Lettre ouverte aux francs-maçons qui éprouveraient des sympathies frontistes...
A celles et ceux de mes frères et de mes soeurs,
francs-maçons,
sensibles à tout ou partie des idées de l'extrême droite, qu'elle soit incarnée dans le Front National (FN), dans le Rassemblement Bleu Marine (RBM) ou dans les divers groupuscules identitaires, nationalistes, intégristes, ou qui revendiquent une volonté d'exclusion,
j'adresse ces lignes...
Depuis des années, et notamment depuis l'ouverture de ce blog, voici six années révolues, je développe cette conviction que le FN n'est pas "GO-compatible", et pour être complet, n'est pas "FM-compatible"... pour des raisons avant tout philosophiques.
Je ne comprends pas cette dichotomie selon laquelle en loge on se situerait dans une démarche d'émancipation intellectuelle et sociale, que l'on travaillerait "au progrès de l'Humanité", à son "amélioration matérielle et morale" et à l'extérieur, on accepterait, voire revendiquerait, la ségrégation entre les êtres humains en fonction de leurs origines : "préférence nationale", retrait de certaines aides sociales pour les non nationaux, etc.
Je suis même convaincu qu'il s'agit d'un grand écart tel que ces deux appartenances ne sont absolument pas compatibles, et qu'il vaudrait mieux reconnaître, les uns et les autres, que nos chemins se séparent... Nous y gagnerions en clarté, d'abord à l'interne puis par rapport à l'extériorisation de nos valeurs respectives.
Voyons ce qu'il en.
1° argument : l'interdiction.
Il se veut d'autorité : "on-ne-parle-pas-politique-en-franc-maçonnerie".
Oui et non,
car cet interdit ne concerne pas toute la franc-maçonnerie. S'il est effectivement appliqué dans la franc-maçonnerie "régulière", il n'existe pas dans la maçonnerie libérale, justement qualifiée "d'adogmatique", comme par exemple au Grand Orient de France, mais aussi à la Fédération Française du Droit Humain, à la Grande Loge Féminine de France, à la Grande Loge Mixte Universelle ou à la Grande Loge Mixte de France.
Tous les sujets peuvent y être abordés, politique et religieux, sans exclusive. Seulement, et il faut reconnaître que c'est un vrai travail (c'est justement ce qui en fait l'intérêt), il faut en traiter sans polémique, sans mise en cause personnelle, en débattant des idées dans une perspective de progrès de l'humanité. Ce qui est en jeu ne concerne que les idées. On peut discuter de tout, mais en acceptant de reconnaître l'autre, quel qu'il soit, sans jamais nier qu'il est un autre soi-même...
Ce type de travail doit accepter comme grille de lecture et d'évaluation : les principes et les valeurs humanistes et la perspective de l'émancipation de toute tutelle.
Cette grille renvoie à l'engagement de tout maçon d'accepter la liberté absolue de conscience. C'est là que se pose la 1° interrogation quant à la compatibilité. La pratique de la liberté absolue de conscience impose-t-elle de ne pas évoquer les sujets qui risquent de fâcher ou permet-elle de les évoquer dans le respect mutuel, dès lors que ces sujets ont la perspective du respect des principes et des valeurs humanistes ?
2° argument : l'intolérance.
Evitons la bisounourserie entre nous. Comment se comportent les ennemis de la Tolérance à l'égard des francs-maçons ? Il suffit d'examiner les relations que les régimes autoritaires ont entretenues ou entretiennent avec la franc-maçonnerie : ils l'ont tous interdite voire réprimée, parfois férocement !
L'histoire est explicite, si l'on en juge par les actes du seul XX° siècle,
- La 22° condition d'adhésion au Komintern, commentée par Trotsky.
- Le même Léon Trostky, dans un texte de 1922, commente en effet les raisons de cette 22° condition, avec une violence certaine, dont voici la conclusion :
La franc-maçonnerie est une plaie mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge,
- Philippe Pétain, qui interdit le GODF et la GLDF dès le 19 aout 1940, puis le 27 février 1941, le Droit Humain et la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et ses colonies (GLNIR qui deviendra le 29 octobre 1948 la GLNF). Permettez moi, au passage de remercier Yonnel pour son précieux concours.
Pétain érige l'antimaçonnisme en règle de l'état français, interdit les francs-maçons dans la fonction publique, fait établir des listes, favorise la délation et réprime, tout comme il le fera ensuite avec le "statut des juifs" !
Pétain participe ainsi à la politique de répression des pays de l'Axe (Allemagne nazie, Italie fasciste, Espagne franquiste).
La traque des francs-maçons.
Le 3° Reich et ses séides locaux adoptent une politique de traque contre les francs-maçons dès juin 1940... Le nombre des victimes est difficile à établir car nombre de maçons furent arrêtés en raison d'autres chefs de poursuite (soit d'origine juive, soit opposant politique, résistant, membre de réseau comme Patriam Recuperare ou Alsace-Lorraine...)
Belle leçon de courage, mais n'est-ce réellement que cela, sept maçons fondèrent la Loge "Liberté Chérie" au camp de concentration d'Esterwegen !
"Liberté Chérie", Loge du camp de concentration nazi d'Esterwegen
Et c'est la 2° interrogation sur la compatibilité : est-ce faire preuve d'intolérance que de souligner les politiques qui ont été conduites en application de certains principes défendus, encore aujourd'hui, par l'extrême droite, y compris sous couvert de ripolinage de circonstance ? Est-ce compatible avec les idéaux maçonniques ? D'autant que, facteur aggravant, la plupart adhère aux théories révisionnistes en soutenant leurs auteurs (Faurisson notamment).
Par ailleurs, certaines "approximations" ont pu être dites ou écrites à propos de cette Très Respectable Loge... Des mises au points ont été faites notamment sur le site de l'Edifice et Franz Bridoux, qui n'est devenu maçon qu'après la guerre mais qui était interné dans le même baraquement que les 7 membres de la Loge, donne sa version dans cet ouvrage :
3° argument : la méthode maçonnique traditionnelle.
Cet argument fait référence à une chronologie qui consisterait à d'abord commencer par s'améliorer soi-même avant de penser pouvoir améliorer la société. On le retrouve, répété à l'envi par les réguliers et ceux qui voudraient l'être...
Je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une simple question de méthode. Au contraire, cet argument en deux étapes justifie en fait le non-engagement du franc-maçon dans la société .
En revanche, si l'on définit cet exercice comme un processus dialectique, dont les deux facteurs, ce que l'on vit à l'intérieur de la loge et ce que l'on vit à l'extérieur sont interactifs, on aborde par le concret ce que nous prescrit l'article premier de la Constitution du GODF...
L'histoire, y compris maçonnique, porte témoignage que ce que l'on ne nomme pas, n'existe pas dans la conscience collective. Ainsi, ne pas nommer les contradictions entre l'extrême droite et la franc-maçonnerie reviendrait à nier qu'il y en ait... Elles n'en produiraient pas moins leurs effets...
C'est ainsi que, connaisseur s'il en est, de la stratégie du Front National, Bruno Gollnisch indique :
« Les batailles politiques sont des batailles sémantiques, celui qui impose à l’autre son vocabulaire lui impose ses valeurs, sa dialectique, et l’amène sur son terrain à livrer un combat inégal. »
La supériorité de la démocratie tient dans le fait qu'elle accepte qu'on l'attaque. Ce dont ses ennemis ont toujours profité ! Mais pour que cette supériorité soit pérenne, il faut que les démocrates, eux, assument leur responsabilité de défendre la démocratie.
Et c'est là que se trouve la 3° interrogation quant à la compatibilité : puis-je vraiment considérer que mon travail maçonnique doit rester étanche aux échos de la cité, et particulièrement encore lorsqu'il y a danger pour nos principes ?
4° argument : la monnaie de la pièce.
J'ajouterai un dernier axe d'argumentation, que l'on entend parfois chez certains maçons "spiritualistes" : le GODF a bien cherché ce qui lui arrive. En acceptant de s'engager dans la société, il n'a que ce qu'il mérite...
On l'a vu, les adversaires de la franc-maçonnerie de font pas de différence entre les obédiences. C'est la phrase de Pétain :
"Un juif n'est jamais responsable de ses origines, un franc-maçon l'est toujours de son choix"
Responsable de son choix, et beaucoup sinon toutes et tous ajouteront, "et fier de l'être", le franc-maçon mesure ce que son engagement représente pour la société, qu'elle soit pour lui un corps sociologique structuré ou une fraternité humaine dont il faut resserrer les liens ; qu'elle soit une occasion d'engagements citoyens, syndicaux, politiques, associatifs ou qu'elle soit une belle inconnue aux multiples visages, tous autant digne d'intérêt ; qu'il la voit comme un tout cohérent ou comme une collection d'individus aux personnalités toutes différentes.
Et nous retrouvons là la 4° interrogation quant à la compatibilité : l'agressivité de nos adversaires nous laisse-t-elle encore le loisir d'extérioriser nos différences, quitte à leur fournir une formidable occasion, tels des chevaux de Troie, de jouer nos obédiences les unes contre les autres ?
2014 - Devant Le siège du GODF : 1. Veilleurs debouts - 2. Manifestation des "Homens" - 3. Manifestation du "Printemps Français"
L'Anti maçonnisme, une constante historique.
La campagne anti-maçonnique qui se développe dans toute l'Europe est le fait des mouvements néofascistes, identitaires, et plus généralement d'Extrême droite.
Elle avait profité de la mobilisation de la frange la plus conservatrice de la droite française qui n'avait pas hésité à faire cause commune contre la loi Taubira (Le mariage pour tous) avec les intégristes catholiques, les fondamentalistes et certains mouvements d'extrême droite...
Des initiatives, pas toujours très fines, telle celle que relate La Montagne en juillet 2014, sur la porte d'un commerçant...
Ou encore ces manifestations à Paris...
Aujourd'hui.
Peut-on faire l'économie d'une vigilance accrue face à ce type de mouvements ? Peut-on se dispenser de reprendre le débat interne sur ce que représente concrètement nos idéaux face au retour de ceux qu'il faut bien appeler les Anti-Lumières, une nuée de groupuscules nauséabonds qu'il vaut mieux connaître...
Et ce débat connaît un net regain d'intérêt depuis que Jean-François Daraud a décidé de mettre sa situation sur la place publique. Ce frère du GODF est candidat du Rassemblement Bleu Marine et fait donc l'objet d'une plainte devant la juridiction interne du GODF. La décision devrait être connue dans les premiers jours de janvier.
On le voit, il n'est plus temps de procrastiner face à cette nouvelle offensive de l'extrême droite dans toute l'Europe.
Certains, il y a quelques années, avaient repris le flambeau de ces vieux thèmes et poursuivent aujourd'hui sur les mêmes voies (Sophie Coignard ou ghislaine Ottenheimer par exemple).
Alors, mes Soeurs, mes Frères, francs-maçons qui êtes sensibles aux idées de l'extrême droite, n'est-il pas temps de prendre la mesure du grand écart auquel vous oblige cette sympathie ? La décision, en conscience, plus que jamais, vous appartient...
Gérard Contremoulin
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