I comme Intérêt Général
Sommes-nous à jour sur le sens que nous accordons à ce principe fondateur du Service Public ?
Rien n'est moins sûr... D'autant que depuis deux siècles, deux théories s'affrontent.
Le rapport pour 1999 du Conseil d'Etat, à l'occasion de son bicentenaire, fait état de ses réflexions sur ce concept "au coeur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité de l'action publique".
Concevoir l'Intérêt Général comme la somme des intérêts particuliers (conception utilitariste) et concevoir l'Intérêt Général comme celui qui fonde l'action de l'Etat et qui correspond à un dépassement de la somme des intérêts particuliers (conception volontariste), c'est-à-dire celui d'une nation et plus particulièrement celui dans laquelle il s'est forgé, la nation française.
Essayons-nous à une réflexion où deux écueils nous attendent.
Premier écueil.
Si l'on prend comme base de notre réflexion que "le tout est différent de l'ensemble de ses parties", on peut en déduire que la somme des intérêts particuliers ne donne pas le contenu de l'Intérêt Général.
Pourquoi ?
C'est la différence essentielle entre une nation de conception républicaine et un nation de conception communautariste.
La première reconnait un principe supérieur dans lequel s'incarne la notion même de nation et auquel chaque intérêt particulier doit se subordonner.
La deuxième reconnait les communautés en tant qu'entité, accepte ses intérêts particuliers et les transforment éventuellement en droits spécifiques, distincts du droit général et susceptibles de lui être opposables.
Si l'histoire des peuples est principalement responsable de ce type de différences, il est nécessaire néanmoins de les interroger sous l'angle de l'égalité des droits à l'échelle de la planète. Et si l'on était tenter d'objecter qu'il s'agirait là d'un problème franco-français
Service Public et service au public.
Dans les fondamentaux du droit administratif, la notion d'Intérêt Général fonde l'existence du Service Public. C'est-à-dire que le Service Public est plus que le "service au public", c'est celui qui traite chaque citoyen, chaque citoyenne sur la base d'un autre principe fondamental, celui de l'égalité de traitement de tous sur l'ensemble du territoire. C'est en ce sens que l'Egalité n'est pas l'Equité, dont parle Alain Minc (cf. "La France de l'An 2000").
Deuxième écueil.
Nous nous sommes habitués à considérer l'Intérêt Général comme celui qui régit l'action du gouvernement de la France. Comprend-on qu'aujourd'hui, cette conception n'est plus au niveau ?
La philosophie humaniste nous conduit à prendre en compte l'Homme dans ses dimensions planétaire et internationaliste (et non mondialiste). De sorte qu'il faudrait envisager l'Intérêt Général aussi dans ces dimensions. Ce qui est bon pour le citoyen français l'est-il également pour les citoyens de toutes les nations ? Comment construire un ensemble politique et juridique cohérent pour un ensemble de nations
Or, aujourd'hui, la perspective internationaliste, à commencer par celle du continent européen, sont exsangues. Sévèrement mis en cause par la montée des revendications nationales ou isolationnistes, l'espoir de construire une telle perspective s'éloigne comme la ligne de l'horizon...
Encore l'Europe...
Cette incapacité à envisager cette dimension mondiale ne doit pas nous faire oublier que nous sommes, depuis soixante ans, engagés dans la construction européenne. Et qu'il ne s'agit pas, de mon point de vue, de s'appuyer sur le constat qu'elle est en panne pour passer le projet par pertes et profits !
Au contraire, ne nous faut-il pas reprendre la tâche ; nous ressourcer peut-être aux idéaux de paix et de progrès social tels qu'ils furent évoqués tant par Jean Jaurès (dans la conclusion de son discours de Vaise, 5 jours avant son assassinat) que par Léon Bourgeois (tels qu'analysés dans la 5° partie de cette thèse) ; reprendre les perspectives sans les errements technocratiques et antidémocratiques ; construire une alternative à l'Europe des Institutions (Commission, Parlement, Conseil de l'Union) ?
Avec les peuples.
A force de vouloir construire l'Europe sans les peuples, s'est installée dans l'opinion l'idée qu'on la construisait contre eux !
Et de ce point de vue, il faudrait tirer toutes les leçons de deux épisodes français, particulièrement significatifs : le référendum sur le TCE (29 mai 2005) et les conditions de l'adoption du Traité de Lisbonne (13 décembre 2007).
Alors que 54,6% des français s'étaient prononcés contre le projet de TCE, deux ans et demi plus tard, le président Sarkozy faisait ratifier par le Parlement le Traité de Lisbonne, c'est-à-dire un TCE "low cost", contournant ainsi la décision de la majorité du 29 mai. Il n'est pas certain que ce ne soit pas l'une des grandes étapes qui auront favorisées la désaffection des électeurs...
L'idée de Fraternité...
Nonobstant, l'avenir ne se construit pas sur des rancoeurs. Les francs-maçons, très attachés à la mise en pratique de la Fraternité et l'Amitié entre les Peuples, avaient néanmoins érigés des barrières entre eux à la veille de la guerre de 1914-1918 et ne se "reconnaissaient" plus "comme tels" par delà les frontières ! C'est cette leçon-là qu'il nous faut retenir pour proclamer "plus jamais ça" !
Ce qui met en relief l'absolue nécessité dans laquelle nous sommes de multiplier les contacts inter-nationaux, susceptibles de tisser une toile vivante et active entre les maçons des différents pays, et notamment européens. Nous connaissons, là aussi, les écueils qu'il faudra surmonter. Et le premier d'entre eux, les conséquences des prescriptions nées de la Régularité, n'est pas des moindres...
En ces temps de Brexit, une règle venue de Londres, interdisant les "reconnaissances" entre maçons réputés réguliers et les autres, est-elle vraiment applicable pour qui voudrait tisser cette toile ? Est-elle vraiment compatible avec une réelle pratique fraternelle ?
Et bien, c'est à nos loges de trancher, en conscience.
Gérard Contremoulin
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