Radicalisation et emprise 4/4.
Voici la suite 4 de la contribution adressée par Catherine Picard, présidente de l'UNADFI, ancienne députée de la 5° circonscription de l'Eure (XI° législature 1997-2002), rapporteure et co-auteure de la loi About-Picard.
1/4 : Une situation de violence et de choc culturel
2/4 : La radicalisation
3/4 : L'emprise mentale
4/4 : "Désappartenance", désengagement, "déradicalisation"
« Désappartenance », désengagement, « déradicalisation ».
La question qui se pose est celle de savoir comment on peut « déradicaliser » des gens qui, eux, ne se voient pas comme des radicaux, mais comme des musulmans en conformité avec le Coran et la Sunnah (la règle divine). Zoubeir, 20 ans, élève de terminale, repenti, se considère comme un apostat, considère que l’acceptation de la République et de la démocratie est incompatible avec l’islam :
« La religion n’a jamais été compatible avec la démocratie… Ce n’est pas…de leur faire croire que le bon islam est démocrate et républicain, alors que les textes disent le contraire. Quand les gens sont dedans, c’est très compliqué de les en faire sortir ».[12]
Après des expérimentations, il semble que le vocabulaire glisse vers l’emploi des termes « désembrigadement » et « désengagement ». L’objectif serait de viser non pas à faire accepter une vision normative de l’islam mais de tenter d’extraire l’individu d’une radicalité violente.
On évoque également la notion de « déprise » qui correspond à un processus psychologique sous entendant l’implication de l’intéressé, et la prise en charge et l’accompagnement par un professionnel formé à la question de l’emprise. Ce processus est uniquement d’ordre psychologique. Il s’agit en fait d’un processus de resocialisation, de reconstruction du citoyen.
« La déprise passe par une prise de conscience des invariants de nature sectaire qui ont structuré l’emprise et doivent amener à retrouver une indépendance mentale. Pour cela le travail consistera à démonter les thèses millénaristes, complotistes, expliquer l’histoire de la démocratie, sa raison d’être de même que celles de la laïcité. »[13]
La difficulté de « l’arrachement »
Il est problématique de quitter un groupe lorsqu’on est fortement investi et qu’un dogme figé a entrainé une crispation dans la répétition des mêmes opinions, slogans et jugements. L’obéissance, la soumission sont le prix à payer pour l’appartenance.
Les avantages et les bénéfices d’une forte appartenance sont évidents, mais ils rendent la rupture difficile. Il n’est pas facile, par exemple, de renoncer au sentiment de pouvoir vivre ensemble un idéal, sentiment qui a grandement contribué à attirer. Plus le souci de pureté est exacerbé, plus l’appartenance est renforcée et la méfiance envers les autres généralisée.
Le maintien de l’appartenance repose sur l’équilibre de deux cohérences : la cohérence du groupe qui a pour finalité l’homogénéité, la solidité structurelle et la durée ; à l’opposé la cohérence personnelle d’un individu qui repose sur sa singularité, son évolution et son adaptation à un monde nécessairement complexe. Cet équilibre peut se rompre et c’est alors que s’effectuent les brisures, les départs, les doutes, les remises en questions.
« Je ne suis pas dans le cercle vertueux dans lequel je voulais évoluer avec ma famille. »
Plus le groupe est fondé sur un idéal élevé, centré sur un dogme radical, plus le dirigeant se présente comme le chef incontesté, plus la réalité du monde est contestée, plus il va falloir d’apports positifs dans la durée pour compenser tous les sacrifices consentis.
Lorsqu’il y a fissure dans ce schéma, le doute et la complexité du réel refont surface et la rupture est consommée. Alors sont remis en cause l’intérêt, l’ambition, les méthodes discutables. La cécité longtemps entretenue vole en éclat et le mythe auquel on a adhéré se brise, dans un grand sentiment de honte et de culpabilité.
Les récits de ceux qui reviennent de Syrie sont explicites sur le désenchantement :
« Je n’avais pas de projet à long terme en France (...).
Je ne suis pas venu en Syrie pour faire du mal, je suis venu faire du bien. Et je me rends compte qu’en fait ici, je fais plus de mal que de bien. Maintenant je fais partie d’une organisation qui est devenue l’ennemie numéro1 mondial. Moi, je ne suis pas venu pour être l’ennemi du monde et je me rends compte que c’est de pire en pire. (...).
Je suis venu pour la vie, et c’est la mort qui règne ».
Bilel, 27 ans une femme et trois enfants. Bac gestion, RSA, intérim.[14]
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[12] D. Thomson, Les Revenants, Seuil, 2016
[13] J.P Jougla, Laboratoire d’éthique médicale, Paris V- Descartes 2016
[14] D. Thomson, Les Revenants, Seuil, 2016
GC
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