Déchéance... M. le Président, retirez votre projet !
Qu'elle soit physique, de la nationalité, des droits civiques ou qu'elle soit morale, la déchéance est un "sâle" mot ! On comprend qu'il soit choyé par certains, on le comprend moins chez d'autres...
La notion de nationalité est consubstantielle non seulement de la République mais aussi de ce principe de base qui fonde la nation française : le droit du sol ! Ainsi est-on français dès lors que l'on naît sur le territoire national. Et le fait d'obtenir la nationalité française par acquisition ne confère pas à cette nationalité une autre nature. C'est l'application du principe d'égalité.
Dans son blog, Paul Quilès, ancien ministre de François Mitterrand, notamment de la Défense, attire notre attention sur cet aspect. Et comme toujours, en sage qu'il est, il marque sa retenue dans l'expression. Néanmoins, il souligne les dangers que prend le Président à agiter cette proposition, notamment sous l'angle de ce qu'il nomme la "triangulation".
Le code civil.
On peut également se demander à quoi peut bien servir une mesure qui n'entame aucunement la détermination de celles et ceux qu'elle vise... D'autant qu'il existe dans notre arsenal juridique de quoi réagir et notamment par cette "déchéance de nationalité". Elle figure dans le code civil (article 25) dans sa forme actuelle par la loi du 16 mars 1998.
L'historien Patrick Weil explique :
Patrick Weil.
Patrick Weil : L’article 23-7 du code civil prévoit depuis le 12 novembre 1938 la possibilité de déchoir de la nationalité un Français né français qui possède une autre nationalité.
Cette disposition fut adoptée par l’un des fameux décrets-lois d’Edouard Daladier, dans une période où l’on approchait de la guerre – Hitler était au pouvoir, l’Espagne était en guerre civile –, en contrepartie de l’acceptation très libérale de la double nationalité et en réaction à la loi de 1927 qui prévoyait par exemple la naturalisation après trois ans de séjour seulement.
Cette disposition a été maintenue après la Libération dans l’ordonnance de 1945 signée du général de Gaulle, et elle est donc intégrée à notre législation depuis 75 ans. Elle a été appliquée à quelques centaines de personnes, des collaborateurs après la guerre mais aussi des communistes pendant la guerre froide.
C'est dire très nettement que toute comparaison avec la période du régime de Pétain à Vichy, et notamment le traitement infligé à de très nombreux juifs ou au Général De Gaulle, est une absurdité, un non sens historique.
Tout juste peut on y voir un retour, rien moins que polémique, de l'usage incorrect du mot "guerre" à propos des actes barbares de Daesh. Car toute guerre a ses "terroristes", adjectif employé par un camp pour qualifier ceux et celles qui, dans l'autre, lui "résistent".
Dans le cas qui nous occupe, la fermeté doit être totale contre Daesh et celle de l'exécutif convient parfaitement à la situation. C'est d'ailleurs ainsi que le Parlement réuni à Versailles l'a unanimement exprimé !
La politique et le billard à cinq bandes....
Cette proposition de constitutionalisation vise donc d'autres buts...
L'émergence du Front National aux dernières élections modifie considérablement le panorama politique et introduit un solution de continuité dans les us et coutumes de la V° République. La logique politique de la V° République est celle du bipartisme (il n'y a que deux candidats au 2° tour !). Et comme il est peu probable qu'une réforme constitutionnelle soit engagée pour modifier cela d'ici les élections de 2017, c'est ce principe qui va encore jouer.
Or, aujourd'hui le panorama politique est constitué non plus de deux forces principales mais de trois. Comment faire entrer 3 en 2 ? Telle est l'équation politique de cette séquence... Dans la "triangulation" qu'évoque Paul Quilès et que j'ai nommé "tripartisme" dans une série de quatre articles publiés sur ma page personnelle Facebook, l'objectif est de constituer un front pour faire opposition à l'extrême droite et à la candidate du FN. Cette logique appelle une convergence, un reclassement des électeurs sur trois pôles : l'extrême droite, la droite et la gauche. Que ferait alors l'électorat de la gauche de la gauche dans une telle nouvelle donne ?
D'où les grandes manoeuvres pour tenter, d'ores et déjà, de tracer les contours de la future majorité, issue du 2° tour ! Et ceci, bien évidemment à gauche comme à droite !
Au delà du jeu politique (plutôt politicien d'ailleurs)...
A cette partie qui se joue et se jouera sur l'échiquier politique, on peut préférer celle qui va se jouer sur la table des valeurs. Et cet épisode de la proposition de constitutionalisation de la déchéance de la nationalité vient nous en rappeler l'urgente nécessité !
Les 7 et 9 janvier et le 13 novembre, ce sont nos valeurs, notre art de vivre, notre modèle démocratique et républicain qui étaient attaqués. Pouvons-nous céder, ne serait-ce qu'un pouce de ce modèle, dans la perspective de se rallier telle ou telle partie de l'électorat ? La question est même inconvenante...
Mais elle a déjà secrété son poison à en juger par les débats qu'elle génère...
Alors, au delà du jeu politique, ne faut-il pas en revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire aux valeurs de la République ? A ses principes, à sa devise, à son histoire on ne peut transiger et s'accomoder des "petites combines".
La qualité de français est consubstantielle de la nationalité, de naissance ou acquise. Elle est comme la République, une et indivisible.
Qu'ajouterait d'introduire dans la Constitution ce qui figure déjà dans le Code Civil ? Une satisfaction donnée à une frange du corps électoral ? Cette frange-là préfère -et de tout temps- l'original à la copie ! Cela ne servira strictement à rien... sauf à vous priver -définitivement- des soutiens qu'il vous reste.
Et comme le monde de l'humanisme n'est pas, inexorablement, celui de la bisounourserie (!), il va falloir remplacer la violence politicienne habituelle par le nombre d'humanistes qui auront à coeur de se mobiliser. Les urnes, c'est aussi (et même surtout) le nombre...
Alors, M. le Président, retirez votre projet, avant qu'il ne soit, vraiment, trop tard...
Gérard Contremoulin
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