WARUM ?
Voltaire, D'Alembert, Montesquieu, Bernouilli, Euler, Cavendish, Volta, Lavoisier, etc. L'étude des oeuvres correspondant à ces noms pourrait être désormais facultative. L'apprentissage de l'allemand pourrait être abandonné. Tels sont les projets qui s'ourdissent dans les cerveaux surchauffés des membres du Conseil Supérieur des Programmes de l'éducation nationale !
Le conseil supérieur des programmes (CSP), confronté aux revendications des professeurs qui dénoncent la surcharge des programmes scolaires du collège, veut remédier.
Attention ! Pour alléger, il envisage en quelque sorte un programme à la carte !
Il y aurait des points de passages obligés et des points facultatifs, laissés au libre choix des professeurs, avec bien entendu, le soutien corporatiste de nombre d'entre eux. C'est ainsi que Denis Paget, ancien co-secrétaire général du SNES-FSU et membre du CSP, explique et justifie le noyau dur de la réforme des programmes du collège !!!
Une question facultative.
Désormais les maîtres, en fonction des projets d'établissements, et poursquoi pas de leurs options personnelles, pourraient faire l'impasse par exemple sur l'étude du Siècle des Lumières et lui préférer la révolution américaine. Déconnecter La Fayette et Benjamin Franklin de Voltaire, Rousseau ou Montesquieu...
Les philosophes, les scientifiques, les créateurs et toute cette fabuleuse période où la lutte contre l'obscurantisme a pris ses lettres de noblesse et s'est imposée sur l'Ancien Régime pourraient devenir une question facultative !
Allemand, latin et grec : des apprentissages inutiles !
De même, l'apprentissage de l'Allemand pourrait être supprimé. C'est du moins ce qu'analysent les germanistes avec l'abandon des classes bilangues. On n'ose imaginer les raisons "profondes" qui ont conduit à cette idée saugrenue. Et seulement 10% (59) des députés, membres du groupe d'amitié France-Allemagne, s'y opposent. Face à eux, le président du groupe majoritaire n'économise néanmoins pas son huile de coude pour ramer contre ce trop faible courant...
L'abandon des "humanités"...
C'est encore l'abandon progressif du latin et du grec au motif que ce sont des langues mortes. Derrière ce concept bien étrange se cache finalement un redoutable projet, celui de l'abandon des "humanités" car l'apprentissage de ces langues ne seraient d'aucun utilité dans le cursus des élèves de collèges...
Déjà, l'étude de la philosophie avait été menacée par la réforme Haby (1975) et il avait fallu que le président Mitterrand, une fois élu, intervienne en chargeant le philosophe Jacques Derrida d'un rapport, publié en 1989 pour que cette tendance s'inverse.
Il faut prendre la mesure de ce qui tente progressivement de se mettre en place par rapport à la formation des esprits, tâche fondamentale et responsabilité centrale de l'école de la République.
... qui rappelle l'abandon de la Rhétorique.
Ceci n'est pas sans rappeler cette malencontreuse décision de la fin du XIX° siècle qui décidaient de retirer les cours de "rhétorique" des programmes scolaires au motif que c'était jusqu'aux années de la réforme fondamentale de Jules Ferry la spécialité des jésuites ! On sait, depuis, que l'art oratoire et le maniement de la langue sont des facteurs déterminant de l'acquisition des conditions personnelles qui permettent l'émancipation.
Sous la Voûte étoilée abordera prochainement quelques travaux de Loïc Nicolas, docteur en rhétorique et chargé de recherche à l'Université Libre de Bruxelles, membre du GRAL. Il travaille sur le sujet connexe des rhétoriques de la conspiration, par exemple ici et là.
Il est toujours étonnant dans une réflexion sur la culture générale de vouloir établir une adéquation entre la transmission des savoirs généraux et leurs degré de réutilisation pour l'employabilité, pour l'insertion professionnelle des élèves concernés. Cette conception fonctionaliste de l'enseignement est un détournement de l'objet même de l'éducation où les "humanités" ont pour fonction la structuration de l'esprit, l'initiation à la liberté de penser, la maturation de l'esprit critique.
Que d'erreur commet-on en ton nom Laïcité !
Une décision qui vient après la mobilisation des "Anti-Lumières".
Comment ne pas voir une concommittance entre les mouvements réactionnaires (ré)apparus avec la Manif pour Tous et ses organisations à partir de 2012 et cette proposition du Conseil des programmes de rendre optionnelle la philosophie des Lumières ?
Chritine Boutin, Ludovine de La Rochère, Béatrice Bourges, le Printemps Français, Farida Belghoul, Alain Soral, Alain Escada, Civitas, etc. Cette galerie de portraits a occupé le devant de la scène autour de l'ineffable Frigide Barjot dans cette période.
Et ce serait une faute de ne pas reconnaître que ce mouvement a réussi à fédérer les franges les plus conservatrices des droites religieuses et extrêmes de notre pays...
Pour certaines d'entre elles, le mot d'ordre était des plus ciblés : la faute à la République ! Assortis parfois, au choix, de : "séparation de la franc-maçonnerie et de l'Etat", "francs-maçons en prison", " Francs-Maçons fascistes", voir ce blog... Slogans et déclarations dont on trouvera une recension assez complète dans le livre de Jiri Pragman : l'antimaçonnisme actuel. Plusieurs articles dans les colonnes de ce blog s'en sont fait l'écho, onglet "Antimaçonnisme"..
Juliette Grange propose une étude documentée sur le processus de destruction à l'oeuvre depuis plus de quinze ans et qu'elle nomme "le projet des néo-conservateurs". Pour être complet, précisons qu'il s'agit là des néo-conservateurs français.
Régis Debray, alors qu'il prône le rétablissement des principes fondamentaux dans l'éducation en rappelant que la transmission des savoirs repose à la fois sur l'effort de l'élève et l'autorité du Maître, citait cette pensée de Condorcet :
"il faut enseigner ce qui est nécessaire pour ne point dépendre".
Il aurait pu aussi citer celle-ci, tirée de son rapport général sur l'instruction publique, présenté devant la Convention:
"Il faut rendre la raison populaire"
Là encore, il faut prendre la réelle mesure de ce qui est à l'oeuvre.
Les réactions.
Alors, bien évidemment, des pétitions circulent, qui soulignent les critiques, non sans raison, que s'attirent de tels projets.
Concernant l'allemand (25.000 signatures au 17 avril) :
.../...
C’est pourquoi nous demandons pour l’avenir de la jeunesse de notre pays et pour la crédibilité de nos engagements internationaux :
1. Le maintien du dispositif bilangue tel qu’il existe actuellement avec au moins 3 heures hebdomadaires pour chaque langue, que ce soit pour assurer la continuité ou pour commencer l’allemand en 6°.
2. Le maintien du dispositif des classes européennes en collège avec une dotation fléchée de 2 heures hebdomadaires pour chacune des deux années de collège, avec un prolongement au lycée par un renforcement linguistique et une discipline non linguistique enseignée en langue vivante.
3. De ne pas généraliser la 5°LV2 à moyens constants, soit 2 heures hebdomadaires sur 3 ans au lieu de 3 heures hebdomadaires sur 2 ans - ce qui aurait comme effet que la langue soit moins bien maîtrisée qu’avec le système actuel !
.../...
Concernant le latin et le grec :
À la rentrée 2016, dans un État qui s’inquiète du niveau des élèves en langues, qui prône la réussite pour tous et la diffusion des valeurs humanistes chez le citoyen de demain, le latin et le grec ancien ne seront plus des options proposées aux élèves car elles ne seront même plus des disciplines.
Elles deviennent des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), mises en concurrence avec tous les autres projets de l’établissement, qui aura la charge de faire le « choix » entre ceux-ci, selon les moyens qui lui auront été accordés.
Concrètement, cela signifie la disparition de l’enseignement des Langues et Cultures de l’Antiquité là où elles sont présentes aujourd’hui, car leur maintien ne tiendra qu’au bon vouloir local, après d’inévitables tensions entre ces disciplines et d’autres nouveaux projets.
Nous refusons que le latin et le grec ancien deviennent un vague complément culturel. Nous refusons que le latin et le grec ancien deviennent une niche éducative pour une élite.
Nous demandons instamment que les Langues et Cultures de l’Antiquité, champ d’études hautement formateur à la citoyenneté, continuent d’être proposées à tous les collégiens sous la forme d’un enseignement annuel assuré par des professeurs spécialistes du latin et du grec ancien, rompus par leur formation à croiser les approches disciplinaires.
Alors, Victor Hugo, encore...
On se rappelera utilement ce discours de Victor Hugo en 1848 :
" Quel est le grand péril de la situation actuelle ? L'ignorance.
L'ignorance encore plus que la misère. L'ignorance qui nous déborde, qui nous assiège , qui nous investit de toute part. C'est à la faveur de l'ignorance que certaine...s doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes...
Un mal moral, un mal profond nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cel est étrange à dire, n'est autre chose que l'excès des tendances matérielles...La grande erreur de notre temps, ça a été de pencher, je dis plus, de courber l'esprit des hommes vers la recherche du bien matériel...
Il faut redresser l'esprit de l'homme; il faut, et c'est la grande mission, la mission spéciale du ministère de l'instruction publique, il faut relever l'esprit de l'homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand....
Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d'études où l'on médite, où l'on s'instruit, où l'on se recueille, où l'on apprend quelque chose, où l'on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l'esprit du peuple ; car c'est par les ténèbres qu'on le perd."
Qu'en pensent les cerveaux en surchauffe du CSP ? Ringard Victor Hugo ?
Gérard Contremoulin
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Nostalgie ?