1877, encore et toujours...
Volonté clairement exprimée de rompre avec la règle dogmatique qui rendait obligatoire la croyance en Dieu et en l'immortalité de l'âme, le voeu n° 9 du convent du GODF de 1877 ne laisse pas de produire ses effets, parfois surprenants !
Pour respectable qu'elle soit, "l'autre" volonté, celle qui consiste à prendre comme fondement de la "foi maçonnique" la croyance en un dieu, de se fonder sur Sa vérité révélée, de restaurer la Transcendance comme guide de la pensée, de faire apparaître Le Livre de la Loi Sacrée (très majoritairement la Bible) sur la table des serments -quand on ne l'appelle pas "l'Autel" des Serments- reste encore aujourd'hui un sujet au coeur du débat sur l'identité de la franc-maçonnerie.
C'est ce débat qui conduisent certains, comme notre ami Michel Singer, à considérer que le GODF (dont les loges pratiquent la décision de 1877) serait "l'association profane qui ressemble le plus à la franc-maçonnerie" (ici et ici).
Pourquoi une telle phrase ?
Parce que la décision de 1877 divise profondément les francs-maçons en deux familles dans ce qu'il faut bien appeler un schisme. D'autant que l'obligation de croire en Dieu s'accompagne, dans les obédiences qui l'acceptent, de trois prescriptions absolues : n'évoquer en Loge ni les sujets politiques ni les sujets religieux et refuser la mixité. Et pour faire bonne mesure, ils s'autoqualifient de "réguliers", suggérant que les autres ne le seraient pas. Ce qui entraîne qu'ils ne les reconnaissent pas comme francs-maçons !
D'où cette phrase de Michel...
Je lui donne acte bien volontiers que cette "non reconnaissance" officielle (Michel est aujourd'hui membre de la GL-AMF) ne l'a jamais conduit à me refuser cette reconnaissance à titre personnel.
Et si j'en suis heureux, il faut bien reconnaître que c'est bien là l'une des bizareries de ce type d'anathème...
Car dans la pratique quotidienne, beaucoup s'assoient plus ou moins allègrement sur cette "règle". Ils se rencontrent, se reconnaissent mutuellement et considèrent que c'est "normal". Il faut même ajouter, pour ce qui concerne beaucoup de loges au GODF, qu'elles accueillent les frères de la GLNF, de la GL-AMF, notamment, dans leurs travaux, y compris les cérémonies de réception !
Alors, faire le chemin à rebours ?
Fort judicieusement, et ce n'est pas la moindre des marques d'intelligence, deux Grands-Maîtres Jean-Pierre Servel (Grande Loge Nationale Française : obédience reconnue régulière par la Grande Loge Unie d'Angleterre et donc "officielle" dans le monde des "réguliers") et Daniel Keller (Grand Orient de France : obédience libérale adogmatique et donc "non régulière", ce que le GODF assume sans souci particulier) ont décidé de stopper cet anathème en proposant aux membres de leurs obédiences les "Rencontres Maçonniques La Fayette".
Les mots ont leur sens ici et le qualificatif de "maçonniques", accepté de part et d'autre, est le premier "petit pas" dans une stratégie qui va en demander beaucoup ! Il ne s'agit évidemment pas de parler, aujourd'hui, de reconnaissance.
En revanche, fallait-il continuer, 102 ans après la scission de 1913 et pour un siècle encore (!), à changer de trottoir pour ne pas se rencontrer ? Les Grands Maîtres ont choisi d'amorcer une autre dynamique.
Certes, il s'agit d'une initiative qui repose sur une décision des exécutifs de chaque obédience. Elle ne peut se substituer aux initiatives que peuvent prendre les loges et leurs membres. Mais plutôt que d'opposer ces deux types d'initiatives, ne vaut-il pas mieux de considérer qu'elles se complètent...
Que cette initiative provoque sa gamme de quolibets chez certains frères ne peut pas surprendre, tant beaucoup trouvent, dans le maintien de cette brouille, l'espace pour leur propre développement...
Rappelons nous tout de même que l'exigence majeure de l'Appel de Bâle, sur laquelle s'est échouée la recomposition du paysage maçonnique en France (sur les ruines escomptées de la GLNF), consistait à obliger la GLDF à "rompre sans ambiguité avec les obédiences non régulières"...
L'enjeu est pourtant capital pour la franc-maçonnerie puisqu'il concerne l'exercice de la liberté de conscience. En effet, ne plus soumettre le fait maçonnique à l'obligation de reconnaître une Existence d'un ordre supérieur, une Existence transcendante, ouvre la perspective de l'émancipation de toute tutelle à celles et ceux qui souhaitent mener leur cheminement par cette voie. Tel est le sens des qualificatifs de franc-maçonnerie "libérale" et "adogmatique".
Pourquoi n'y aurait-il de franc-maçonnerie qu'en référence à dieu ?
Certains considèrent comme un préalable à toute démarche initiatique qu'elle ne puisse se réaliser qu'à l'intérieur d'un cadre prédéterminé, inspiré par un "principe" d'ordre supérieur ayant révélé sa parole.
En revanche, ne pas poser ce préalable, ne pas en faire une exigence mais simplement une possibilité, c'est reconnaître qu'il n'existe pas de vérité révélée, pas de voie unique. En effet, ce qui est universel dans la franc-maçonnerie, c'est la démarche personnelle, quelles que soient les raisons qui la fonde. La démarche initiatique est une authentique démarche d'émancipation.
Pourquoi privilégier une voie religieuse à l'universalité maçonnique ?
Par universalité, on pourrait s'attendre à voir les francs-maçons s'accorder sur l'essentiel, par delà les spécificités de langues, de cultures, de rites, de sexe... Ce serait compter sans les surenchères auxquelles exposent l'envie de survaloriser sa différence ou sa spécificité comme facteur de dévelopement.
Dans cet exercice, périlleux, le fait d'interdire les sujets politiques ou sociétaux joue un rôle paradoxal. C'est en effet, dans les obédiences où cet interdit est la règle que tout se passe comme si on considérait ce sentiment est dominant dans la société.
Quel est-il ?
.../... la laïcité ne saurait être la négation du passé. La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû.
.../... Un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux.
.../... Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. .../... »
Dans cette idéologie, la "Lumière" ne peut pas venir d'une recherche humaine, de la Volonté de l'Homme de diriger sa vie. Elle ne peut venir que de la religion qui communique Le Sens aux hommes.
Gérard Contremoulin
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