Pour promouvoir la Laïcité.
Si une majorité de laïques exige que l'on n'ajoute aucun qualificatif à la Laïcité, en revanche, la loi du 9 décembre 1905 donne lieu à trois attitudes bien tranchées à l'égard du fait religieux et l'exercice des cultes. En faire le bilan permet aussi de prendre conscience de la nécessité de reprendre la pédagogie de la Laïcité.
Loi de compromis, elle réalise un équilibre dans le contexte d'un affrontement radical de près de 25 ans entre catholiques et républicains.
D'une part le parti "ultramontain" lié au Vatican et mobilisé pour s'opposer à toute volonté politique de retirer au clergé catholique la mainmise sur l'instruction des enfants et d'autre part, le tout nouveau parti républicain, radical et radical socialiste, créé en 1901 par une alliance entre des loges du GODF, la Ligue des Droits de l'Homme et la Ligue de l'Enseignement.
Article premier : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Article deux : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Les protagonistes.
Cet équilibre s'établit par un dosage réalisé par la commission présidée par Ferdinand Buisson et l'habilité négociatrice de son rapporteur Aristide Briand entre l'opposition à tout exercice des cultes, voire la destruction complète des églises et les conditions d'exercice de ceux-ci.
Alors que le Vatican s'y oppose par la voix de l'abbé Hippolyte Gayraud, député siégeant en soutane, une parti du clergé français et de ses représentants à la Chambre y sera néanmoins sensible.
L'abbé Hippolyte Gayraud est l'auteur d'une proposition de loi visant à interdire l'enseignement aux francs-maçons. Il est aussi un antisémite convaincu, proche d'Edouard Drumond. Il déclare au congrès de Lyon de la Démocratie chrétienne en 1896 :
"Je regarde donc comme une sorte d'axiome, à la fois théologique, historique et canonique, que le juif, c'est l'ennemi".
Les forces en présence à cette époque charnière de la construction de la République représentent encore aujourd'hui des courants de pensées dont l'influence s'est certes modifiée mais qui poursuivent leur affrontement dans un rapport de force complexe et fluctuant.
Le libre exercice des cultes.
Trois interprétations où la question centrale est le sens donné à la liberté des cultes.
a/ Les tenants d'une stricte répartition entre sphère publique et sphère privée.
C'est l'interprétation la plus commune. Elle considère l'activité humaine autour de deux catégories, celle de la sphère publique et celle de la sphère privée
b/ Les tenants d'une définition plus étendue de la sphère publique (Mezetulle, Arambourou) et d'une sphère "intime".
Ils créent deux concepts :
- la sphère de "l'autorité publique", l'Etat, les pouvoirs publics locaux et les services publics.
C'est là seulement que s'applique le principe de laïcité, = séparation d'avec les religions, obligation de neutralité religieuse absolue et d'égalité de traitement des citoyens (ou usagers). D'où l'interdiction du port de signes religieux par les agents publics ou les élus dans l'exercice de leurs fonctions (mais aussi pour le Président de la République, de se signer quand il représente la France) ! D'où également l'interdiction de subventionnement des cultes (cf. a contrario construction de mosquées sur fonds publics !).
- et celle de la "société civile",
c'est tout ce qui ne ressortit pas à la sphère de l'autorité publique, soit la majeure partie de l'espace d'un individu. La religion relève de la société civile, dans le cadre du droit privé associatif (innovation de la loi de 1905)... comme le sport (loi de 1901). La société civile est le domaine des libertés publiques et privées, dans le cadre de l'ordre public défini par la loi. Mais ce qu'on appelle couramment "l'espace public" n'est pas astreint à l'obligation de neutralité !
Ils bannissent la notion de "sphère privée" parce qu'ils estiment qu'il n'y a pas d'espace de cantonnement des religions. La société civile est sans limites précises comme internet l'a d'ailleurs étendue. Ils lui préfèrent un troisième concept, celui de la "sphère intime", la conscience de chaque individu. Charles Arambourou précise que "dans une société démocratique, la loi n'a pas à régir la sphère intime, en revanche, elle la protège des ingérences d'autrui : manipulations mentales, sectes, abus de faiblesse.
c/ Les tenants de l'éradication des religions.
La loi de 1905 met fin au concordat de 1801. Cette abrogation constitue une réelle victoire des laïques et explique la virulente opposition du Vatican. La tendance la plus radicale va la considérer comme le fer de lance d'une bataille visant à l'éradication des religions au nom de la Laïcité. A noter que ce mot, explicité par Ferdinand Buisson dans son "dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire" (1887), n'est pourtant jamais utilisé dans la loi.
La liberté de conscience n'est pas la liberté religieuse.
Surprenante bataille qui oppose, aujourd'hui encore, liberté de conscience et liberté religieuse.
Autant la liberté de conscience au XVIII° siècle, après 150 ans de cujus régio, ejus religio (la religion du souverain est la religion du peuple), autant, depuis la loi de 1905, la liberté de conscience va au delà de la liberté religieuse et autorise l'agnosticisme et l'athéisme à égalité de droits et de devoirs pour tous les citoyens.
Il est parfaitement regrettable que l'Humanité dans sa version électronique parle de liberté religieuse à propos d'Aristide Briant et de la loi de 1905. C'est même le titre d'un article.
Car la laïcité n'est pas le principe le mieux partagé.
Un récent article du Monde analyse les évolutions à gauche de la laïcité et l'émergence des divergences sur fond d'Islam politique.
Au milieu de ces divergences, il va bien falloir faire prévaloir le principe qui a donné les preuves de son efficacité pour réaliser le "Vivre ensemble". Certes, aujourd'hui, il apparaît à certains comme politiquement correct de le vilipender, et dans certains cercles maçonniques aussi. Cet état de fait est un bilan, celui d'un siècle d'évolutions du rapport de force qui opposent toujours les protagonistes de 1905 et de leurs héritiers.
Promouvoir le principe de laïcité.
Il faut dénoncer sans hésitation l'aveuglement qui consiste à nier la force émancipatrice du principe de Laïcité et s'engager d'autant plus fortement dans sa promotion.
Pour ce faire, aujourd'hui, il ne s'agit pas de brandir le mot comme un slogan. Devant les attaques dont il fait l'objet, les brouillages qui rendent incertaine sa signification, les adjectifs qui tendent à réduire sa portée, le dévoiement par le Front National qui l'utilise contre l'Islam, le mot Laïcité ne se suffit plus à lui-même. Alors qu'on le pensait universel, il n'est plus compris comme tel.
Il faut prendre toute la mesure de ce recul qui constitue une véritable défaite idéologique. Il faut en reprendre la pédagogie, en expliciter le contenu comme autant d'axes concrets sur lesquels on peut bâtir des politiques publiques et des initiatives dans la société civile avec les forces vives.
Ces axes concrets sont :
la Liberté absolue de conscience : croire, changer de croyances, ne pas croire, douter.
la séparation des églises et de l'Etat : les pouvoirs publics, s'ils sont les garants de la liberté de culte, doivent impérativement rester dans la plus parfaite neutralité vis à vis de chacun d'eux.
la loi est la même pour tous : la loi est l'expression de la volonté commune. A ce titre elle s'impose à tous, au delà des croyances, des origines et des orientations.
la supériorité de la loi sur la foi : la foi est une question de conscience qui participe de la liberté individuelle, elle ne doit pas empiéter sur le domaine public.
une seule communauté, la communauté nationale : le pacte républicain institue une communauté de destin autour d'un pacte qui accorde et garantit les mêmes droits et instituent les mêmes obligations pour tous ses membres.
Ces axes constituent les bases de la Laïcité. Ils expriment l'émancipation de l'Homme de son état de tutelle, sa victoire sur l'obscurantisme, cette conquête historique qui marque sa majorité.
On ne peut plus, aujourd'hui, alors que l'on en sape les bases, faire l'économie de cette explicitation.
Gérard Contremoulin
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