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Le Blog pour Tous d'un franc-maçon. "La loi morale au fond de notre coeur et la voute étoilée au dessus de notre tête". Emmanuel Kant Les pseudonymes ne sont plus acceptés pour les commentaires. (4.11.2018)

24 Dec

Eloge de la controverse, à propos du livre de Coutel et Dubois, par Patrick Kessel

Publié par Sous la Voûte étoilée  - Catégories :  #Laïcité - Religions

Eloge de la controverse, à propos du livre de Coutel et Dubois, par Patrick Kessel

Patrick Kessel, Président du Comité Laïcité République, nous livre une recension du livre de Charles Coutel et Jean-Pierre Dubois "Vous avez dit laïcité", aux éditions du Cerf, nov. 2016.

 

 

 

Une bonne controverse vaut toujours mieux qu'une méchante polémique. Il en fut ainsi de la célèbre dispute de Valladolid, Charles Quint convoquant Bartolomé de Las Casas et Juan Gires à débattre afin de savoir quel sort réserver aux Indiens d'Amérique.

 

Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme, et Charles Coutel, professeur émérite des universités en philosophie, vice-président du Comité Laïcité République, ont ainsi aimablement croisé le fer afin de tenter de lever la confusion qui s'est abattue sur la laïcité au point de la fragiliser. Et de diviser la droite et la gauche plus profondément encore.

 

 

Charles Coutel - Jean-Pierre DuboisCharles Coutel - Jean-Pierre Dubois

Charles Coutel - Jean-Pierre Dubois

Les deux débatteurs ne cèdent ni à la palabre, ni à l'ergotage. Mais disons-le tout net, irréductibles au début, les positions le demeurent au terme de l'exercice. Ce sont ces échanges qu'ils publient dans un ouvrage, Vous avez dit laïcité ? (Ed du Cerf - nov. 2016).

Eloge de la controverse, à propos du livre de Coutel et Dubois, par Patrick Kessel

 

Afin de débattre sérieusement, les deux intervenants commencent par préciser le sens des mots, souvent détournés, manipulés, intentionnellement ou non. Jean-Pierre Dubois estime ainsi que "la laïcité est d'abord un esprit, un idéal, un projet". Charles Coutel rappelle qu'elle "n'est pas une simple neutralité, qu'elle suppose "la volonté de se libérer et de refuser le monde tel qu'il va". En accolant une épithète au mot laïcité, ses adversaires ont essayé de la vider de sa substance. De même souligne-t-il l'ambivalence du "slogan vivre-ensemble", dès lors que l'expression vise souvent à faire cohabiter des communautés différentes en lieu et place de citoyens libres et égaux.

 

Le débat s'anime dès lors que les protagonistes abordent les questions qui fâchent :  le voile dans les lieux d'enseignement, crèches, écoles, universités, les revendications communautaristes dans des hôpitaux, des transports, des entreprises, des prisons, le sport, l'organisation de l'islam en France, les arrêts du Conseil d'Etat ...

L'école, bien sûr, occupe une place de choix. Sur les traces de Condorcet, dont il est un spécialiste, Charles Coutel réaffirme le lien consubstantiel de l'instruction du peuple avec la République. L'école a pour mission première de former les enfants, quelles que soient leurs origines, à devenir des citoyens libres et égaux en droits. D'où l'ardente nécessité dit-il, d'œuvrer à la "réinstitution conjointe de la République et de son école".

 

Jean-Pierre Dubois, estime « qu’on n'émancipe jamais les gens de force". Opposé aux lois de 2004 sur le port ostentatoire de signes religieux à l'école et de 2010 sur l'interdiction de la burqa sur la voie publique, il affirme que  "l'essentiel est ce qu'il y a dans les têtes et non ce qui les recouvre". Pas question donc de répondre aux provocations identitaires par "de nouvelles interdictions", répond-il à Coutel qui est favorable à une "extension raisonnée et consensuelle" de la loi de 2004 à l'enseignement supérieur, dans les salles de cours mais non sur les campus.  "Il ne faut pas s'enfermer dans un dogme laïque qui neutraliserait les expressions individuelles dès lors qu'elles nous déplaisent", rétorque Dubois pour qui, "dévoiler constitue le symétrique de voiler". Il en déduit que "ce n'est pas l'individu qui doit se couler dans le moule mais la société qui doit lui permettre de rester lui-même".

 

Cette fois, la fracture se révèle dans sa profondeur, béante. La laïcité se trouve renvoyée dos à dos avec les religions, comme si elle était elle-même, une opinion parmi d’autres ! Alors qu'elle est celle qui permet l'expression de toutes. A ce petit jeu du relativisme, il est aussi possible de condamner les Lumières et l'universalisme des Droits de l'Homme et du citoyen ! Ce n'est certes pas le propos que tient Jean-Pierre Dubois qui réaffirme son attachement à l'égalité des droits, mais celui que développent des différencialistes pour qui ces grands principes ne seraient qu'idéologie et devraient être négociés en fonction des cultures et religions d'origine.

 

Autre ligne de fracture : le déterminisme social. La montée des revendications et provocations communautaristes, s'explique par des causes essentiellement sociales, poursuit Dubois. Elles appellent donc un traitement social. Cette thèse, dans sa version la plus radicale, conduit à présenter l'islamisme comme une réaction de victimes du colonialisme, voire l'expression d'un nouveau prolétariat en lutte contre le capitalisme !  Tandis que les défenseurs d'une laïcité sans qualificatif, applicable à tous, se retrouvent accusés de "colonialisme", de "xénophobie", de "racisme". C'est l'arroseur-arrosé !

 

  Charles Coutel répond que la défense du principe de laïcité ne saurait se séparer de la solidarité socio-économique. Mais elle ne saurait non plus s'y réduire quasi-mécaniquement. C'est pourquoi, rappelle-t-il, le Comité Laïcité République a toujours promu une République "laïque et sociale". La difficulté actuelle, explique-t-il, tient au fait qu'une partie de la gauche, sensible aux sirènes sociales du communautarisme, a abandonné le terrain de la laïcité et que l'extrême-droite s'y est engouffrée pour la détourner, alors que toute son histoire est liée à une conception de l'identité française qui n'a rien de laïque !

 

La situation est inquiétante poursuit le philosophe, directeur de l'Institut d'étude des faits religieux. "Un esprit munichois menace devant l'offensive salafiste ". "Le modèle intégrateur est en panne". "L'électoralisme contribue à ethniciser les campagnes électorales et à confessionnaliser les électorats". "On glisse de la nation civique à une communauté de communautés". "Les terroristes savent jouer de ces contradictions pour s'implanter", constate-t-il. Une parole trop souvent perçue comme politiquement incorrecte mais qui prend tout son sens au lendemain de l'attentat de Berlin alors qu'on disait l'Allemagne immunisée dès lors qu'elle n'avait pas de passé colonial dans les pays arabes ni ne pratiquait de laïcité ferme!

 

Coutel prône l'intégration républicaine, généreuse et rigoureuse. Cela n'interdit pas des évolutions. Ainsi, la République pourrait-elle officialiser certaines fêtes religieuses musulmanes, juives ou bouddhistes ainsi que le 9 décembre, date d'entrée en vigueur de la loi de séparation, pour marquer la dimension universaliste de la citoyenneté, suggère-t-il. En revanche, estime-t-il, « les hôtes de la France doivent accepter sa langue, son art de vivre, sa culture, sa civilité et toutes les lois de la République ». Et de proposer d'inscrire la laïcité dans la devise républicaine.

 

Jean-Pierre Dubois s'insurge contre ce qu'il considère comme une "injonction à dire : devenez comme nous". "Ce serait procéder comme en Iran, dit-il. "On va mesurer à Téhéran combien de cheveux peuvent être montrés, ici combien de cheveux peuvent être cachés!". Probablement l'ancien Président de la LDH a-t-il oublié que sous ce régime, des femmes risquent la bastonnade et parfois la mort si elles refusent de porter le voile. Et sous-estime-t-il ce que le politologue Laurent Bouvet appelle "l'insécurité culturelle des Français".

 

Que faire ? Dubois propose un traitement pragmatique des questions, au fur et à mesure qu'elles se posent. Ainsi considère-t-il la jurisprudence du Conseil d'Etat comme un "exemple remarquable de ce pragmatisme intelligent qui cherche à régler les problèmes à mesure qu'ils se posent » ! Le récent arrêt du Conseil donnant la possibilité, même sous conditions, d'installer des crèches dans des mairies, conduit pour le moins à en douter !

Coutel, au contraire, exprime son inquiétude face à la dégradation de la situation et propose une "laïcité stricte". Selon lui, "il convient "de cesser de pactiser avec les communautarismes" qui "préparent une véritable guerre civile que nous pouvons encore éviter".

 

La controverse eut lieu en 1905. Car la loi de séparation ne fut pas le fruit d'un aimable dialogue entre l'Eglise et la République mais l'aboutissement d'une dispute longue et ardue entre Républicains.

Un tel dialogue est-il encore possible aujourd’hui ? Le débat entre républicains honnêtes n'est jamais inutile. Dubois et Coutel ont le mérite d'essayer dans le respect mutuel qui, trop souvent fait défaut dans le débat public. Peut-il être élargi ou faut-il se résigner à cette fracture ?

 

 A quelques coudées de l'élection présidentielle, alors que l'extrême-droite et la "catho-laïcité" signent leur retour sur le devant de la scène, que la peur de l'islamisme nourrit la xénophobie, il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour estimer que le temps presse et qu'il convient de rassembler autour des valeurs de la République et de la laïcité.


 

Quelques extraits, ici.

 

GC

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C
Si on veut bien ouvrir la "boîte noire" des croyances et cesser de généraliser abusivement, on trouve dans l'idéologie islamiste le contraire de tous les idéaux de la LDH. Comment comprendre un tel aveuglement ?
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C
Ce dialogue s'interdit d'ouvrir la "boîte noire" des croyances. Si on veut bien prendre au sérieux les affirmations islamistes, au lieu de les généraliser (trop) généreusement, on découvre le programme le plus opposé possible à celui de la Ligue des droits de l'Homme. Comment peut-on se suicider intellectuellement avec tant de virtuosité ?
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M
Tout d'abord merci pour ce résumé !<br /> <br /> L'approche pronée par la LDH ne cesse de m'interroger. Si les droits de l'Homme sont un objectif, un guide, ils ne sont pas l'alpha et l'omega de la construction républicaine et sociale. Il existe des valeurs supérieures (le concept de République et donc de bien commun, la sureté de l'espace public, etc...) qui fondent notre République. La question de la mesure entre priorités et dispositions attentant aux libertés est affaire de oconsensus et d'organisation démocratique.<br /> <br /> D'autre part, les DHC ne peuvent s'appliquer que sur des hommes libres, émancipés. Or le contexte de cette émancipation est seulement présupposé dans la DUDHC, on ne dit pas comment y arriver :) Pour ça, il nous faut l'instruction émancipatrice, laïque donc, dans une République.<br /> <br /> L'accusation de relativisme, avec en filligrane celle de nihilisme, est lancée un peu vite à mon goût. En effet, toute considération humaniste universelle conduit immanquablement à un relativisme des valeurs et à la fin de la morale. Cependant, rien ne nous interdit, une fois l'égalité morale de ces valeurs reconnues, d'en *choisir* , puis de les classer, selon des critères arbitraires assumés ! Le relativisme doit être atteint pour pouvoir être dépassé...<br /> <br /> Ce n'est pas parce qu'on reconnait que l'universalité de la condition humaine est une position idéologique qu'elle en est moins forte : elle constitue un choix de société assumé par les pères de la République (française, je précise...) et elle détermine une hiérarchie de valeurs, chose que les simples DHC ne peuvent faire. Ce dernier point montre d'ailleurs à quel point les DHC ne peuvent constituer un système politique cohérent à eux seuls. Pour exemple, il suffit de regarder le concept d'Egalité : l'égalité réelle existe t-elle réellement ? Même en droit ? Mais doit on, pour autant, jeter ce concept et construire une société qui tiendrait compte des différences entre individus ? Non, bien sûr : même si elle n'a pas de réalité, l'idée d'Egalité est un choix, une valeur assumée, un pas au delà du relativisme.<br /> <br /> L'émancipation des individus n'est pas une position plus ou moins laïque, c'est une nécessité de la République. Le cadre scolaire, le cadre de formation des citoyens (c'est bien le rôle de l'école, non ?) se doit de présenter des faits, des savoirs qui peuvent être discutés, débattus, ainsi que des moyens d'en débattre. C'est à l'école qu'on apprend qu'il n'y a pas de règle qui ne puisse être justifiée, qu'il n'y a pas de loi qui descende du ciel : tout ce que nous vivons entre nous procède d'une logique, découle de principes fondamentaux.<br /> <br /> De même que la Science est un système de création de consensus, par preuve et par reproduction, dont le but n'est pas la Vérité mais bien l'évolution et le partage des connaissances, la République et ses institutions sont des instruments de création de société, basée sur le consensus généré par la démocratie et des valeurs de base. Le consensus social ne peut exister que par un langage commun, la laïcité, comme la discussion scientifique ne peut exister que dans un cadre logique déterminé.<br /> <br /> Que cela peut il signifier concrètement ? Tout simplement que lorsque des valeurs se confrontent (par exemple expression personnelle et ordre public, ou expression personnelle et nécessaire neutralité de l'environnement scolaire) la laïcité amène plusieurs voies de résolution du problème. La dernière de ces voies est le recours à l'expression démocratique : c'est certes un aveu de faiblesse, parce qu'on prend pour loi une expression "morale", dénuée de justification rationnelle, mais au moins on a une règle jusitifiée si ce n'est juste.<br /> <br /> Vous voulez que le port du voile soit interdit en université ? Ou autorisé ? Faut il protéger certaines personnes d'elles mêmes ou leur laisser un maximum de liberté individuelle ? Il ne s'agit pas de dire qu'un principe s'applique mieux qu'un autre : ils s'appliquent tous en même temps. Il s'agit en revanche d'ordonner les valeurs : votez !
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