La République, c'est moi.
Non, Jean-Luc Mélenchon n'est pas la République.
Retour sur une séquence surréaliste, dangereuse...
"Le bruit et la fureur", théorie de François Delapierre, est-elle encore pertinente ? Telle est la question, testamentaire, que Jean-Luc Mélenchon doit traiter... Et il n'est plus que le seul, face à ses doutes, à pouvoir trancher.
Que les médias pipoles et ceux qui les relaient sur les réseaux sociaux, s'emploient à salir l'homme par des détails sordides, y compris personnels, n'est pas acceptable. On n'attaque pas la dignité par l'indignité.
Mais, ce n'est pas là que la bât blesse. La situation est beaucoup plus grave.
Il faut d'une part laisser aux autorités judiciaires le soin de mener leurs investigations et à la justice, s'il y a matière, de passer.
Il faut d'autre part analyser le sens des actes posés par Jean-Luc Mélenchon, ce qu'ils signifient pour la vie citoyenne et ce qu'ils portent de conséquences pour les jeunes générations.
"La République, c'est moi."
Certes, la formule est belle, à l'image de la trace que voudrait laisser son auteur dans les annales de la République.
Mais le compte n'y est pas.
La République n'appartient pas, ne peut appartenir à tel ou tel, fut-il élu. A ce titre, un député représente un segment, une circonscription en l'occurrence, de la communauté nationale. Lorsqu'il était sénateur (1990-2010), Jean-Luc Mélenchon aimait à se présenter comme "sénateur des français". Déjà cette appropriation où l'une des composantes aime à se confondre avec le tout.
Cette appropriation est excessive.
La représentation nationale, c'est-à-dire l'ensemble des 577 députés, élus avec la diversité de leurs opinions, n'en est, comme son nom l'indique, qu'une "représentation". Elle est une image que donne le suffrage universel dans le cadre d'un mode de scrutin particulier, ici majoritaire uninominal à deux tours par conscription.
Mais l'histoire montre comment d'autres modes de scrutin peuvent conduire à des expressions bien différentes de cette représentation.
Le mouvement socialiste historique auquel a appartenu pendant des décennies et appartient peut-être encore Jean-Luc Mélenchon, a longtemps considéré que seul le scrutin proportionnel était démocratique.
Cette volonté d'incarnation, marque d'une grande ambiguïté.
Selon Jean-Luc Mélenchon, un homme seul pourrait donc être le tout.
Sur le plan symbolique, la traduction est dévastatrice. Les exemples que l'histoire nous donne de cette incarnation sont précisément ceux d'hommes politiques qui ont aboli la République, anéanti la démocratie, supprimé les libertés publiques et interdit pratiquement partout la Franc-Maçonnerie. Et ils l'ont toujours fait "au nom du peuple" sur la base d'un lien direct établi avec lui, sans intermédiaire.
Or, la République Française a généré par son histoire un modèle institutionnel qui fonctionne selon le principe de la séparation des trois pouvoirs, législatif qui élabore et adopte les lois, exécutif qui les mettre en oeuvre et judiciaire qui apprécie et sanctionne les manquements aux lois ou aux règlements, issus des deux premiers. Imaginer que l'on puisse, seul, les représenter tous les trois est non seulement excessif mais surtout insensé. Même le Président de la République ne peut les représenter et la nature des rapports qu'il entretient avec chacun d'eux, stipulée dans la Constitution, est celle du garant de leurs indépendances respectives.
"Ma personne est sacrée, je suis parlementaire".
Avec cette proclamation, il tenterait nous disent certains, d'établir un lien avec la fonction tribunitienne de la Rome Antique. Effectivement, la personne des "tribuns de la plèbe" était sacrée.
Cette sacralisation (la "sacro-sainteté") avait pour but de les soustraire aux influences extérieures, notamment des tout-puissants Consuls. Leur personne, en devenant inviolable, offrait à la plèbe un rempart protecteur. On peut comprendre l'intention et pour en mesurer toute l'ambition, il faut contextualiser.
La société romaine était une société d'hommes répartie en différents ordres où le "cens" matérialisait la situation personnelle. Cette sorte d'état-civil établissait les nobles, les plébéiens, les esclaves et les non citoyens. L'avènement de la République n'abolira pas les ordres mais permettra une certaine ascension sociale. On est loin néanmoins du suffrage universel et de l'égalité entre les êtres humains. En revanche soumission, subordination et non reconnaissance des femmes comme égales constituaient la nature des liens sociaux.
Alors, cette référence sacrée est-elle pertinente ?
Non, elle ne l'est pas.
D'abord si l'on compare les populations respectives.
La Rome antique avait une population qui variera selon les époques de quelques dizaines de milliers et restera en dessous des 500.000 jusqu'à - 65 avant notre ère. Elle se situait dans une relation directe entre les Tribuns et leurs mandants. Ils n'étaient que deux aux débuts et leur mandat était d'une année.
La population de la République française compte 52.405.723 citoyens en âge de voter et 47.582.183 électeurs inscrits (source : élection présidentielle de 2017).
Ensuite, si l'on compare les systèmes de représentations.
Le lien direct rendu possible par les faibles effectifs de la population de la Rome antique permettait de pratiquer la démocratie directe.
Aujourd'hui, s'adressant à plusieurs dizaines de millions de citoyens, il se situe dans le registre de la démocratie représentative, bicamérale (Assemblée Nationale et Sénat).
Jean-Luc Mélenchon serait-il entré dans la voie d'une idéalisation de la représentation du peuple au point de sous-estimer cette différence fondamentale entre les systèmes et de surdimensionner sa propre surface institutionnelle ? Ce n'est pas sans risque par rapport aux exigences de la démocratie.
Et c'est assez paradoxal par rapport à l'un des axes essentiels que développe la France Insoumise à propos de la V° République, souvent qualifiée de "Monarchie présidentielle" et régulièrement l'objet des affiches et slogans de campagne.
Le mépris des médias.
La "machine à buzz, la machine à "un faux" ironise-t-il.
Le mot d'ordre est "pourrissez-les".
Il n'est pas nouveau. L'habitude de Jean-Luc Mélenchon de pourrir la vie des journalistes est ancienne. Son paradoxe est de cultiver à l'égard de l'Education Populaire un culte mythique alors qu'il est absolument incapable de tolérer le moindre contre-pouvoir pour lui-même.
Cette capacité des journalistes à observer les pratiques politiques n'ait pas appréciée du personnel politique. "La France insoumise" n'est pas la première force politique à en faire les frais. Elle ne sera pas la dernière non plus.
Dans ce jeu du chat et de la souris, on peut se demander où était le leader de la "France Insoumise" au moment de l'affaire Fillon ? Ou était-il au moment de la mise en cause de Marine Le Pen dans une affaire, pourtant étrangement similaire, de suspicion d'emploi fictifs au Parlement Européen ? Elle n'a pas été, elle, chiche de son soutien au président du groupe de la FI lors de la séance publique à l'Assemblée nationale...
Jean-luc Mélenchon, dépassé par son envie d'incarnation.
Le démarche est osée. Que la force de Jean-Luc ait été la maîtrise du verbe est en train de devenir son pire ennemi. C'est l'exacerbation de son égo de tribun.
A un moment de la cérémonie de réception en Franc-maçonnerie, l'impétrant est confronté à un miroir qui lui présente son pire ennemi : lui-même. Cet incroyable moment de vérité suit le franc-maçon tout au long de sa vie, quelle qu'en soit les circonstances.
Se revendiquant lui-même comme un disciple de cette discipline humaniste, on ne peut que l'interroger sur cette séquence où il apparaît comme l'inquisiteur plutôt que comme le facilitateur dans la recherche d'une issue favorable à l'humanisme républicain...
Au moment des choix, l'identité humaniste de Jean-Luc Mélenchon, qu'il n'est pas un seul instant question de mettre en doute, oblige néanmoins à le questionner sur les perspectives qu'il entend défendre.
Plus qu'une question politicienne, c'est l'avenir qui est en jeu.
Stopper le jeu des éléments de langage, des slogans que l'on ressasse à l'envi, est l'enjeu de cette période. Tour à tour agité ou calme, Jean-Luc Mélenchon DOIT adapter son attitude personnelle à la nécessité de calmer le jeu. Ce sont les citoyens qui veulent que soit sifflée la fin de la récréation.
D'ailleurs, Jean-Luc Mélenchon est trop conscient des dangers de la situation, qu'il a néanmoins créée, pour convenir que la pression sous la bouilloire doit cesser. Il fait le job avec le courage de la nécessité.
Tous ne partagent pas cette impératif.
Mais, "comprenez notre colère".
Dans ce contexte, les officiers en second de la France Insoumise montent au créneau, un soupçon décalés...
Lorsqu'Alexis Corbières ou lorsque Danielle Simonnet, que l'on présente comme "oratrice nationale" de la France Insoumise, plaident ainsi la justification de ces actes, ils font appel à la fois à la "compréhension" des militants, c'est-à-dire qu'ils leur lancent un appel pour qu'ils diffusent cet argument de langage. Et ils demandent dans le même temps, l'indulgence de l'opinion. C'est un début de reconnaissance que les actes sont allés trop loin.
Car ils sont effectivement "allés trop loin".
Difficile de savoir ce qu'il restera de cet épisode, bien peu glorieux, de notre vie nationale.
Surement pas un exemple de travaux pratiques à l'usage de l'éducation à la citoyenneté. où 76% des électeurs de JLM se sentent "désorientés"...
Que le pouvoir s'accomode aussi facilement des règles habituelles de la démocratie, que la "démocratie manière Mélenchon" soit escroquée par le pouvoir macronien correspond à des slogans pertinents, pourquoi pas ?
Le débat public peut sans hésitation les supporter.
Tout au plus, un suicide politique en direct auquel le protagoniste avait convié les caméras des breaking news.
A moins que ce ne soit, comme l'évoque cette analyse, publiée dans Le Figaro, le signe avant-coureur de l'avènement d'un "populisme de gauche"...
Vite, la suite à la succession...
Gérard Contremoulin
____________________________________________