R comme Réception ou I comme Initiation ?
La vie du franc-maçon, soeur ou frère, commence un jour par une cérémonie qui matérialise son entrée dans la franc-maçonnerie. Cette cérémonie porte, selon les auteurs et les rites soit le nom d'Initiation (presque tous les rites) soit le nom de Réception (Rite Français, version généralisée depuis Louis Amiable notamment). Pourquoi ?
On aurait tort de prendre ceci pour un souci polémique. Deux mots existent, il faut simplement chercher à comprendre pourquoi, en essayant de se frayer un chemin au milieu de la diversité des éléments de langage.
Héritier de la franc-maçonnerie du siècle des Lumières, le Rite Français, rite "officiel" du Grand Orient de France, c'est-à-dire le rite selon lequel se déroulent les travaux de ses différentes instances régionales et nationales, est basé sur le respect du principe de la Liberté Absolue de Conscience. Nulle obligation d'invocation, nulle obligation de croire ou de ne pas croire, nulle interdiction de débat ou de vote, souveraineté des Loges, séparation des pouvoirs... Ne devrait-on pas, au Rite Français, choisir d'employer plutôt le terme de "Réception" comme cela se fait déjà dans ses Ordres de Sagesse et dans certaines loges bleues...
Les autres rites, y compris lorsqu'ils sont pratiqués au GODF, parlent très généralement "d'Initiation".
Liberté Absolue de Conscience.
La liberté de conscience, telle qu'elle apparaît chez nos premiers frères anglais après un siècle et demi d'obligation de se reconnaître dans un même dieu, celui du monarque ("cujus regio, ejus religio"), est un principe qui les laissait libre de pratiquer, enfin, la religion de leur choix. Mais il n'arriverait à personne de penser n'en pratiquer aucune... On connait cette question que le Vénérable d'une loge anglaise pose à un profane, anecdote souvent rapportée par Roger Dachez :
- Do you believe in God ? Yes or No ?
- Which God ?
- That's your choice.
La question n'est pas de savoir lequel mais d'inscrire dans sa démarche personnelle le fait de croire, tout simplement...
La Liberté Absolue de Conscience ajoute à cette liberté, celle de pouvoir ne pas croire. C'est la source de ce principe qui a été adopté par le Convent de 1877, déjà évoqué, notamment ici. C'est cette décision qui a provoqué un "grand schisme" dans la maçonnerie à l'échelle mondiale.
Pourquoi deux mots ?
La différence tient dans la conception que l'on se fait de ce moment unique, de cette entrée officielle dans la franc-maçonnerie, ce qui renvoie inéluctablement à la définition de l'idéal maçonnique...
Dès lors, il est naturel de considérer qu'il s'agit soit d'une entrée soit d'un passage, soit d'un point de départ soit d'une transfiguration.
Quoiqu'il en soit, ce moment qui doit être célébré avec la plus grande solennité, ouvre au "profane" , homme ou femme, un univers nouveau qu'il découvre dès son premier pas dans le cabinet de réflexion. Et toute la suite de la cérémonie va le faire progresser, le faire cheminer symboliquement de l'ombre à la Lumière, vers la découverte de ses propres potentialités. C'est en ce sens qu'il est vécu comme un moment d'exception.
Parler de Réception met l'accent sur l'aspect progressif de l'initiation. Car, pour fondamentale qu'elle soit, cette cérémonie ne saurait marquer autre chose que le démarrage d'un processus. Et ce processus ne cesse jamais. Il accompagne le maçon toute sa vie durant, il est le maçon lui-même. C'est le sens de ce moment du rituel qui précise : "On s'initie soi-même".
Parler d'Initiation en revanche, met l'accent sur le saut qualitatif que représenterait le passage d'un état, celui de "profane" à un autre, celui "d'initié". C'est une manière de conférer à l'acte symbolique de "recevoir la Lumière" un caractère d'essence magique au terme duquel, l'individu serait changé par le seul fait de ce passage. De ce point de vue, cela donnerait un sens particulier à la démarche initiatique qui ne peut être que progressive...
Ce sont là deux conceptions assez dissemblables d'une même cérémonie maçonnique. Elles illustrent les différences d'approches qui coexistent en franc-maçonnerie. La question n'est pas de déterminer s'il y a une bonne ou une mauvaise conception mais plutôt de comprendre, puisque le profane n'est pas en situation de choisir, la philosophie qui la soutend.
Ensuite, le maçon aura la possibilité d'approfondir ce choix et, éventuellement, lorsqu'il sera devenu Maître, d'intervenir pour en modifier le cours. C'est la caractéristique du Rite Français que de laisser la possibilité à celles et à ceux qui le pratiquent, d'apporter des modifications dans les rituels si la Loge en ressent la nécessité (principe de souveraineté des loges au GODF). Ils ont ainsi l'opportunité de travailler la cohérence philosophique dans la poursuite du cheminement initiatique.
Et notamment celle exprimé par l'article premier de la Constitution du GODF, dont la lecture, obligatoire à chaque ouverture des travaux, constitue la seule obligation rituélique d'une loge, et ce, quel que soit son rite. Ses principes constituent l'épine dorsale de l'identité de l'obédience.
CONSTITUTION du Grand Orient de France
Principes Généraux de l'Ordre Maçonnique
ARTICLE PREMIER
La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité.
Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience.
Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l'appréciation individuelle de ses membres, elle se refuse à toute affirmation dogmatique.
Elle attache une importance fondamentale à la Laïcité.
Elle a pour devise : Liberté, Egalité, Fraternité.
Gérard Contremoulin
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