Jean-François Daraud est exclu du GODF. Petit historique des déclarations obédientielles d'incompatibilité du Front National.
La juridiction interne du Grand Orient de France a décidé l'exclusion de Jean-François Daraud lors de sa réunion du 4 janvier 2017.
Cette décision confirme la jurisprudence de plus de 30 ans du GODF en la matière : l'incompatibilité de l'appartenance au GODF et l'adhésion aux principes et aux valeurs de l'extrême droite, qu'elle apparaisse sous l'intitulé de Front National ou de Rassemblement Bleu Marine (RBM).
En effet, dans les moments clés des 30 dernières années, les obédiences libérales françaises ont su adopter une attitude claire de rejet des théories et des propositions de l'extrême droite.
En mode démocratie représentative, ce sont les scrutins rythment la vie démocratique. Leurs préparations représentent autant de moments où l'implication citoyenne reprend force et vigueur et où l'attention de nos concitoyens connaît un certain "réveil". S'il y a lieu de regretter la grande "atonie citoyenne" qui règne entre les scrutins, phénomène qui caractérise nos institutions actuelles et qui mériterait une sérieuse rénovation, en revanche, ces périodes de préparation ont le mérite de repositionner les enjeux sociétaux. Grands "rendez-vous", ils sont le carrefours des propositions programmatiques, plus ou moins élaborées, plus ou moins précises
Force est de constater que la maçonnerie libérale a toujours attiré l'attention tant de ses membres que des citoyens sur les enjeux que représente la progression de l'influence de la pensée et des orientations de l'extrême droite dans l'opinion publique française et les dangers que représenteraient l'élection de candidats d'extrême droite et particulièrement du Front National avec l'application de leur programme.
A - D'abord, les élections législatives de 1986.
Alors que l'hypothèse de voir le Front National entrer à l'Assemblée Nationale était perçue comme une hypothèse déjà crédible, les principales obédiences décidaient de prendre position.
Le Grand Orient de France.
En septembre 1985, le convent décidait de sensibiliser les loges de l'obédience sur tout profane qui « aurait été ou serait en contact avec des membres du Front national » et de leur recommander de ne pas les accepter.
Ce vote venait confirmer celui du conseil de l'ordre du 23 mars précédent, présidé par le Grand-Maître Roger Leray :
« Considérant les thèses racistes, dogmatiques, dont antimaçonniques, développées par certaines associations politiques, en particulier le Front national, le Conseil de l'ordre du Grand Orient de France estime que l'appartenance d'un de ses membres à l'une de ses organisations est incompatible avec l'engagement maçonnique. »
Pendant cette même période, le président du Front National, Jean-Marie Le Pen, dénonçait "un nouveau terrorisme. Après le terrorisme moyen-oriental et proche-oriental, voici le terrorisme grand-oriental ».
Deux déclarations inter obédientielles.
Le 15 novembre 1985 :
des obédiences maçonniques (Droit Humain, Grande Loge de France, Grande Loge Traditionnelle et Symbolique, Grand Orient de France, Grande Loge Féminine de France),
des organisations profanes humanistes (Droit de l'Homme et Solidarité, Ligue des Droits de l'Homme (L.D.H.), Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), Mouvement Contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP)),
et des organisations religieuses (Le Conseil Permanent de l'Episcopat, Le Conseil de la Fédération Protestante, Le Comité Inter-Episcopal Orthodoxe, Le Conseil Supérieur Rabbinique, La Grande Mosquée de Paris),
signent l'Appel Commun à la Fraternité qui se conclut ainsi :
Ensemble, ils déclarent qu'il est urgent de :
- Affirmer le respect de l'autre,
- Se solidariser avec les personnes et les minorités victimes de discrimination, leur reconnaître les mêmes droits à la Justice, à la liberté et à l'égalité,
- Vivre ensemble dans la tolérance des différences et l'enrichissement mutuel pour une société meilleure de laquelle les immigrés ne sauraient être exclus.
Le 19 février 1986 :
un mois avant les élections, les quatre Grands-Maîtres : Jean-Robert Ragache, nouveau Grand Maître du Grand Orient de France, Evelyne Rauzières, président du Conseil national du Droit Humain, Michel Barat, Grand Maître de la Grande Loge de France et France Sornet, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, signaient à Bruxelles une déclaration commune :
« face aux risques de banalisation du discours de l'extrême droite », affirmant leur « détermination à combattre toutes les idéologies d'exclusion [et] à condamner la violence physique ou morale ».
B - Les élections régionales de 1998.
Jean-Pierre Soisson devient président de la région Bourgogne grâce à l'appoint de voix du Front National. Il est immédiatement suspendu, le 20 mars, par le Grand-Maître de l'époque, Philippe Gugielmi, ce qui ouvre une procédure au terme de laquelle la juridiction interne prononcera son exclusion.
C - Les élections présidentielles de 2002...
Les élections présidentielles de 2002 ont marqué une nouvelle étape avec la présence au 2° tour du candidat du Front National. Là encore, les obédiences mirent en garde sur les risques encourus...
Le Grand Orient de France appelait à participer à la manifestation du 1° mai 2002 "pour faire barrage au Front National"
D - Les élections présidentielles de 2007.
Le Conseil de l'Ordre, présidé par le GM Jean-Michel Quillardet, s'est violemment insurgé contre une initiative de Jean-Marie Le Pen dans un communiqué du 19 septembre 2006 :
Le Grand Orient de France s'élève avec énergie contre l'attitude de Jean-Marie Le Pen qui prétend faire acte de candidature à la présidence de la République sur le site de Valmy.
Valmy est un symbole éminemment républicain où les armées du peuple de France se sont opposées victorieusement à l'invasion étrangère soutenant la royauté.
La présence et l'expression à cet endroit et à ce moment d'un homme qui cristallise sur son nom des relents d'exclusion nous paraissent incompatibles avec les valeurs de Liberté, d'Egalité et de Fraternité.
Les républicains que nous sommes ne peuvent que dénoncer cette supercherie où Jean-Marie Le Pen voudrait se construire une légitimité qui ne pourrait que troubler les esprits dans cette époque où se préparent des élections importantes pour l'avenir de la nation et de la République.
E - Les élections cantonales de 2011...
Lors de la préparation des élections cantonales, le Conseil de l'Ordre du GODF adoptait, à titre préventif, le communiqué suivant dans sa séance du 25 mars 2011 :
"A l'occasion du 1er tour des élections cantonales, un certain nombre de voix que l'on pensait républicaines se sont exprimées de manière ambigüe à l'égard du Front National.
Le Grand Orient de France, pour sa part, n'imagine pas qu'on puisse favoriser pour des raisons politiciennes stratégiques, même de manière marginale, des mouvements politiques qui prônent l'exclusion.
Aux membres du Grand Orient de France qui seraient dans cette problématique, le Conseil de l'Ordre rappelle les termes de leur engagement : ne pas être ou avoir été adhérent ou sympathisant d'une association ou d'un groupement appelant à la discrimination raciale, à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en prétextant de leur origine, leur appartenance à une ethnie ou à une religion déterminée et qui propagerait ou aurait propagé des idées et des théories tendant à justifier ou à encourager cette discrimination, cette haine, cette violence."
F - Les élections présidentielles et législatives de 2017.
L'affaire Jean-François Daraud, membre de la Loge "Les Vrais Amis Réunis" à Carcassonne a confirmé la vigilance du Conseil de l'Ordre du GODF. Il l'a déféré devant la justice interne. Le cité, ayant choisi de médiatiser cette affaire, le Conseil de l'Ordre, présidé par Christophe Habas, avait publié le 21 décembre, le communiqué suivant :
Le Frère Jean-François DARAUD, ancien chef de file de l’U.D.I., dans l’Aude, a été cité à comparaître devant la Section Permanente de la Chambre Suprême de Justice Maçonnique ce mercredi 21 décembre 2016 à 10h30, en vue d’une éventuelle exclusion du Grand Orient de France.
Jean-François DARAUD, s’est en effet investi, sous l’étiquette du Rassemblement Bleu Marine sur la 2ème circonscription à Narbonne, pour les prochaines élections législatives.
Après lecture de la plainte et du rapport, Jean-François DARAUD a souhaité quitter la salle d’audience, prétextant ne pas être assisté de son avocat, alors que le Règlement Général du Grand Orient de France ne permet que l’assistance ou la représentation par un membre de l’Association.
Un huissier de justice, par lui désigné, a assisté à l’ensemble des débats.
Une décision doit intervenir sous quinzaine.
Les valeurs du Grand Orient de France et les engagements pris par chaque Franc-Maçon du Grand Orient de France sont radicalement incompatibles avec les thèses développées par le Rassemblement Bleu Marine et le Front National. Leur doctrine va directement à l’encontre de l’humanisme universel et de l’idéal de fraternité que défend le Grand Orient de France.
Paris, le 21 décembre 2016
On retiendra la constance des décisions ou des prises de positions obédientielles face à la menace que l'extrême droite fait peser sur les principes et les valeurs de notre République et de l'Humanisme.
C'est un message que la franc-maçonnerie adresse aux citoyennes et aux citoyens, une "extériorisation" qui se place à la hauteur des enjeux au delà des choix partisans. C'est un langage qui assume la responsabilité de nommer le danger, c'est-à-dire de débusquer la stratégie de banalisation à laquelle s'emploie Marine Le Pen et Florian Philippot depuis ces dernières années. Et ce ne sont pas les habiletés tactiques et polémiques de Gilbert Collard qui réussiront à changer la donne...
Gérard Contremoulin
________________________________________________________