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Le Blog pour Tous d'un franc-maçon. "La loi morale au fond de notre coeur et la voute étoilée au dessus de notre tête". Emmanuel Kant Les pseudonymes ne sont plus acceptés pour les commentaires. (4.11.2018)

15 Dec

Louis Astre répond à Jean-Michel Ducomte, président de la ligue de l'Enseignement

Publié par Sous la Voûte étoilée  - Catégories :  #Laïcité - Religions

Louis Astre

Louis Astre

Louis Astre, militant laïque indéfectible et infatigable, ancien secrétaire nationale de la FEN en charge de la Laïcité, premier président de l'IRES, réagit aux propos du président de la Ligue de l'Enseignement tenus à Strasbourg au cent-cinquantenaire de l'organisation créée par Jean Macé en 1866.

 

 

 Mon cher Jean-Michel Ducomte ,

 

J’ai vivement regretté de n’avoir pu assister à Strasbourg, à la commémoration solennelle du cent-cinquantenaire de la Ligue, ainsi qu’à son congrès consacré à la promotion de ses objectifs dans un monde nouveau en mutation accélérée Un congrès particulièrement attentif à l’évolution de la société française dramatiquement altérée aujourd’hui par l’aggravation continue de l’inégalité sociale, et le récent surgissement de la barbarie. A tel point que semblent menacés d’ébranlement les fondements démocratiques de la République et ses principes porteurs, pour toutes et pour tous, de l’ambition laïque émancipatrice. Un congrès qui a transmis les relais de l’équipe nationale à de nouveaux responsables, Nadia Bellaoui, Hélène Grimbelle et Jean-Karl Deschamps, et qui s’est appliqué à centrer sa réflexion sur les trois combats fondateurs de l’identité de la Ligue, la démocratie, la laïcité et l’éducation, sous le slogan « Se souvenir de l’Avenir » . 

 

Quant à l’année 2016, elle est aussi le 70ème anniversaire de mon cheminement avec la Ligue, après la Libération, au temps du Plan Langevin-Vallon, des « Classes nouvelles » et de « l’Education active » avec les Cemea. Cheminement qui prit une densité particulière de 1966 à ma retraite en Juillet 1984, quand je fus en charge de la Laïcité à la FEN et que je la représentais, avec ses secrétaires généraux successifs, au bureau du CNAL. 

 

C’est dire l’ancienneté de mon implication dans l ‘action laïque d’avant la défaite de 1984 et, singulièrement, dans ce moment particulier de notre histoire que Jean-Paul Martin qualifie de « mouvement laïque des années soixante-dix ». 

Ainsi s’explique ma lettre. J’entreprends en effet de lire l’imposante Histoire que vient de réaliser Jean-Paul, Martin, et j’ai commencé, comme il se doit par ta riche Préface, laquelle pousse son éloge sans réserve, fût-ce de principe, jusqu’au dithyrambe. 

 

Or pour plaider l’aggiornamento de la Ligue entrepris après la défaite laïque de juillet 1984, par les congrès de 1986 et 1989, tu produis deux allégations qui tendent à dénaturer et diffamer notre mouvement des années 70. Ne déclares-tu pas, en effet : « une telle démarche généalogique était seule de nature à sortir des idées toutes faîtes, des recettes et des mots d’ordre aussi sonores qu’inefficaces. » ? Et tu réitères « pour peu que l’on accepte de sortir du ciel confortable des idées et des incantations ». 

 

Ma lettre s’élève publiquement contre ce dénigrement public. 

De qui, en effet parles-tu ? Quelles idées toutes faites ? 

 

J’hésite à croire que puissent être ainsi discrédités, la Ligue et le CNAL d’avant 1984 . Cela signerait une singulière méconnaissance de ce que nous fûmes et que nous fîmes alors, nous tous, du CNAL – Ligue, Fen, Sni, Fcpe, Dden - ce coeur du « mouvement laïque des années soixante-dix, en cette période charnière du devenir de la République. 

 

Et je ressens une dette à l’égard des militants d’alors, un impératif de témoigner, pour la part que j’en ai vécue en responsabilité, de nos initiatives de ce temps-là ; qu’il s’agisse d’ouvrir la voie au dépassement du pluralisme scolaire, idéologique et social, imposé par l’Eglise et les forces conservatrices, si préjudiciable à la jeunesse des milieux populaires, victime assignée de ce véritable apartheid qui entache la République et détruit ses fondements laïques égalitaires, fraternels et émancipateurs ; 

ou bien qu’il s’agisse de déployer nos initiatives laïques dans tous les autres domaines et sur tous les autres problèmes, anciens ou nouveaux, de la société et de la vie. 

 

 

Après le bousculement du printemps 1968 et sa contestation radicale du Capitalisme, de son Usine, de son Ecole, de sa mise en tutelle idéologique des hommes et des femmes ; après notre grève générale du Service public, enrichie de l’explosion inédite des libres débats entre les enseignants et les étudiants, et aussi les élèves des lycées ; après le colloque de la Fen et du Cnal, à l’automne 1968, avec les étudiants et lycéens contestataires de Mai, pour la mutation de la vie scolaire et universitaire ; après l’accord historique de juillet 70 entre centrales et patronat pour la formation continue, qui bouscule notre regard sur l’ensemble du procès de formation ; après l’ouverture au printemps 1971, du dialogue de la FEN puis du CNAL avec la CFDT. 

 

C’est alors qu’advient l’événement politique majeur pour toutes les forces attachées au progrès social, aux avancées de la démocratie politique et de l’ensemble des libertés individuelles et collectives : la réalisation par le nouveau Parti Socialiste, le Parti Communiste et le MRG, d’une Union de la Gauche pour la conquête du Pouvoir. 

 

Vient aussitôt le Colloque du CNAL les 13-14 Mai 1972. Un Colloque historique car voulu et réalisé par l’ensemble des forces de progrès, politiques, syndicales, associatives, philosophiques, rejointes par la CFDT, et qui vise à assurer l’un des fondements de l’Union de la Gauche, en proposant le dépassement du conflit scolaire, par un Service public d’un nouveau type, unifié, à gestion tripartite à tous niveaux et en tous domaines, par toutes les parties concernées par l’instruction et l’éducation de la Jeunesse. 

 

Projet particulièrement novateur par l’octroi de réels pouvoirs aux conseils tripartites, notamment au Conseil National habilité de plus à saisir directement l’opinion publique. 

Projet conçu comme facteur d’une démocratisation d’ensemble de la vie de la Nation. 

Projet que toutes ces forces rassemblées au colloque entreprennent de conforter par une campagne politique nationale que couronne le grand rassemblement du 11 décembre 1972 à Paris, Place de la République, d’où l’ensemble des responsables à la tribune, relancent leur appel solennel « Pour une autre politique d’Education. » 

 

Pour le CNAL et ses organisations s’ensuivent dans l’esprit et selon les perspectives du Colloque de Mai, nombre d’initiatives s’ouvrant au-delà de la question scolaire à toutes les dimensions économiques, sociales et culturelles de l’ambition laïque émancipatrice. 

 

Ainsi les deux colloques avec le concours des centrales CGT, CFDT et FO pour la formation professionnelle continue et l’éducation permanente des travailleurs, qui oblige à articuler l’éducation scolaire première avec la formation tout au long de la vie ; ainsi l’enquête nationale et le colloque avec les principaux représentants des élus locaux, pour la décentralisation de l’Etat et des services publics ; 

ainsi le colloque international de la FEN, la CGT la CFDT pour les droits et la formation des travailleurs immigrés ; puis le colloque FEN_UGTA pour les immigrés algériens ; ainsi l’accord gouvernemental obtenu pour l’ouverture du Service public à la formation des adultes, et la campagne fédérale dans tous les territoires pour mobiliser en ce sens. 

 

Ainsi tout particulièrement le grand Colloque du CNAL des 13 et 14 octobre 1979 sur le Droit de l’Enfant, son statut et ses problèmes anciens et nouveaux, et son devenir dans la Famille, dans l’Ecole, dans la Vie associative et dans la Société. 3 

Puis à l’automne 1980, c’est l’initiative novatrice du CNAL qui, face au projet de loi Barre-Bonnet sur les collectivités locales, propose la mutation de l’établissement scolaire en communauté éducative ouverte aux associations, sur accord du Conseil d’établissement. Projet dont se saisira le congrès de la Ligue à Montpellier en 1982. 

Evidemment la fin des années 70 est marquée par les colloques du SNES et du SNI en quête des voies de la démocratisation de l’Enseignement, et par l’élaboration et la publication du grand projet de la FEN pour Une Ecole de l’Education Permanente. 

 

S’impose enfin dans ce nécessaire panorama des initiatives de notre mouvement laïque des années soixante-dix, l’évocation de la décision majeure du congrès de la Fen de 1973 qui fait sienne, malgré certaines réticences, l’ultime avancée du principe d’égalité femme-homme en matière de procréation : « la décision de la femme doit être libre ». Dès lors nous rejoignons le mouvement féministe lancé en 1970. La confiance alors établie avec ses responsables permettra au Centre fédéral dans les années 80, deux initiatives singulières : la levée du tabou, par enquête, colloque et campagne, sur « les mutilations sexuelles des fillettes africaines en France », puis l’oeuvre collective majeure de 27 des principales militantes du mouvement, qui traite de tous les aspects de l’oppression des femmes en France et dans le monde, et de leurs combats, anciens et nouveaux, pour leur libération : « le féminisme et ses enjeux- Vingt-sept femmes vous parlent » . Edité par Edilig il sert de base au colloque des 5-6 mars 1988, et à une campagne de mobilisation. 

 

Est-ce, Jean Michel, le panorama d’IDEES TOUTES FAITES que stigmatise ta préface ? 

Et comment peut-elle cautionner a priori le propos de l’historien, p374, donnant à entendre que le SNI et la FEN défendaient alors l’Ecole Publique « EN L’ETAT » ? 

 

 

Reste à évoquer la période cruciale ouverte en Mai 1981 par la victoire du candidat de la Gauche, pour finir par sombrer dans la tragique défaite laïque de 1984. 

Aucun fait majeur de ce moment décisif ne justifie les stigmatisations de ta préface. 

Alors que la Hiérarchie catholique, appuyée par toutes les forces du conservatisme social, affirme dès l’automne 1981 son intransigeance sur le statut scolaire, les responsables du Cnal accueillent favorablement la nomination d’Alain Savary. Par-delà certains éclats de séance au congrès du SNI de juillet 1981, le congrès de la FEN le 1er février 1982 appelle au dépassement négocié du conflit scolaire selon le projet du colloque de 1972. 

 

Au rassemblement du Bourget, le 8 mai 1982, perturbé par des groupuscules, les interventions de Savary et Mauroy, divergent d’avec la doctrine du Cnal. Cependant, fin 1982 quand le ministre invite les deux parties à négocier sur la base de son avant-projet, le CNAL accepte. C’est la Hiérarchie Catholique qui s’y refuse. 

 

Le ministre est alors conduit à proposer, à l’automne 1983, un projet inacceptable pour le Cnal qui proteste à l’Elysée et par cinq rassemblements régionaux, pour obtenir un indispensable redressement. Le 25 avril 1984 c’est dans tous les départements une immense journée de mobilisation, appuyée par un Appel aux parlementaires et une démarche à l’Elysée. Le CNAL s’emploie à obtenir des amendements tenant ouverte la perspective d’une unification, du Service Public. Défendus par le député socialiste André Laignel, ces amendements sont refusés par le ministre Savary. Mais Pierre Mauroy les reprend et fait voter par l’Assemblée nationale le projet de loi amendé. 

 

Loi que Mitterrand retire, d’autorité, le 12 juillet 1984 

 

Disqualifier le mouvement laïque d’avant 1984 comme y tendent certains propos de ta préface, est-ce compréhensible ? N’est-ce pas le suggérer coupable de sa défaite. ? Comme si Hiérarchie catholique et conservatisme social ne s’étaient résolument ligués pour maintenir et aggraver l’apartheid scolaire, idéologique et social, imposé en 1959 ! 

Etaient-ils inconscients et irresponsables, au printemps 1960, les onze millions de citoyens signataires de la grande Pétition Nationale contre la Loi Debré ? Contre cette loi dont la teneur finale fut imposée au ministre André Bouloche qui démissionna en la dénonçant comme un « Acte de combat » ? 

 

 

Enfin, Jean-Michel, je m’étonne de voir surgir sous ta plume l’idée d’une espèce particulière de laïcité : l’étrange concept de « laïcité d’émancipation » ! 

« A rebours de ce qu’elle considère comme des dérives néo-laïques...... la Ligue de l’enseignement s’est clairement inscrite dans la défense d’une laïcité d’émancipation inscrite dans une logique de liberté publique. » 

 

LA LAICITE de la République n’est-elle donc, par elle-même, principe de liberté et foyer d’émancipation ? Fondée sur ses deux piliers, la Loi de 1905 avec les deux dispositifs distincts de son article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public », que précédèrent les trois grandes lois scolaires de 1881, 1882 et 1886 qui ambitionnent précisément d’assurer à tous, l’instruction laïque condition de l’accès de chacun à la liberté de conscience et à son émancipation ? 

 

M’étais-je trompé en intitulant mon rapport du Thème Central du congrès de la FEN en février 1982 pour le Centenaire des lois scolaires de la République : LAICITE-LIBERTES ? 

 

Cher Jean-Michel, tu comprendras que le vieux militant du mouvement laïque des années soixante-dix, ne sache rester impassible devant ta stigmatisation publique de nos « idées toutes faites », nos « recettes », nos « mots d’ordre aussi sonores qu’inefficaces » et notre enfermement dans « le ciel confortable des idées et des incantations» . 

 

J’y réponds par un grand salut public à la mémoire de tous ces militants laïques, connus ou inconnus, à l’esprit clair, conscients de leurs responsabilités civiques, oeuvrant à plus de justice sociale, plus d’égalité réelle et plus de libertés pour tous dans la République. 

 

Jean-Michel je voulais seulement te dire ma déception de voir notre président se laisser aller pour plaider l’aggiornamento de la Ligue, à dénigrer le Mouvement d’avant 1984. 

 

Bien cordialement à toi. 

Louis Astre 

Ce 12 décembre 2016 

Jean-Michel Ducomte

Jean-Michel Ducomte

GC

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