1/5 - Les relations maçonniques internationales : un peu d'histoire.

Les débats qui se déroulent en ce moment sur les réseaux sociaux à propos des relations internationales du GODF débouchent sur un constat inquiétant, les francs-maçons ne connaissent pas leur histoire d'une manière générale et particulièrement la plus récente. C'est inquiétant et cela explique la plupart des commentaires sur la question qui sera posée au convent du GODF : quitter ou non le CLIPSAS.

Voici un travail que j'ai eu l'occasion de présenter lors d'une conférence maçonnique dans une loge de la région ouest (n° 9).

Compte tenu de son format, il est présenté sur le blog en cinq parties.

L’engagement maçonnique en Europe

depuis l’Armistice de 1918

J’évoquerai ce thème sous trois axes.

D’abord, les mots.

Franc-maçonnerie et armistice. 

On pourrait dire que ça sonne bien, comme un message de Paix…Mais qui dit armistice dit Guerre et là, ça sonne beaucoup moins bien, comme un oxymore. 

Car la Franc-Maçonnerie est confrontée à une contradiction majeure, consubstantielle à son projet humaniste :

• Poursuivre sa vocation universaliste, qui comprend donc une aspiration à la Paix,
• Assumer le caractère national de ses obédiences, ce qui en fait des institutions plus ou moins liées à leurs gouvernements. 

La gestion de cette contradiction est le nœud des difficultés que la Franc-Maçonnerie a rencontré.

Ensuite, l’engagement. 

Le franc-maçon est-il une femme, un homme engagé ?

L’engagement repose sur une grande cause à défendre. Aussi faut-il qu’il lui en apparaisse une, digne de lui. 

Enfin, les armes. 

Quelles armes aujourd’hui dans l’Europe issue de l’armistice et du Traité de Versailles ?

La Franc-Maçonnerie en Europe au XX° siècle est une histoire violente, faite de divisions, d’oppositions entre intérêts nationaux des empires coloniaux, où la fraternité maçonnique s’est fracturée sur les frontières nationales malgré les efforts des pacifistes, l’un des courants maçonniques.

Entre l’aspiration à la paix et la réalité du monde, il y a toute la distance du réel au souhaitable, le travail d’une synthèse dialectique entre le travail du franc-maçon, sur soi, dans le Temple (ce que nous appelons la construction du Temple Intérieur) et son travail à l’extérieur du Temple (ce que nous nommons la construction du Temple extérieur).

I - D’abord, les mots : Franc-maçonnerie et armistice,

Le contexte politique et les obédiences avant la guerre.

Je veux indiquer tout d’abord que les travaux d’André Combes, d’Yves Hiver-Messéca, apportent une contribution essentielle à la connaissance de cette période de notre histoire, indispensable pour déterminer les enjeux de notre engagement aujourd’hui.

En 1914, en France, le GODF compte environ 31.000 membres, la GLDF, 8.400 et le DH beaucoup moins,

Un des thèmes récurrents dans les travaux en loge de 1912 à Juillet 1914 est celui du rapprochement franco-allemand.

Lorsque le grand Jaurès, qui n’était pas franc-maçon, est assassiné le 31 juillet 1914, le GODF va lui rendre hommage dès le 1er août et invite tous les maçons à assister à ses obsèques.  
On sent, alors, que la multiplication de ses appels à la Paix, ses meetings et conférences internationales n’y auront rien fait, l’Europe va s’enflammer dès le 3 Août. 

Élisabeth de Gramont femme de lettres, socialiste, déclare comme un leit-motiv d’auto-persuasion :« Ce sera une terrible boucherie, mais elle ne durera pas plus que six semaines».

On sait ce qu’il en fut, après quatre longues années, plus de 18 millions de morts (civils et militaires) et 8,5 millions de blessés.

La Maçonnerie germanique est très différente de la française. Elle comprend huit obédiences dont les Grands Maîtres adoptent des décisions communes au cours de rencontres périodiques. :

•  trois obédiences prussiennes qui regroupent 40.000 membres sont protestantes, monarchistes et nationalistes ;
• cinq obédiences « humanitaires » sont plus libérales, mais ne comptent que 18.000 adhérents. Le courant socialiste ne s’y est pas implanté.  

Elle rompt ses relations avec le GODF à la suite :

• de l’accusation de crimes de guerres portées en 1870 contre le roi de Prusse et son fils, tous deux maçons, 
• de l’annexion de l’Alsace-Lorraine et sa conséquence, la fermeture des 7 loges du GODF. 

Des rapprochements s’esquissent néanmoins au cours de congrès maçonniques internationaux, d’abord avec la GLDF puis plus difficilement avec le GODF. 

Trois obédiences, sises à Hambourg, Bayreuth et Francfort, signent des traités d’amitié avec lui. 

Des manifestations internationales périodiques puis annuelles ont facilité ce rapprochement. Elles se tiennent à Luxembourg en 1912 puis à La Haye en 1913. 

Un rendez-vous est pris à Francfort pour le … 16 août 1914  

Sur la question des relations diplomatiques entre les deux pays, André Lebey, GMA du GODF, souligne devant le Conseil de l’Ordre, en 1913 :

• par principe un franc-maçon veut la paix mais le « chauvinisme accentué» progresse en Allemagne, 
• si des Alsaciens ne souhaitent pas un nouveau carnage, le Reich n’a pas pu assimiler l’Alsace-Lorraine. Elle pourrait devenir un trait d’union entre les deux pays si l’Allemagne lui accordait l’autonomie par une constitution indépendante. 
• l’alliance russe a été nouée dans un but pacifiste et une entente de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne assurerait la paix du monde. 

Ce texte est soumis à l’étude des loges par le Conseil le 1er juillet 1914 Jaurès est assassiné le 31, et le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. 

Elle entraîne la Franc-Maçonnerie dans la division.

La veille, le 2 août, le GODF et la GLDF avaient envoyé un télégramme commun au Gouvernement pour le remercier d’avoir tenté tout ce qui était compatible avec la dignité nationale dans l’intérêt de la paix mondiale. Et quel que soit le résultat des négociations engagées, elles l’assurent de leur entier dévouement. 

Mais, force est de reconnaître que la Franc-Maçonnerie est traversée, depuis toujours, par différents courants.

Au-delà du schisme de 1877 entre « réguliers » et « libéraux-adogmatiques», on peut constater 3 grands courants :

... à suivre

Gérard Contremoulin

_______________