Regrets. Heureux qui comme Ulysse
Regrets.
XXXI
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage !
Quand reverray-je, helas, de mon petit village
Fumer la cheminee, et en quelle saison
Reverray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?
Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux ;
Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine,
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.
Heureux qui comme Ulysse est le 31° des 191 sonnets, tous en alexandrins, publiés en 1558 dans le recueil "Les Regrets". Le style qu'il y développe, la mélancolie, est une caratéristique de cette période.
Joachim du Bellay est à l'origine, avec Pierre de Ronsard, de "La Pléïade", groupe de poêtes du XVI° siècle qui joua un rôle majeur dans l'évolution de la poêsie française. "La Défense et illustration de la langue française", oeuvre de Du Bellay, en est considéré comme le manifeste.
Les poètes de La Pléïade se réunissaient au "Cabaret de La Pomme de Pin", face à l'église de La-Madeleine-en-la-Cité, démolie à la Révolution, sur l'emplacement de laquelle se trouve aujourd'hui la partie de l'Hotel-Dieu située rue de Lutèce.
Avec ce 18° poême, un petit clin d'oeil à un ami cher, déjà populaire au XVI° siècle...
XVIII
Si tu ne sçais, Morel, ce que je fais ici,
Je ne fais pas l’amour ni autre tel ouvrage :
Je courtise mon maistre, et si fais davantage,
Ayant de sa maison le principal souci.
Mon Dieu (ce diras-tu), quel miracle est-ce ci,
Que de voir Du Bellay se mesler du mesnage,
Et composer des vers en un autre langage ?
Les loups et les aigneaux s’accordent tout ainsi.
Voilà que c’est, Morel : la douce poesie
M’accompagne par tout, sans qu’autre fantasie
En si plaisant labeur me puisse rendre oisif.
Mais tu me respondras : Donne, si tu es sage,
De bonne heure congé au cheval qui est d’aage,
De peur qu’il ne s’empire, et devienne poussif.
GC
_________________________________________________________