Le pas de "clerc" de la ministre de l'éducation nationale...
Les religions ont leurs clercs, que l'on appelle les "laïcs". La laïcité a ses partisans que l'on appelle les "laïques". Avec sa dernière déclaration, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, viendrait-elle de choisir son camp ?
Un contexte explosif.
La loi du 9 décembre 1905 a instauré le principe de séparation des églises et de l'Etat. Depuis, le compromis qui l'avait rendu possible, n'a cessé de subir des remises en cause. Le culte catholique n'a jamais désarmé, qu'il s'agisse de son clergé officiel ou de ses traditionnalistes. Les cultes protestants et juif, eux, l'ont accepté. Quant au culte musulman, confronté aux radicalisations de ses fondamentalistes, il offre une image éclatée. Le culte officiel, derrière le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalyl Boubakeur qui tente de maintenir la compatibilité de l'Islam et de la République, cette compatibilité que contestent les différents fondamentalistes islamistes qui se servent de la laïcité pour la contourner et faire reconnaître leurs spécificités comme autant de dérogations à la loi commune !
Une déclaration malvenue...
Dans ce contexte, Najat Vallaud-Belkacem, ès-qualité de ministre de l'éducation nationale, déclare, le 21 octobre dernier, devant l'Observatoire de la Laïcité :
Tout en rappelant mon attachement à la neutralité du service public, je vous indique que ma position est conforme à celle qu’a rappelée le Conseil d’État : "les parents accompagnant des sorties scolaires ne sont pas soumis à la neutralité religieuse". Ils ne peuvent être considérés comme des agents auxiliaires du service public et soumis aux règles du service public.
Pour autant, il peut y avoir des situations particulières, liées par exemple à du prosélytisme religieux, qui peuvent conduire les responsables locaux à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. C’est un équilibre qui doit être trouvé par les responsables de terrain et les cas conflictuels restent heureusement limités.
Pour autant, je veux réaffirmer un principe et une orientation. Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception.
Cette déclaration d'un ministre de la République Française ("indivisible, laïque, démocratique et sociale") est en contradiction avec celles de ses prédécesseurs et produit un effet catastrophique . Elle a pour conséquence de recréer de l'instabilité en renvoyant aux chefs d'établissements la décision d'accepter ou de refuser le port du voile lors des accompagnements scolaires. Mais elle a aussi comme conséquence de relancer le débat sur la présence de signes religieux "ostensibles" dans les activités scolaires.
... mais qui tombe à pic pour certains.
Cette déclaration tombe à pic et apporte un soutien inattendu aux fondamentalistes qui n'en espéraient probablement pas tant ! D'ailleurs, dès ces propos tenus, des associations opposées à l'interdiction de signes religieux à l'école sont montées au créneau.
Ainsi le collectif "Mamans toutes égales", regroupant des parents qui revendiquent le port du voile dans l'espace public, en appelle à la ministre :
"Madame la ministre, nous vous demandons que la circulaire Chatel soit abrogée et que, en cohérence avec la position que vous venez de réaffirmer expressément, des directives claires soient données aux chefs d'établissements pour arrêter l'exclusions des mamans de l'accompagnement des sorties scolaires de leurs enfants."
Mais quelle est cette position du Conseil d'Etat sur laquelle s'appuie Najat Vallaud-Belkacem ?
D'abord, il faut rappeler qu'il s'agit d'une étude et non d'un avis et encore moins d'un arrêt. Et la densité de son contenu n'épuise pourtant pas notre appétit de clarté !
Néanmoins, la ministre choisit une piste qui va plus loin que l'étude puisque le Conseil d'Etat évoquait aussi la notion de "neutralité dans l'expression des convictions" :
"Ainsi s'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l'expression de leurs convictions, notamment religieuses"
La ministre imprime sa marque en effectuant un virage à 180° par rapport à ses prédécesseurs !
C'est ce qu'analyse le responsable de la commission Laïcité de l'UFAL, Charles Arambourou, dans cet article :
Extrait :
Le Conseil d’État, dans son étude sur le sujet, n’a pas contredit cette circulaire. S’il considère les parents accompagnateurs comme de simples usagers, non soumis à l’obligation de neutralité religieuse, il indique explicitement que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, (…) à recommander [à ces parents] de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». L’UFAL se permet de rappeler à Mme Vallaud-Belkacem que « l’autorité compétente », c’est, en matière d’organisation d’un service public national, le ministre.
Imposer désormais comme règle d’accepter les signes religieux chez les adultes qui encadrent les élèves en sortie ouvre une brèche dans le principe de neutralité religieuse de l’école publique. En effet, comment justifier dès lors que les enseignants, encadrants permanents, y restent seuls soumis, alors même que dans certains établissements, on peut constater une très forte pression communautaire en faveur de l’affichage religieux ? Tout« accommodement raisonnable » est un cadeau offert aux intégristes de toute obédience, qui cherchent patiemment à grignoter la laïcité, notamment en s’attaquant à l’école
Les réactions sont nombreuses.
En voici quelques unes :,
- Catherine Kintzler, philosophe, lauréate du prix 2014 de la Laïcité, déclarait lors de la remise à l'Hotel de Ville de Paris :
Oui, nous avons des problèmes de laïcité en France [ndlr : en écho à l'avis de Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la Laïcité]. Mais nous avons aussi un problème avec la laïcité. Ce problème ce sont nos états d’âme, qui nous rendent perméables aux arguments compassionnels, ce sont nos états d’âme qui nous rendent sensibles aux sirènes de l’« adaptation » : en ajoutant quelque adjectif bienpensant au substantif « laïcité » ces sirènes appellent à en abolir la substance – comme si le concept de laïcité était épuisé et avait épuisé sa puissance libératrice.
Ce problème c’est que nous n’osons pas toujours penser à fond parce que nous croyons à tort qu’une théorie et des concepts « c’est abstrait » et que sur le terrain « ça ne sert à rien ». Ce qui ne sert à rien et qui est même souvent nuisible, c’est au contraire de dire que l’idée de laïcité est abstraite. L’efficacité concrète de la laïcité s’apprécie aux libertés qu’elle rend possibles.
- L'Union des Familles Laïques (UFAL) dans un communiqué
- Malika Sorel dans un entretien au Figaro
- L'ADLPF (Association des Libres Penseurs de France) dans ce communiqué.
Dans le milieu syndical enseignant :
- le SNALC-FGAF.
Déclaration largement commentée par la presse :
- le Figaro, L'Obs, La Gazette des Communes, Europe 1, RTL, ...
Avec cet épisode, oui, la France a un problème avec la Laïcité, et qui plus est, un problème maintenant avec l'un des ministres qui en a la charge !
Gérard Contremoulin
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