Oecuménisme et/ou République.
L'assassinat djihadiste perpétré à Saint-Etienne du Rouvray suscite une mouvement d'une ampleur inédite où se mêlent expressions de solidarité, de compassion, d'oecuménisme... Et une grande absente, la Laïcité !
D'autant plus absente quand le président de la République déclare, à Saint-Etienne du Rouvray :
"J'adresse aux familles des victimes ainsi qu’à l’ensemble des catholiques de France, la solidarité et la compassion de la Nation"
Il commet alors une grave erreur. Il isole les catholiques, et ce faisant, il les reconnaît comme communauté distincte et les légitime en tant que telle ! Dans cette situation, le Chef de l'Etat en France ne doit connaître que la communauté nationale et lorsqu'il exprime "la compassion de la Nation", c'est au citoyen français, Jacques Hamel, victime d'un attentat djihadiste, même s'il était dans l'exercice de ses fonctions sacerdotales.
Oecuménisme...
Dans un mouvement étendu à l'ensemble du territoire, les musulmans étaient appelés à se rendre aux messes catholiques dominicales de ce dimanche 31 juillet. Et cet appel semble avoir reçu un large écho. Les manifestations de compassion constituent avant tout un réflexe humain très gratifiant tant pour celui qui le fait que pour celui qui le reçoit. Et la période conduit à interpréter tout signe compassionnel comme un dépassement des frontières qui existent entre ces différentes "communautés"...
Faut-il y voir néanmoins, comme certains, un rapprochement oecuménique ? La question mérite attention. Est-ce bien le terrain ad equat ? Faut-il passer par le canal religieux et ici, interreligieux, pour avoir la capacité de ressentir la douleur d'un tel drame, d'exprimer sa solidarité avec les victimes et leurs familles, d'exprimer sa désapprobation devant ce type d'horreur ?
Ensemble dans le respect de tous !
Le discours, plein de dignité et d'émotion, du Maire de Saint-Etienne-du-Rouvray, Hubert Wulfranc, apporte un élément significatif de réponse. Dans une déclaration devant la mairie de Saint-Etienne-du-Rouvray, il conclue ainsi :
"Insoutenable, dont j'ai dit à M. le président de la République qu'il était impérativement nécessaire qu'il ne se reproduise plus. Soyons ensemble les derniers à pleurer et soyons ensemble les derniers à être debout contre la barbarie et dans le respect de tous"
Puis lors de l'hommage public auquel il avait appelé toute la population...
"Nous nous assignons ensemble le devoir de fraternité. pour nous reconstruire ensemble dans notre quotidien. J'exhorte tous les adultes à s'y préparer dans la réflexion"
Elu du suffrage universel, Hubert Wulfranc, exprime la nécessité d'une réponse universelle à la barbarie "dans le respect de tous". Il est, lui, dans son rôle.
A quelques mois de l'élection qui constitue la clé de voûte institutionnelle de la V° République, et particulièrement dans ce contexte nauséabond, le rappel au principe constitutionnel de Laïcité
"La France est une République indivisible, laïque démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances."
(extrait de l'article premier de la Constitution).
Car aucune foi n'est supérieure à la Loi.
La République indivisible ne peut connaître qu'une seule loi pour tous ses citoyens. Il est de ce point de vue particulièrement dommageable que le conseil constitutionnel ait pu laisser échapper par une vigilance plus que défaillante quelques scories comme le concordat de 1801 pour les départements d'Alsace-Moselle ou encore pour les territoires de Mayotte et de Polynésie. Car l'exigence républicaine ne doit pas être prise en défaut : aucune foi n'est supérieure à la loi...
Aucun pouvoir public ne peut, non plus, être soumis à aucune autre règle de droit que la Constitution, loi fondamentale de la République. C'est bien toute la difficulté que nos amis canadiens se sont créés à eux-mêmes et dont ils payent le prix fort avec leurs "accomodements raisonnables". C'est la revendication première des islamistes pour qui la Charia doit primer. C'est ce vers quoi tend toute religion : transformer sa foi en règle universelle. Et ce de tout temps et sous toute latitude...
Religions du Livre et violence intrinsèque.
On oppose parfois la Bible et le Coran sur la nature violente de ces religions. L'argument tient en ce que nulle ligne de la Bible ne contiendrait la moindre recommandation explicite à la "guerre sainte" à la différence du Coran...
Cet argument, même manié avec finesse, laisse perplexe, notamment au regard des attitudes et des stratégies "temporelles" du clergé catholique... Un clergé dont la piussance tient à la fois au lien qu'elle assure entre les fidèles et la foi et à sa grande hiérarchisation. C'est ainsi qu'il faut examiner, par exemple, le sens à donner :
- aux croisades,
- à la création et à la mission de "La Sainte Inquisition",
- à la nuit de la Saint Barthélémy ?
- à l'attitude à tout le moins modérée du Vatican à l'égard du 3° Reich, tant dans ses relations avec Adolf Hitler que lors de la dissimulation des criminels nazis dans un certain nombre de couvents,
- aux bénédictions que donnait le cardinal Francis Spellman, évêque des armées des USA, aux fameux bombardiers B 52 partant pour le Viet Nam...
Violence intellectuelle.
La stratégie vaticane épouse également les perspectives de la diplomatie, visant son propre développement. C'est ainsi que l'on pourrait évoquer les moyens humains et matériels mis en place par le Vatican (350 lobbyistes) auprès des instances européennes pour infléchir leurs décisions dans un sens favorables non pas à l'oecuménisme mais à l'église de Rome... On l'a vu dans le projet de Traité Constitutionnel Européen et l'affaire des "origines chrétiennes" de l'Europe.
On a entendu comment cette stratégie s'appuyait sur cette bien curieuse proclamation, d'un point de vue historique, que la France serait "la fille ainée de l'Eglise"...
C'est cet ensemble qu'il faut considérer, à l'échelle des deux millénaires, pour apprécier et comparer les religions du Livre. Et pas seulement la lettre de ces textes. Ils ont donné lieu à des réalités beaucoup moins spirituelles, à des concrétisations parfois honteuses, féroces, voire totalement scandaleuses.
Le monde tournerait mieux s'il était laïque.
C'est le message que le garant des Institutions républicaines, le président de la République, devrait avoir à coeur de porter en toutes circonstances, notamment les plus dramatiques, devant les français. Tirer les leçons de l'histoire, comprendre comment la loi de 1905, loi de compromis, contient les conditions du Vivre Ensemble républicain. Comment la liberté n'est que le fruit d'un combat...
Or, depuis son adoption voici 111 ans, l'église catholique et ses séïdes, religieux ou laïcs, n'ont eu de cesse d'en réduire la portée, de la dénaturer et tenter, depuis la loi Debré sur l'école, d'organiser la concurrence entre école publique et école privée, toujours un peu plus en faveur de la seconde ! Les pouvoirs publics l'ont rarement défendu, en tout cas pas comme ils l'auraient dù. Certains élus, y compris socialistes, ont aiguisés des armes pour détourner la loi relativement aux financements des lieux de cultes... Ils présentaient ces détournements comme autant d'investissements pour l'insertion dans la communauté nationale. On constate, aujourd'hui, que cette stratégie n'a servi à rien !
On peut retrouver une excellente analyse de cette situation dans les ouvrages d'Eddy Khaldi sur l'école de la République, la Laïcité...
- La République contre son école (avec Muriel Fitoussi)
- Main basse sur l'école publique (avec Muriel Fitoussi)
- ABC de la Laïcité (avec Alf)
Gérard Contremoulin
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