Les sentences maçonniques : de la lettre à l'esprit...
"Ici, tout est symbole", tel est le premier avertissement, répété à l'envi, que le profane entend lors de la cérémonie de sa réception dans une loge maçonnique.
C'est la première sentence sur laquelle il va devoir réfléchir et qui va borner son cheminement pour les nombreuses années pendant lesquelles il va lui-même s'initier, "car on s'initie soi-même", deuxième sentence. C'est dire combien, de même que de la coupe aux lèvres, il y a loin de l'entrée en maçonnerie à la "maîtrise" de la qualité de franc-maçon.
Initiation ou réception.
Il est dommage qu'une facilité de langage ait conduit à nommer ce premier pas dans la maçonnerie du beau nom d'initiation. C'est effacer d'un seul mot tout le travail du franc-maçon, c'est même donner corps à une véritable équivoque. Cela revient à considérer que le seul fait d'un geste suffirait à opérer comme par miracle une transformation profonde de l'état intellectuel et moral d'une personne. Il n'y a pas de miracle, de génération spontanée en franc-maçonnerie. Il n'y a que du travail accompli sur soi "par une action incessante et féconde" en lien avec d'une part le collectif qu'est la loge et d'autre part par sa propre relation avec la société et la place que l'on y occupe. C'est d'ailleurs ce que signifie cette autre sentence : "la franc-maçonnerie est un chemin".
En revanche, on ne peut pas nier la jubilation intense que ce premier pas, que cette cérémonie, provoque chez celle ou celui qui la vit, qui la ressent. Les témoignages sont là pour dire combien elle marque le récipiendaire d'une impression quasi indélébile, faite d'images fortes, de sensations et d'émotions ressenties, qui sont autant de stimulis pour la réflexion à venir. Ce moment est bien celui qui marque l'entrée dans une société de pensée et de réflexion, le jour de la réception dans la franc-maçonnerie.
Un langage symbolique.
A partir de ces quelques exemples, il faut comprendre que ces sentences représentent des pistes de réflexion, non des commandements à appliquer au pied de la lettre comme pourrait le comprendre les fondamentalistes. Et si elles empruntent la voie d'images fortes, de sensations puissantes, quasi universellement signifiantes, c'est pour transmettre au delà des particularismes sociaux et culturels, un contenu qui parle au coeur et à la raison de chaque récipiendaire, femme et homme, quelle que soit son origine...
Car les différences humaines, sociales, philosophiques, voire même politiques entre celles et ceux qui viennent d'être reçus dans une loge vont constituer l'un des outils essentiels qui sera à la disposition de chaque apprenti. Il va découvrir l'écoute, la réflexion, la confrontation sereine des expressions (méthode oblige !), le vécu très particulier de sa présence en loge. situation à la fois nouvelle pour lui comme pour celles et ceux qui constituent sa fratrie. Ce vécu, tous les membres de la loge le partagent car tous ont vécu ces premiers temps du jeune maçon. Et au delà de la loge, bien évidemment, tous les francs-maçons.
"Laisser les métaux à la porte du Temple."
Je reviens sur ce mot de "politique" qui fait tant débat entre maçons "réguliers" et maçons "irréguliers". Pour y voir plus clair sur ces deux concepts maçonniques, voir le petit opuscule de Roger Dachez "Franc maconnerie : Régularité et reconnaisance", Conform édition, mai 2015, 10€.
L'un des 8 "basic principles" interdit effectivement tout débat politique en loge comme tout débat de nature religieuse. C'est une des différences essentielles entre les maçons. Et une sentence maçonnique des plus connues l'aborde : "laisser ses métaux à la porte du temple". Elle est probablement l'une des plus citées et tout aussi probablement, la plus plurivoque.
S'agit-il de tout oublier de soi, de venir en loge en oubliant tout ce qui fait notre personnalité, nos engagements, notre réalité humaine -et garanti par l'interdiction de certains thèmes- ou bien s'agit-il de venir tel que nous sommes mais avec l'obligation éthique de revisiter de fond en comble ce que nous sommes ?
Cette interrogation me semble l'une des plus essentielle du travail du maçon libéral car elle conduit à ce travail sur soi qui amène, lorsqu'il est accompli, à oser l'altérité, à accepter l'autre sans pour autant nier sa propre réalité. En fait, cela revient à travailler à l'approfondissement de ses propres engagements en les confrontant à la nécessité du vivre ensemble, c'est-à-dire à accepter l'autre dans toutes ses dimensions. De sorte que nous puissions nous améliorer nous-mêmes par l'exercice permanent du commerce d'autrui... C'est évidemment beaucoup plus risqué que l'autre approche.
Ce travail conduit à évaluer progressivement toute la différence entre la lettre et l'esprit du langage symbolique.
Alors, le serment maçonnique...
Nous abordons là un sujet sulfureux. De tout temps, les anti-maçons se sont emparés du Serment maçonnique pour démonter à quel point il constituait la preuve du complot que certains d'entre eux n'hésitaient pas à voir "mondial" pour soumettre le monde à la domination maçonnique ! La politique antimaçonnique conduite par le gouvernement de Pétain à Vichy en donne de multiples exemples et le film "Forces occultes" en est une parfaite illustration.
Qui, s'il est de bonne foi, ne voit pas là une grandiose supercherie qui consiste à prendre le texte du serment au pied de la lettre et qui ne voit pas, d'ailleurs, dans cette supercherie la méthode des fondamentalistes, dérive systématique d'une "pensée" unidimensionnelle ?
Ainsi, j'accepterais, en toute connaissance de cause, "d'avoir la gorge tranchée si je venais à manquer à mon engagement" ?
Ainsi nous nous prendrions, en toute connaissance de cause, pour les titres que nous donnent l'intitulé des grades maçonniques dont nous sommes titulaires ? Bigre !
Il faut comprendre, dans le discours symbolique, non pas sa lettre mais son esprit, c'est-à-dire les devoirs -moraux- qu'ils nous indique. C'est toute la dimension du travail que chaque maçon doit accomplir à partir de la méthode maçonnique qui ne s'apprend qu'en loge par une pratique régulière.
N'est-ce pas la raison pour laquelle, lorsque nous nous séparons, nous entendons dire que "la pierre brute est à peine dégrossie, l'heure du repos n'est donc pas arrivé"...
Gérard Contremoulin
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