Rester dans les Lumières !
"Le Siècle des Ténèbres", c'est ainsi que Daniel Keller, Grand-Maître du Grand Orient de France, titrait la tribune qu'il donnait à Médiapart, ce 26 février.
Membre de la Loge "L'Europe des Lumières", mais au delà, tout franc-maçon soeur ou frère qui se sent héritier de la philosophie du siècle des Lumières, cet article laisse peu de choix sur l'ampleur et la nécessité dans laquelle nous sommes de relever ces enjeux .
De quoi s'agit-il ?
Daniel Keller définit cette philosophie comme celle qui donna naissance à :
la civilisation des Lumières qui triompha au XVIIIe siècle. Cette civilisation s’enracina dans sa capacité à démontrer que les châtiments barbares qui existaient alors appartenaient à un autre temps. Elle s’affirma dans sa volonté d’expliquer que les peines devaient être proportionnées aux délits, elle s’imposa dans sa faculté à repenser le droit de punir. Ce processus de civilisation fit triompher peu à peu un principe : le principe d’humanité.
Ce faisant, il met l'accent sur le lien indispensable entre ce "principe d'humanité" et la capacité des humanistes à expliquer le bien fondé de cette philosophie issue de ce principe. Il conduit à s'interroger sur le constat accablant de notre grande faiblesse aujourd'hui. Maîtrisons-nous toujours ce lien ? Savons nous encore expliquer, faire comprendre ce bien fondé ou nous comportons nous, finalement, comme les enfants gâtés des Lumières, plus préoccupés de bénéficier de leurs fruits que d'entretenir les conditions qui les permettent ?
Comment expliquer, sinon, le délitement progressif de la force probante de l'humanisme, le désarçonnement dans lequel nous plonge l'obligation de l'expliquer et la banalisation de la recherche du bouc-émissaire. Si les déclarations particulièrement graves et choquantes d'un Roland Dumas (antisémitisme) ou d'un Roger Cukierman (anti musulmanisme) ont été possibles chez ces hommes de grande qualité par ailleurs, cela en dit long sur le fait que, dans certaines situations, l'humaniste baisse la garde et ne sait plus où il habite !
Certes, les barbaries commises par Daech, par Boko Haram qui remisent celles d'Al-Qaïda au second plan, provoquent colères et dégouts. Mais s'aperçoit-on qu'elles sont l'aboutissement macabre d'une chaîne d'actes d'intolérance qui commence là où se pratique le premier refus de l'altérité.
L'esprit de renoncement ?
Renoncerions-nous à défendre ce qui ne nous apparaîtrait plus maintenant que comme un idéal alors qu'il a été la réalité de nos sociétés éclairées depuis le XVIII° siècle ?
Nous laisserions-nous persuader que nos systèmes politiques qui en sont issus et qui professent la liberté garantie par l'égalité en droit seraient devenus obsolètes ?
Seions-nous prêts à troquer la fraternité contre la promotion de droits distincts, communautaires, déterminés en fonction de critères particuliers, raciaux, sexués, etc. ?
Dit comme cela, on répondra bien évidemment non parce que chacune et chacun aura en mémoire les images de la barbarie, diffusées sur internet. Mais revenons à cette idée de "chaîne", alors peut-être devrait-on réexaminer beaucoup des actes du quotidien auxquels nous ne pretons pas nécessairement attention. Renoncer ce serait accepter de banaliser.
Sommes-nous "tous Charlie" ?
Les 7, 8 et 9 janvier ont provoqué le 11 janvier. Et si plus de quatre millions de françaises, de français mais combien de centaines de milliers de par le monde se sont mobilisés autour du refus de ces assassinats en scandant chacun "je suis Charlie", force est de constater depuis que celles et ceux qui ne l'étaient pas commencent à le dire, plus ou moins haut, plus ou moins fort mais de plus en plus nombreux !
Patrick Pelloux fait souvent remarquer que le 11 janvier, on disait "je suis Charlie" et non pas "Je suis Charlie Hebdo" ! En effet, ce n'est pas une ligne éditoriale que l'on soutenait mais un principe, la liberté d'expression, que l'on défendait. C'est une différence majeure qu'à moins d'un amalgame, on ne peut pas nier.
Le temps de la dé-Raison ?
Le XVIII° siècle et Les Lumières ont fait émerger la Raison comme l'outil majeur de l'émancipation. "Oser penser", cette invitation devenait la règle d'or et rendait possible le fait d'être soi-même, de s'habituer à user de son propre entendement pour penser par soi-même et à découvrir tout l'intérêt de pratiquer "le commerce des hommes", c'est-à-dire l'altérité.
Or, depuis plusieurs dizaines d'années, ce processus s'inverse sans que l'on en ait pris réellement conscience. De renoncements en acceptations sur fond de "politiquement correct",voire de tolérance, on s'est habitué à laisser se développer des thèses obscurantistes (les sectes), à laisser la religion empiéter sur le domaine des sciences sans vraiment protester (créationnisme). De sorte que ce phénomène de dé-Raison est aujourd'hui devant nos yeux.
Juliette Grange a préparé le terrain de la compréhension de ce phénomène contre-révolutionnaire qu'elle nomme l'offensive des néo-conservateurs.
Bonne lecture...
Gérard Contremoulin
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