformément à leur religion ou leur conviction et en tenant compte de l'éducation morale conformément à laquelle ils estiment que l'enfant doit être élevé. »
et alinéa 5 :
« Les pratiques d'une religion ou d'une conviction dans lesquelles un enfant est élevé ne doivent porter préjudice ni à sa santé physique ou mentale ni à son développement complet, (...)compte tenu du paragraphe 3 de l'article premier de la présente Déclaration. »
Mais désormais la Convention internationale sur les droits de l'enfant, dite aussi « Convention de New York », adoptée par l'Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989, est le texte fondateur des droits de l'enfant à l'échelle mondiale ; l'article 14 précise ces droits vis-à-vis de la liberté de religion :
« 1 Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
2. Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités. (...).
L'article 18 précise également dans l'alinéa 1 :
« Les États parties s'emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement. La responsabilité d'élever l'enfant et d'assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l'intérêt supérieur de l'enfant. ».
On va enfin, bien que très lentement, dans le bon sens !
Education, enseignement et école. (ndlr)
Mais cela implique, du moins à mes yeux, que les libertés d'éducation et d'enseignement, par définition hélas unilatérales et communautaristes, devraient pouvoir être légalement compensées par l'école.
On en est loin, surtout en France, car il ne faut pas confondre, comme le fait notamment François HOLLANDE, la laïcité « politique » ( principe de séparation de l'institution républicaine et des institutions religieuses), certes nécessaire, et la laïcité « philosophique », celle qui est chère aux laïques belges et qui devrait lui être complémentaire, mais qui est pratiquement inconnue en France ...
Face à la chute vertigineuse de la religiosité, du moins dans la plupart des pays intellectualisés, les religions, sauf la musulmane, réagissent par des tentatives de re-confessionnalisation des consciences, de réinvestissement médiatique de l’espace public (surtout depuis Jean-Paul II) et de re-cléricalisation de la politique notamment européenne (via par exemple l’ « Opus Dei »), tandis que les sectes spéculent sur la quête de sens qui subsiste (cf. les évangélistes américains, les mormons, les scientologues, les créationnistes, etc.).
Oserais-je quelques conclusions pédagogiques et politiques ?
Préventivement, tout dépendra bien sûr des objectifs éducatifs.
N'est-il donc pas grand temps de freiner, dès « l'école pour tous », le communautarisme croissant, source d'intolérance, d'incompréhension de l'autre et de non acceptation de sa différence enrichissante (tant qu'elle n'est pas terroriste !), et de viser concrètement un meilleur vivre ensemble ?
En Belgique, le remplacement des cours de religion et de morale laïque par un cours commun de philosophie, rassemblant enfin tous les enfants et adolescents, irait sans doute dans ce sens, mais tant que la liberté constitutionnelle permettra inconditionnellement la liberté d'enseignement (même islamique et donc dogmatique !) sans proposer d'alternatives et sans imposer des limites, l'école confessionnelle, notamment catholique, élitiste et donc inégalitaire, persistera dans son « projet pédagogique » évangélisateur, fût-il lénifié de nos jours ...
Pourtant, par simple honnêteté intellectuelle, j'estime que chacun devrait pouvoir choisir, en connaissance de cause, selon sa sensibilité, aussi librement et tardivement que possible, ses convictions philosophiques (OU religieuses, parce qu'à mon sens, le droit de croire restera toujours légitime et respectable, a fortiori si cette option a été choisie plutôt qu’imposée).
Mais pour que les libertés de conscience et de religion, en particulier celle de croire ou de ne pas croire, deviennent plus effectives que symboliques, il faudrait à mon sens s'orienter, enfin et dès que possible, politiquement et économiquement, vers la fusion des réseaux officiel et privé.
Cela impliquerait un système éducatif de type pluraliste qui proposerait notamment, à tous et partout, une information minimale, progressive, aussi objective que possible et non prosélyte, à la fois sur les différentes options religieuses (ce qui ferait apparaître leur point commun, à des degrés divers : la soumission à un dieu, à un prophète et à un texte « sacré »), ET sur les options laïques évidemment occultées (l’humanisme laïque, la spiritualité laïque, la morale laïque, etc., qui incitent au libre-examen, à l'esprit critique à tous égards, à l'autonomie de la conscience, à la responsabilité individuelle, au respect et à l'acceptation de l'autre.).
Cela compenserait les influences religieuses familiales, certes légitimes mais unilatérales et communautaristes, ainsi que les inégalités socioculturelles résultant notamment de l'immigration.
Enfin, cela permettrait de rechercher des valeurs communes, « universalisables », parce que bénéfiques à tous et partout, telles que le respect de la dignité de l’homme, de le femme et de l’enfant, la liberté de pensée, de conscience et de religion, etc...
La religion est en effet une affaire privée qui n’a plus sa place à l’école, sauf lors d’un cours d’histoire ou de philosophie, parce qu’un minimum de culture religieuse, notamment artistique, fait partie de la culture générale.
Dans cette optique, l’enseignement confessionnel, à quelque niveau que ce soit, m’apparaît comme élitiste, inégalitaire, prosélyte, exclusif, intolérant, obsolète et donc inadapté à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions.
L’avènement d’une citoyenneté responsable, respectueuse de tous, me paraît à ce prix.
Mais il faudra d'abord repenser les notions de «neutralité» de l’Etat et de soi-disant «libre choix» des parents, conforté par les enseignants croyants.
Quoi qu'ils en pensent, c'est « l’intérêt supérieur de l’enfant » qui est prioritaire !
Dans une ou deux générations, peut-être, lorsqu'on aura enfin compris, confirmé, diffusé et admis que la foi a une origine exclusivement éducative psychologique et culturelle, que les religions imprègnent malhonnêtement le cerveau émotionnel pour maintenir (autant qu'il leur sera possible) leur mainmise sur les consciences et la croyance en des dieux qui n'ont manifestement qu'une existence subjective, imaginaire et donc illusoire.
Mais ce n'est là que mon modeste point de vue, dont je ne prétends pas qu'il soit plus pertinent qu'un autre.
Merci donc pour vos commentaires.
Alors, à vos claviers
Gérard Contremoulin
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