5/5 - Les relations maçonniques internationales : un peu d'histoire.
La question allemande.
En 1922, le comité consultatif de l’AMI met sur la table la question allemande. Les fortes discordances au sein de la Franc-maçonnerie auront raison des actions en faveur de la paix
On ne conçoit plus le pacifisme comme une question diplomatique et militaire mais comme une question politique
Lors du convent du Grand Orient de France de 1928, le F\Labey, s’interroge d’abord sur le rôlede la Franc-maçonnerie par rapport à l’obsolescence des solutions politiques.
Bien évidemment, ce type de réflexion sur le pacifisme n’est pas du goût de tous les francs-maçons européens, car il ne fait pas de distinction entre le côté politique et le côté humaniste.
S’oppose alors au réflexe nationaliste la position d’Arthur Groussier, estimant que travailler pour la paix et le désarmement sans le concours des Allemands était une provocation pour les Grandes Loges d’outre-Rhin,
Le courant du pacifisme intégrals’oppose au pacifisme de droit ou juridique
Afin de trouver une issue à ce blocage, sont créées diverses institutions :
- la Ligue maçonnique internationale en 1929 pour nouer les liens et contacts personnels entre les francs-maçons de l’Europe ;
- puis en 1930 Coordination des Forces Pacifistes quiprésente à la grande commission du désarmement de la SDN un texte de propositions pacifistes. Mais toutes échouent.
La paix maçonnique et les totalitarismes
La montée du nazisme en Allemagne, le nationalisme politique et la prise du pouvoir par Hitler a incontestablement modifié le comportement du pacifisme maçonnique et profane et suscité une double désillusion chez les francs-maçons.
Les instances maçonniques semblent ignorer l’antimaçonnisme qui se profile. Pourtant, pendant les années 1933-1935, elles vivaient dans une suspicion permanente
- l’assemblée du convent international de l’AMI en 1934 est interdite en Espagne ;
- la presse par la droite catholique et l’extrême droite en France;
- interdiction aux maçons d’accéder aux emplois de la fonction publique en Hollande…
Ultime sursaut avant sa chute, l’AMI prend la réelle mesure de la situatio ? Elle met en réflexion la question « L’origine de la liberté est-elle dans l’individu ou dans la collectivité ».
Autrement dit, le rôle de la Franc-maçonnerie – fille de la civilisation européenne, du progrès, de la Révolution qui a instauré les droits politiques individuels – est-il de vivre avec un État qui efface les libertés individuelles, un État qui représente le pouvoir des masses qui ont supplanté l’individu ?
La Première Guerre Mondiale secoua les principes universels de la maçonnerie.
Les divisions maçonniques suivirent les divisions nationales opérées pendant le conflit. Après, s’en est suivi un long processus de rapprochement entre celles-ci freiné par leur principal ennemi : le contexte politique.
Des dictatures cruelles s'imposèrent bientôt en Allemagne, en Russie, en Italie, en Espagne, au Portugal, puis en France, avec la terreur comme méthode de gouvernement, la toute-puissance d'un parti unique et la haine de la démocratie.
Le CLIPSAS, réémergence de l’internationalisme maçonnique ?
(Centre de Liaison et d’Information des Puissances Maçonniques Signataires de l’Appel de Strasbourg)
Le CLIPSAS a été constitué le 22 janvier 1961 à l'appel du Grand Orient de France et de onze autres obédiences maçonniques souveraines qui, émues par l'intransigeance et les exclusives qu'elles estimaient abusives de certaines autres obédiences, lancèrent un appel à « toutes les maçonneries du monde » afin de les réunir dans le respect de leur souveraineté, de leurs rites et de leurs symboles.
Il rassemble aujourd’hui 104 obédiences sur la base de l’Appel de Strasbourg
Le CLIPSAS dispose d'un poste d'observateur à ECOSOC, l’instance de Conseil économique et social de l’ONU2.
Les principes fondamentaux de ce groupe d'obédiences diffèrent des basic principles anglais sur deux points essentiels :
- Le principe d'une nécessaire foi en Dieu (ou similaire) est remplacé par celui de la « liberté absolue de conscience » ;
- Ce groupe reconnaît les obédiences féminines ou mixtes
Et nous avons aujourd’hui, l’Alliance Maçonnique Européenne.
Est-elle le fruit d’une analyse des précédents échecs, analyse qui lui donnerait quelques raisons d’espérer en une certaine pérennité ? On peut en douter…
Pour résumer cette période, avec Yves Hiver-Messéca, l'antimaçonnisme alla de pair avec l'antisémitisme, voire l'anticommunisme. Présentée et ressentie comme un élément étranger aux nouvelles "cultures nationales", la franc-maçonnerie était accusée de complot au service de puissances occultes mythifiées comme la CIA, le KGB, le "capitalisme apatride" ou la "bourgeoisie juive".
Face à ces offensives mortifères quasi généralisées, la franc-maçonnerie se défendit mal, fracturée par les divergences culturelles et idéologiques de ses institutions, tant sur le plan national qu'international. Une cacophonie qui sapait la force de conviction de ses valeurs de base et les occultait. De faiblesses en silences, de sursauts avortés en repliements nationalistes, l'Ordre, si glorieux et respecté dans le passé, fut éliminé de toute l'Europe autoritaire.
Il faudra attendre les lendemains de la seconde guerre mondiale et même, en Europe de l'Est, la chute du mur de Berlin en 1989, pour que, de nouveau, partout sur le vieux Continent, des loges se créent, des obédiences se constituent et que les francs-maçons puissent répandre l'esprit de fraternité.
C'est cet esprit qui doit guider dans les choix pour établir la feuille de route du GODF en matière de relations maçonniques internationales. Ni cynisme ni naïveté, mais sérénité et détermination dans la volonté d'établir partout où nous jugeons que c'est possible les bases d'une maçonnerie libérale qui vise l'émancipation humaine, l'exercice de la liberté absolue de conscience et l'égalité entre les êtres humains.
Cela suppose de s'éloigner de tout dogme, de toute domination, de toute cléricature.
Ce projet, cette voie suppose de réunir les forces disponibles. La Franc-Maçonnerie se dit universelle mais nous savons qu'elle n'est pas universellement a-dogmatique. C'est pourquoi l'Appel de Strasbourg est essentiel. Il fonde la seule réunion internationale maçonnique pérenne à ce jour : le CLIPSAS.
Le GODF doit savoir y rester, y prendre sa place pour assumer sa pleine responsabilité de première obédience libérale. La petite colombe de Picasso semble clamer ainsi son message : porter le rameau d'olivier n'est pas une sinécure, il faut savoir se jouer des vents contraires.
Gérard Contremoulin
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