Le milieu du gué...
La vie nationale aura rarement été aussi morcelée, autant porteuse d'incertitudes.
La sérieuse mise à la retraite que vient de subir le personnel politique n'est probablement pas encore achevée et n'a pas encore produit toutes ses conséquences.
Ce n'est pas tant le fait lui-même que les conditions de son avènement qui retiennent l'intérêt. En quelques mois, le processus des primaires, tant à droite qu'à gauche, aura mis sur la touche anciens présidents, anciens premiers ministres, anciens ministres... Les survivants ne sont pas, pour autant, tirés d'affaire. Ce processus, s'il diagnostique l'impuissance des partis politiques, sonne aussi leur glas, s'étant eux-mêmes réduits au rôle de simples organisateurs des scrutins, certains de leurs dirigeants allant même jusqu'à ne plus oser faire de programme !!!
La Constitution de la V° République, en leur reconnaissant le rôle de contribuer à l'expression de la vie politique, les avait officialisés et leur avait conféré un rôle de premier plan. Mais çà, s'était avant !
Cette faillite, qui ne réjouira que les naïfs, à de multiples causes sur lesquelles il faudra bien que les démocrates, tous les démocrates, reviennent. Elle ouvre des brèches par lesquelles les discours populistes, irrationnels ou fantaisistes émergent et accoutument les esprits à la pensée par slogans, ultra simplificatrice.
Cette faillite est aussi celle de la transmission. Faute d'avoir eu l'intelligence politique de préparer convenablement, démocratiquement, leurs successions, préférant jouer les berniques accrochées à leurs rochers, la presque totalité des dirigeants des dernières décennies a été remerciée par les électeurs qui ont choisi de mettre ainsi fin à un système politique en bout de course !
Pathétisme.
La lente agonie de la candidature d'un ancien premier ministre, pourtant grand vainqueur de sa primaire, est un pathétique chant du cygne. Confronté à l'exigence de transparence, à l'heure d'internet et des réseaux sociaux, il n'arrive pas à comprendre ce qui lui arrive et s'égare dans des explications improbables, dont celle du complotisme n'est pas la moindre. Il ne fait qu'illustrer les errements d'un système politique où prébende, clientélisme et favoritisme constituaient une pratique usuelle, voire "naturelle", tant à droite qu'à gauche.
Ces faits sont tout sauf anecdotiques. Ils traduisent le fait qu'une page fondamentale de notre histoire politique se tourne. Les grands schémas qui nous servaient à expliquer et à faire vivre la vie sociale et politique sont maintenant obsolètes. La notion même de "personnel politique" est maintenant caduque. Ses membres se sont trop longtemps conçus comme une caste, trop longtemps considérés représentatifs alors que les électeurs désertaient les bureaux de vote et alors que continue de monter, comme inexorablement, la revendication de reconnaissance du vote blanc tout comme la tentation du 'tous pourris" ou de sa version soft : "qu'ils s'en aillent tous !". La facture est lourde.
Méprise, ambiguïté.
De ce point de vue, on peut s'interroger sur les appels "Au Peuple", tout aussi pathétiques. Ce recours au concept fondateur de la démocratie, tant à l'extreme droite qu'à la gauche radicale autoproclamée, devrait alerter.
Alors qu'il devrait tendre à retisser les fils entre les citoyens pour reconstruire leur participation active à l'élaboration de politiques d'Intérêt Général, c'est-à-dire celles qui les concernent dans leur réalité collective, ces appels ne sont que des substituts. Au lieu d'engager une éducation populaire déterminée, volontariste qui s'inscrirait nécessairement dans le long terme, de tels appels ne s'inscrivent que dans le déroulement de campagnes électorales.
Ils font appel non pas à une démocratie éclairée où chaque citoyen pourrait bénéficier d'un niveau d'information réellement en adéquation avec les enjeux, mais plutôt à des réflexes, à des impressions, à des ressentis dont on peut douter du caractère approfondi et qui laisse perplexe sur le caractère vraiment démocratique du résultat obtenu...
Cette ambiguïté sémantique mélange les genres, brouille les lectures et introduit la confusion là où serait indispensable la clarté des enjeux, la profondeur des réflexions.
Le tour du monde (politique) en 80 jours.
Je respecte trop la démocratie, la délibération collective, la culture de la controverse, voire de la polémique éclairée, bref la mise en oeuvre de l'intelligence collective pour ne pas trouver là une raison majeure d'inquiétude. D'autant que la France est loin d'être la seule à subir ce grave revers.
L'Europe n'est pas épargnée. Sous la Voûte étoilée en avait retracé quelques aspects. Le populisme, loin de se rétracter, est au contraire en pleine expansion. Certes, aujourd'hui, le sursaut du peuple roumain suite à l'abrogation par le pouvoir d'un décret sur la sanction des abus sociaux et de certains actes de corruption, vient apporter un rayon de soleil salutaire. Mais...
L'America first de Donald Trump met en oeuvre sous nos yeux une politique authentiquement réactionnaire qui ne craint pas de remettre en cause ce que nous considérions comme les principes de base de la Démocratie. Même si la sidération nous frappe en découvrant la liste impressionnante des décrets qu'il signe avec gourmandise, il s'agit du 45° Président des USA, élu, investi et installé à la tête de la première puissance mondiale ! Ce pouvoir dont la conseillère en communication du président, Kellyanne Conway, vient de créer un nouveau concept, vraiment très pratique pour contrer le journalisme d'investigation : les "faits alternatifs" (ici, ici, ici) !
Vladimir Poutine, mélancolique de Yalta, observe la recomposition d'un monde à laquelle il entend bien jouer un rôle de premier plan et faire reprendre à la fédération de Russie la place prépondérante de l'URSS dans un duo au parfum de guerre froide.
C'est dans ce contexte que les citoyens français ont moins de trois mois pour faire un choix qui engagera le pays pour les cinq prochaines années et faire ce choix alors que les cadres installés volent en éclats !
Le milieu du gué.
Alors oui, nous sommes au milieu du gué, avec la fameuse sentence d'Antonio Gramsci en résonance...
Ce clair-obscur, marque des crises fondamentales, l'est aussi de la période que nous vivons, particulièrement dans ce curieux espace-temps électoral où vont se concentrer à la fois le choix d'un président et celui d'une majorité parlementaire sur laquelle il pourra s'appuyer ... ou pas. Car l'un des enjeux de cette période, avec les effets cumulés du quinquennat et de l'inversion du calendrier électoral, réside dans les résultats de ces deux processus électoraux qui peuvent déboucher, là aussi, sur une crise politique, d'autant plus aigüe qu'elle serait institutionnelle....
Les francs-maçons, défenseurs de la République.
Confrontés à cette situation, les francs maçons, et notamment au Grand Orient de France, ont le double devoir de vigilance et d'engagement. Rester fidèle aux idéaux démocratiques et laïques supposent de saisir toutes les opportunités pour les défendre et les promouvoir.
Vigilance devant les faux semblants, les amalgames, les demi-vérités, les mensonges par omission, les éléments de langage et maintenant les "faits alternatifs", bref toutes ces méthodes de l'argumentation politique qui ne se traduisent plus aujourd'hui que par le désintérêt des citoyens.
Engagement pour participer à la reconstruction de la République, cet idéal maçonnique de réunion des hommes et des femmes sur la base de la plus stricte égalité entre eux au sein d'une communauté de destin.
De sorte qu'il est serait assez inconcevable que les francs-maçons restassent au bord du chemin, à observer les évolutions d'une société en pleine crise. Une telle reconstruction les concerne car c'est le moment de faire valoir les travaux que nous menons dans nos loges.
Franchir le gué en pleine sérénité...
Gérard Contremoulin
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