1786 – 2016. Le 230° anniversaire de l’agrégation du GCG au GODF…
Cet article préparé pour JOABEN, la revue du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France, la juridiction des Ordres de Sagesse de Rite Français, est publié ici en quatre parties, avec l'autorisation de son rédacteur en chef, Jean Xech.
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Première partie.
L’agrégation du GCG au GODF…
C’est bien un « événement » qui survient le 17 février 1786. L’agrégation du Grand Chapitre Général au Grand Orient de France institue le continuum initiatique d’une démarche et tire les leçons de la consubstantialité de ces deux structures. Et ce continuum repose sur une même manière de maçonner, une même éthique maçonnique, un contenu initiatique spécifique, qui s’est élaboré au fil des années et des expériences.
Une première étape décisive est accomplie si l’on observe le résultat de soixante années de maturation d’un rite primordial qui vient de la Grande Loge de Londres et de Westminster (créée en juin 1717[1]), que ses détracteurs qualifieront plus tard de Grande Loge des Moderns.
Car celle que l’on qualifie aujourd’hui de franc maçonnerie libérale adogmatique est l’héritière en ligne directe de cette maçonnerie anglaise qui arrive sur le vieux continent dès 1723. Elle y pratique le rite des Moderns, ce rite qui va prendre le nom du pays où il se pratique … Français comme l’ont très bien montré Cécile Révauger et Ludovic Marcos[2]. Même si cette appellation ne lui sera attribuée qu’au XIX° siècle pour le différencier d’un rite qui apparaît alors à partir de 1804 sous le nom de REAA[3], Rite Ecossais Ancien, Accepté.
Pour en mesurer l’impact réel, encore faut-il rétablir le Rite Français dans sa filiation historique et dans ses droits patrimoniaux initiatiques, encore faut-il prendre conscience qu’il est donc le rite de fondation de la franc-maçonnerie du Siècle des Lumières.
Il est aussi le plus ancien système maçonnique ayant existé…[4] Et il était utile d’entendre Antoine Faivre dire qu’on ne pouvait vraiment parler de franc-maçonnerie que lorsque l’on était en présence d’un système complet, c’est-à-dire grades bleus et « hauts-grades…[5] à disposition des maçons qui veulent les pratiquer. Ce qui n’équivaut évidemment pas à dire qu’il n’y aurait de vrais maçons que ceux qui les pratiquent… !
Des différentes étapes du processus qui voit émerger la franc-maçonnerie libérale, une deuxième étape importante est franchie lorsqu’en 1773, la première Grande Loge de France se consolide en Grand Orient de France avec la réforme voulue par Montmorency-Luxembourg. La première obédience en France, ainsi constituée, épousait les valeurs montantes de son temps.
Célébrer le 230° anniversaire de l’agrégation du GCG au GODF c’est non seulement rendre hommage à une décision historique féconde, mais c’est aussi témoigner aujourd’hui de la vivacité d’un projet ambitieux au cœur de la question du devenir de l’Homme et de sa capacité à agir sur la société de son temps. C’est rendre hommage à la pérennité de ce projet au travers les âges.
Un axe philosophique : la liberté de conscience.
Dans un monde maçonnique empreint de liberté de conscience au sens que lui donnent les premiers maçons anglais, ce qui importe c’est de pouvoir choisir sa divinité. Après 150 ans, l’obligation qu’ils avaient d’épouser la croyance du roi (selon le principe issu de la paix d’Augsbourg « cujus regio, ejus religio »[6]), cette nouvelle liberté leur ouvrait une voie inédite. Mais au-delà, cette liberté fécondera la franc-maçonnerie. En se transformant, elle va se propager sur le vieux continent.
En effet, selon un processus de maturation propre à la philosophie des Lumières, elle va se revendiquer comme liberté non pas relative mais absolue. Et ce sera l’enseignement fondamental dont elle va ensemencer le XVIII° siècle : on peut ne pas croire !
La faculté de raisonner, le Sapere Aude[7], peut assurer à l’Homme, s’il le veut, s’il le décide, les moyens de son émancipation et lui ouvrir la voie du bonheur. Ce bonheur n’est plus un « au-delà », le bonheur peut légitimement être une construction terrestre. L’Homme devient la mesure de toute chose !
Et, alors que l’hermétisme et l’ésotérisme font florès dans certains esprits, pourquoi ne pas évoquer la Table d’Émeraude et son allégorie qui peuvent donc se considérer aussi à partir de l’Homme lui-même dans ses différentes dimensions, le corps et l’esprit, la pensée et l’action, comme aussi sur sa dimension d’être social, c’est-à-dire l’individu et la société. L’En bas et l’En haut peuvent aussi s’incarner dans l’Homme[8].
Cette révolution copernicienne innerve la franc-maçonnerie et lui confère une valeur fondamentale qui la fait basculer dans la modernité. L’effervescence qui règne alors dans les milieux intellectuels sous l’impulsion des Lumières va générer une philosophie humaniste totalement nouvelle, « révolutionnaire » au sens premier.
On convoque la décision de 1877 qui supprime l’obligation de croire en dieu et en l’immortalité de l’âme pour devenir membre du Grand Orient de France…
Accepter que certains puissent croire et, simultanément dans la même obédience, dans la même loge, que d’autres puissent ne pas croire institue le principe de cet absolu en matière de liberté de conscience dont nous pouvons être particulièrement fiers ! Et s’il guide Frédéric Desmons dans son argumentation[9] « lumineuse » pour soutenir le vœu n° IX au convent de 1877, c’est parce que cette idée, ancienne, structure en réalité la progression du travail maçonnique de Rite Français.
L’habitude que nous en avons aujourd’hui ne doit pas nous faire oublier ce que cela représente dans le contexte de l’époque…
Un axe unificateur.
Si l’un des points centraux de la réforme de 1773 tient en ce que désormais les vénérables des loges de l’obédience soient soumis à la procédure démocratique ( ! pour l’époque) de l’élection annuelle, il en faut souligner un autre, déterminant pour la suite, le travail de la chambre des grades qui, dès 1782 avec Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau, va trier, classer, ordonner parmi le foisonnement des systèmes en cours et surtout écrire, élaborer celui qui va s’établir comme le système maçonnique de référence en trois grades et quatre ordres plus un, qui devient le texte de référence du Rite Français sous le nom de Régulateur des Chevaliers Maçons élaborés entre 1784 et 1786 et imprimé en 1801.
Le Grand Orient de France peut désormais s’appuyer sur lui, tant dans les ateliers bleus que dans les grades « après la Maîtrise »[10].
Pour être complet, un 2° rite est intégré au GODF en 1776, le Régime Ecossais Rectifié[11].
Si, à la veille de la Révolution, la conjoncture laisse peu de temps à la nouvelle organisation pour se mettre en place, ce sont néanmoins plus de soixante chapitres qui rejoindront ou seront constitués par le Grand Orient « en son Grand Chapitre Général » jusqu’en 1789. A plus d’un titre, ce dernier apparaît comme la première Obédience de « Hauts Grades » au sens classique que prendra le mot au XIXe siècle.
à suivre
Gérard Contremoulin
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[1] 1717 est aussi l’année (la première) que Voltaire passe à la Bastille, suite de son pamphlet contre le Duc d’Orléans… Voir « Deux siècles et demi d’histoire du GODF », Éditions Internationales du Patrimoine, Paris, 2016
[2] Ludovic Marcos, in « Histoire illustrée du Rite Français », Paris, Dervy, 2013
[3] Ludovic Marcos, Cécile Révauger in « Les Ordres de Sagesse du Rite Français », Dervy, 2015, page 64
[4] Roger Dachez, Conférence à la GLFF sur le Rite Français, 29.04.2013
[5] Antoine Faivre, GLNF, 2° Rencontre Maçonnique La Fayette, 8 juin 2016, rue Christine de Pisan
[6] « Tel prince, telle religion », règle selon laquelle la religion du peuple est nécessairement celle de son roi. Cf. La Paix d’Augsbourg en Allemagne, 25 septembre 1555.
[7] « Sapere Aude : Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Telle est la devise des Lumières » Traduction d’Emmanuel Kant.
[8] Céline Bryon-Portet, GODF, Antoine Faivre, GLNF, 2° Rencontre Maçonnique La Fayette, GLNF, 8 juin 2016, rue Christine de Pisan
[9] Voir « Constitution et Règlement Général » du GODF », commentaire de l’article 1° de la Constitution du GODF.
[10] Intitulé d’une plaquette du GODF sur la présentation des juridictions « après la Maîtrise »
[11] Voir la Table chronologique, année 1776 dans la quatrième partie, à venir.