Et si l'abondance nuisait ?
Quand le "Maçon libre dans une loge libre" rime et se conjugue avec le très ancien "small is beautiful", on assiste à la multiplication des obédiences dont le chiffre peut atteindre des sommets dont on peut se demander si tout cela est bien raisonnable...
C'est ainsi qu'en France, le CLIPSAS en dénombre 204 pour un effectif de moins de 150.000 maçonnes et maçons ! Se peut-il que "Réunir ce qui est épars" conduise à un tel ... éparpillement ? Ceci mérite quelques éclaircissements et aussi quelques réflexions.
Outre les scissions majeures qui se sont opérées sur la base de différends philosophique (1877, abandon par le GODF de l'obligation de croire en dieu et en l'immortalité de l'âme et 1913, création de la GLNF en réaction), initiatique (spécification des rites : RER 1782, REAA 1804 et en 1894 création de la GLDF ) ou de genre (1893 , création du DH et 1901-1952, création de la GLFF), ce mouvement s'est amplement accéléré dans les dernières décennies.
Mais la multiplication des micro-obédiences réunissant quelques centaines de membres chacune ne pose-t-elle pas aux principales obédiences une question de fond dont l'étude devient urgente ?
Les principales obédiences.
1728 - 1773 - Grand Orient De France (ici)
1893 - Droit Humain (ici)
1894 - Grande Loge De France (ici)
1913 - Grande Loge Nationale Française (ici)
1946 - Grand Prieuré des Gaules (ici)
1952- Grande Loge Féminine de France (ici)
1958 - Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (ici)
1960 - Grande Loge Française de Memphis-Misraïm (ici)
1965 - Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm (ici)
1968 - Loge Nationale Française (ici)
1968 - Grande Loge Indépendante et Souveraine des Rites Unis (ici)
1973 - Grande Loge Mixte Universel (ici)
1974 - Ordre Initiatique et Traditionnel de l'Art Royal (ici)
1982 - Grande Loge Mixte de France (ici)
1990 - Grande Loge Régulière Française
1994 - Grande Loge Unie de France
1995 - Grande Loge écossaise réformée et rectifiée d'Occitanie (ici)
1998 et suivantes : 10 obédiences se réclamant de la maçonnerie égyptienne.
1998 - Grande Loge Symbolique de France
2001 - Grand Prieuré des Gaules
2003 - Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité (ici)
2003 - Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France
2003 - Grande Orient Traditionnel de Méditerranée
2006 - Grande Loge Universelle de France (ici)
2008 - Grande Loge égyptienne de France
2009 - Grande Loge Maçonnique Française de Tradition (ici)
2010 - Grande Loge Mixte National
2012 - Grande Loge de l'Alliance Maçonnique de France (ici)
2012 - Grande Loge Traditionelle de France
2012 - Directoire National Rectifié de France - Grand Directoire des Gaules (ici)
2013 - Grande Loge Indépendante de France
Grande Loge Symbolique du Rire Ecossais Primitif
2013 - Grande Loge Européenne de la Fraternité Universelle
Et cette liste n'est évidemment pas exhaustive...
Le fait obédientiel est la principale cible.
Ce mouvement s'accompagne d'un discours quasi idéologique où la dénonciation de la "gabegie" des appareils maçonniques se mêle à celle de la "cordonnite". Et ce n'est pas le moindre des paradoxes puisque cette multiplication des obédiences entraîne mécaniquement la multiplication des cordons de "dignitaires" ! Au point que l'on peut parfois entendre dire que plus l'effectif est modeste, plus le tablier est généreux !
Dans ce discours, on retrouve la contestation des budgets jugés inutiles comme ceux des affaires extérieures (politique de développement, loges à l'étranger, déplacements), des frais généraux toujours contestés, des dépenses immobilières et patrimoniales. Ce qui n'empêche nullement ces micro obédiences d'aller frapper à la porte de celles qui possèdent des locaux pour se faire héberger !
Mais, et c'est le plus contestable car assez pernicieux et démagogique, ce discours s'appuie sur l'idée que la liberté du franc-maçon ne serait réelle qu'en l'absence d'une structure obédiencielle ! D'ailleurs l'obédience n'est définit dans un tel discours que comme une structure à laquelle "on obéït" quasiment "le doigt sur la couture du pantalon"...
Certes, il est peu charitable de se moquer d'un usage parcimonieux de l'intelligence, mais là, penser possible d'obtenir ce genre de résultat par exemple au GODF, c'est risquer la crampe des zygomatiques !
Cet argument n'est que foutaise ! Je le dis sans craindre la contestation. Qui l'utilise ignore totalement ce qu'est le principe de la souveraineté des loges, principe qui est la règle au Grand Orient de France. A moins que ce ne soit quelque rancoeur recuite... mais là, c'est tellement irrationnel qu'aucun argument ne peut l'épuiser ! Hélas, j'en connais pas mal d'exemples...
Défendre le fait obédientiel !
A rebours de ces argumentations, j'ai envie de dire ma conviction que, maçon favorable à l'engagement dans la cité, seule l'existence d'obédiences fortes et reconnues permet d'accompagner l'indispensable action des maçons !
Comment de pas voir que l'organisation de son indépendance, la capacité à offrir des conditions confortables et sécurisées pour se réunir, la mise en oeuvre d'une politique de rayonnement hors de l'hexagone, reposent sur l'existence d'une structure nationale stable, organisée, convenablement administrée, reposant sur des institutions gérées démocratiquement...
Certes, cela va de pair avec une franc-maçonnerie qui ne s'interdit pas de discuter des affaires de la cité, quelles qu'elles soient, qui ne pose aucun interdit, qui n'oblige pas ses membres à "se regarder pousser l'acacia"... Pour le dire autrement, je suis un maçon qui n'entend pas rester sur les bancs de sa loge dans la perspective de s'améliorer soi-même pour ensuite (éventuellement) améliorer la société... Non. Pour moi, le travail maçonnique est la mise en oeuvre dialectique de ces deux objectifs, c'est de travailler à les réaliser l'un par l'autre, simultanément.
C'est pourquoi il me paraît indispensable de pouvoir compter sur la force, la réprésentativité d'une obédience connue et reconnue des partenaires de la République. Qu'on le veuille ou non, bénéficier d'une telle notoriété fait gagner beaucoup de temps, un temps utile dans les circonstances d'urgence qui vont inéluctablement se présenter.
Alors, au moment où l'anti-maçonnisme fait l'objet d'un réel regain aux relents nauséabonds, où la République ne va pas bien, où l'éducation ne répond pas convenablement à sa mission, où les vagues de réfugiés qui déferlent sur notre partie de l'Europe se succèdent jour après jour et suppose la mise en place d'un énorme mouvement de solidarité aux multiples aspects, peut-on penser que la franc-maçonnerie puisse jouer son rôle sans obédience ?
Evidemment non. C'est devant ce type de difficultés sociale, sociétale et disons le, politique, que la multiplicité des micro-obédiences est une abondance qui peut nuire !
Gérard Contremoulin
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