Réflexions sur l'action...
La pensée et l'action entretiennent des relations tumultueuses tant leurs champs d'applications sont tout à la fois proches et aux antipodes l'une de l'autre...
Penser l'action est le propre de toute stratégie. Ce devrait être une règle largement maîtrisée dans une société démocratique où la citoyenneté se définit comme un exercice quotidien. Le citoyen, au libre arbitre confirmé et aguerri, serait l'acteur principal de l'action publique, soit en tant qu'agent soit en tant qu'usager.
Mais on ne peut pas en rester à ce seul niveau conceptuel. La réalité des sociétés en Europe et dans le monde est tout autre. Le système de la démocratie représentative, sur lequel la plupart des régimes démocratiques est basé voit se creuser l'écart entre les citoyens et celles et ceux qui sont censés les représenter.
Car l'acte de représenter n'est plus seulement un mandat, dont le contenu est confié par des citoyens á ceux qu'ils élisent pour défendre leurs intérêts. Il est devenu l'objet d'une activité á part entière et qui a généré ses intérêts propres, qui peuvent entrer en conflit avec ceux de leurs électeurs !
Á tout le moins, entre les représentants et les représentés, un fossé se creuse, dont les bords s'écartent de plus en plus, ouvrant un boulevard pour tous les populismes.
Boutades ou préceptes ?
"Réfléchir, c'est commencer à désobéir" dit-on en forme de boutade à propos de la nécessité de la discipline aux armées. C'est malheureusement désormais une manière de plus en plus répandue de concevoir les relations entre les différentes strates de la société, tant les relations humaines se vivent de plus en plus comme des relations hiérarchisées, voire par essence conflictuelles. Le principe d'égalité, cher aux francs-maçons, est ainsi malmené... Il percute tout à la fois les objectifs d'émancipation humaine et de solidarité.
Autre boutade, "le Capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme et le Socialisme, c'est le contraire". Elle a fait rire nombre de militants au moment où militer représentait encore un fantastique espoir de faire changer les conditions de vie, de changer les règles de la société, de donner du corps à la revendication au bonheur...
Aujourd'hui, elle est devenue un banal résumé de la déception ressentie par nombre de citoyens, perdus au milieu des aléas de la politique qui se débat elle-même au milieu de difficultés qu'elle ne sait plus expliquer, faute de les comprendre...
Faire, agir, c'est d'abord se déterminer.
Quoi qu'il en soit du système démocratique et quel que soit son niveau de développement, il doit rester fondé sur la délibération. C'est-à-dire sur un processus contradictoire dont l'issue est une décision pour agir, un choix pour la réalisation d'un projet.
C'est un processus de décision complexe, multiforme et le plus souvent clivant. Il ne faut pas craindre la contradiction, elle ne conduit pas nécessairement au conflit insoluble car il existe un modèle alternatif au vote. C'est celui qui consiste à construire une pensée commune, une décision "consensuelle", sachant que ce consensus n'est évidemment pas a-priori comme on le comprend le plus souvent par paresse intellectuelle, mais conçu comme la résultante d'un débat contradictoire !
La démocratie c'est l'information et le débat contradictoire.
Si la démocratie est l'exercice qui permet de faire un choix de manière délibérée, alors les citoyens doivent être pleinement acteurs à la fois des débats et des choix. D'aucuns diront qu'il s'agit là de pure utopie ! C'est qu'ils n'auront pas participé à la formidable campagne du Traité Constitutionnel Européen de 2005 ! Car, là, il s'est agit d'un vrai débat, porté auprès des citoyens par des partis, des syndicats, des associations d'éducation populaire. Des débats contradictoires où les participants ne craignaient pas de donner leurs avis, de se contredire et où chacun avait le sentiment de participer à un évènement important.
Je crois même pouvoir ajouter qu'ils y retrouvaient une certaine dignité...
Débattre pour agir ou pour ne rien faire ?
L'action est donc le résultat d'un processus de débats et de votes au cours desquels des contradictions se sont exprimées, des oppositions ont pu apparaître ou réapparaître et finalement déboucher sur des clivages, des inimitiés. On peut avoir du mal à vivre une discussion conflictuelle et encore plus à devoir "gérer" un conflit déclaré. C'est pourtant la phase la plus constructive. C'est sur la base d'un conflit ouvert que l'on peut apprécier, le plus exactement qu'il soit, les bases d'un futur accord. On ne fait la paix qu'avec ses ennemis !
Encore faut-il se doter des outils indispensables pour négocier... Car c'est là le but de tout rapport de force, de toute démonstration collective : se ménager la meilleure position avant de s'assoir autour de la table et "se parler" !
Culture du compromis ou culture de l'affrontement...
Et c'est là le grand rendez-vous en France, pays où l'histoire des rapports de force sociaux a toujours été tragique.
Ces deux cultures s'affrontent dans l'histoire du mouvement ouvrier. Soit on recherche l'accord entre les parties, soit on légitime sa raison d'être par le fait de ne jamais en signer.
Réformiste et révolutionnaire sont les deux composantes des débats conflictuels depuis la révolution industrielle et l'émergence des structures de lutte au sein du mouvement ouvrier, syndicats et partis.
C'est ce que traduit le doux qualificatif de "social-traitre" qu'employaient les militants communistes à propos des socialistes, des "rad-socs" (radicaux-socialistes) ou des "jaunes" (syndicalistes non cégétistes).
On pouvait penser que ces pratiques étaient révolues. Et bien non ! Les dégradations commis sur les locaux du siège national de la CFDT à l'issue de la manifestation du 23 juin 2016 ou l'incendie de son local de Bordeaux montrent une résurgence qui en dit long sur la grande déliquescence du civisme français ...
Une particularité française...
Cette opposition n'est pas une règle générale dans tous les pays qui ont vécu la révolution industrelle. Là où existe une relation forte entre le syndicalisme et les partis politiques porteurs des aspirations des salariés, comme en Allemagne ou en Angleterre, la culture de négociation règne sur les relations sociales et politiques. Il y a peu de mouvements de grève en Allemagne. Mais lorsque la DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund), la Confédération allemande des syndicats forte de ses 6 millions de membres, décide d'un mouvement de grève, il a tel retentissement qu'il s'agit toujours d'un ultime recours lorsque toutes les autres voies du dialogue social ont été épuisées...
En France, il en va tout autrement depuis la "Charte d'Amiens", adopté au 9° congrès de la CGT en octobre 1906. Ce texte recommande la plus stricte indépendance du syndicat vis à vis des partis et du gouvernement. Et même si cette règle a beaucoup servi de paillasson aux dirigeants de la CGT jusqu'à Bernard Thibaud (qui n'a pas occupé le siège qui lui était réservé au Bureau Politique du PCF), force est de constater qu'elle a fortement imprimé sa marque dans le paysage syndical français, perclu par ailleurs de divisions à répétitions !
Par Thierry80 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=26625466
Quoiqu'il en soit, la responsabilité de l'Homme-citoyen est de faire entendre sa voix s'il estime qu'il est plus important de parler plutôt que de se taire, mais en tout état de cause, que sa parole soit authentique...
Be a voice not an echo...
Gérard Contremoulin
__________________________________________________________