Ni voile, ni croix, ni kippa, pourquoi devoir le redire...
Croire, changer de croyance ou ne pas croire : telle est la liberté fondamentale en pays laïque pour tout citoyen. Elle exclut tout prosélytisme. Elle garantit la liberté de conscience.
C'est un principe qui exige un consensus, celui qui s'incarne dans le pacte républicain. Encore faut-il l'accepter. Encore faut-il ne pas vouloir lui substituer un autre corpus. L'histoire nous apprend que toute religion, à tel ou tel moment de son développement, aura prétendu imposer sa propre loi sur celle des hommes. L'étymologie grecque du mot "catholique" nous renvoie d'ailleurs à la vocation "universelle" de cette religion.
L'empereur Constantin 1° ne réussira pas à unifier les différentes tendances du christianisme lors du concile de Nicée (325 de notre ère). Le monde entrera dans une suite de guerres où conquêtes de territoires et imposition de croyances enflammeront les peuples au nom de Dieu. La Paix d'Augsbourg (1555) à la fin du Moyen Age tentera une règle de paix : "Cujus regio, ejus religio" (la religion du roi est la religion du peuple) dans le contexte de la réforme protestante de Martin Luther et de ses 95 thèses (1517). La suite montre que la sagesse est ailleurs.
NON à ceux qui veulent la foi plutôt que la loi.
Telle est pourtant la vocation de toute religion : imposer sa foi comme loi universelle. D'où la menace permanente qu'une religion fait courir à une société dès qu'elle oblige au prosélytisme. Mais comment pourrait-elle s'en passer ?
La loi du 9 décembre 1905 a institué un principe majeur pour lutter contre cette tendance : la Séparation des églises et de l'Etat. Loi de compromis entre les républicains et le parti de l'Ordre, vaticaniste, encore nommé parti "ultramontain", son application fait l'objet de maintes tentatives de détournement, à commencer par l'Eglise catholique. Les IV° et V° République comptent plus d'une dizaine de lois destinées à inverser le rapport de force du dualisme scolaire (école publique-école privée) à l'avantage de cette dernière.
L'affaire de Creil (1989).
Le principal de collège de Creil décide d'interdire à trois jeunes filles de pénétrer voilées dans son établissement. Il l'écrit dans une lettre aux parents le 18 septembre 1989. Ernest Chénière y estime que le port du voile est incompatible avec le bon fonctionnement de son établissement :
"Notre objectif est de limiter l'extériorisation excessive de toute appartenance religieuse ou culturelle. Je vous prie de leur donner la consigne de respecter le caractère laïc de notre établissement. »
S'enchaîne alors un débat où les laïques, notamment à gauche, se divisent. SOS Racisme, alors présidé par Malek Boutih, déclare :
« scandaleux que l'on puisse au nom de la laïcité intervenir ainsi dans la vie privée des gens, malmener les convictions personnelles".
L'Humanité dénoncera une position anti Islam... Le SNES (Syndicat National de l'Enseignement Secondaire) temporisera et Lionel Jospin, alors ministre de l'Education nationale, saisira le Conseil d'Etat qui renverra sur les chefs d'établissements le soin de trancher ! Ce fut une extrême faiblesse du politique, lourde de conséquences, aujourd'hui encore.
Finalement, un accord sera conclu entre le collège et les parents. Les jeunes filles pourront porter le voile jusqu'à l'entrée dans les cours où elles devront l'ôter pour pouvoir le remettre à la sortie.
La loi de 2004 apportera un élément de réponse en interdisant le port de signes ostensibles dans les établissements scolaires par les élèves :
Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève.
Le champ d'application de la loi ne vise que l'intérieur de l'établissement scolaire et ne traite pas de la question des sorties scolaires. Est-ce à dire qu'elle ne les considère pas comme des actions d'enseignement ?
Le voile et les sorties scolaires.
La circulaire Chatel de 2012, après avoir rappelé les principes de la Laïcité, introduit l'interdiction de tels signes ou vêtements par les personnes extérieures au personnel de l'éducation nationale, qui accompagnent les élèves lors de sorties scolaires.
Garantir la laïcité
La laïcité est un principe constitutionnel de la République : elle donne le cadre qui, au-delà des appartenances particulières, permet de vivre ensemble. Elle est accueillante, à la fois idéal d'une société ouverte et moyen de la liberté de chacun. L'École met en pratique la laïcité et apprend aux élèves à distinguer savoir et croire. Facteur de cohésion sociale, la laïcité s'impose à tous dans l'espace et le temps scolaires. Chacun, à sa place, est le garant de son application et de son respect. Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l'enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d'empêcher que les parents d'élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu'ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires.
La clarté de ce texte se heurte à son statut de circulaire. Elle n'est pas opposable aux tiers, c'est-à-dire qu'elle ne concerne que les personnels placés sous l'autorité du ministre de l'éducation nationale.
On notera cependant sa logique très "laïque" qui exprime une règle simple et claire. On notera aussi qu'elle souligne la nécessité d'une volonté politique pour clarifier une situation dont le flou ne profite qu'à ceux qui souhaitent imposer leurs visions de la laïcité. A la fois les islamistes radicaux avec la Charia et l'extrême droite qui fait de la Laïcité l'arme contre les musulmans.
La campagne FCPE 2019 pour le renouvellement des conseils de parents pose le problème de la compréhension des obligations de l’École envers les élèves. Elle a construit sa campagne sur une affiche :
Elle montre une mère portant un foulard et ce slogan :
« Oui, je vais en sortie scolaire, et alors ? »
Suivi de cette nouvelle définition de la Laïcité
La Laïcité, c’est accueillir à l’École tous les parents sans exception.
Elle-même suivie du # : « #se respecter »
Le contexte électoral de cette affiche est un facteur aggravant.
La photo de l’affiche et la mention « sans exception » accentuent l’idée de l’essentialisation de la mère en tant que femme musulmane et focalise l’attention sur le fait qu’elle aussi, en tant que telle, a sa place dans l’école.
NON, ce n’est pas en tant que femme musulmane qu’elle y a sa place mais en tant que citoyenne de la République, membre de la communauté nationale.
Les parents encadrants les sorties scolaires deviennent de facto des auxiliaires, certes bénévoles, mais auxiliaires tout de même, de l’Éducation Nationale puisque ces sorties sont organisées avec l’autorisation du directeur et restent placées sous la responsabilité de l’enseignant de la classe, s’agissant du primaire. Ils sont soumis à la même règle de neutralité que les tous les personnels de l’École. (voir la circulaire n°99-136 du 21-9-1999)
L’élu RN Julien Odoul interpelle la présidente sur la présence d’une femme voilée dans le public.
L’hystérie des réactions ont montré une totale incompréhension de la pratique du respect de la Laïcité.
Deux types d’arguments :
- De type raciste : attaque d’une femme musulmane, es-qualité, d’autant plus raciste qu’elle est portée par un élu anti musulman. La publication, très relayée de cette photo joue sur le pathos avec le fils qu’elle doit consoler, etc… :

- De type laïque : Dénonciation du port d’un signe ostensible par une mère qui est en fait l’accompagnante d’un groupe en sortie scolaire :

Une proposition de loi du Sénat, déposée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, vise à interdire explicitement le port de signes ostensibles par les accompagnants des sorties scolaires.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er .
Le premier alinéa de l'article premier de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation est complété par une phrase ainsi rédigé :
« Il contribue à l'égalité des chances et s'exerce dans le respect de la laïcité et du principe de neutralité qui s'imposent à toute personne concourant à ce service public. »
Art. 2.
Le deuxième alinéa de l'article 10 de la loi précitée est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans les collèges et lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement et ne doit en aucune façon consister en une propagande ou un prosélytisme, de quelque confession que ce soit.
« Ainsi, dans le cadre des activités relevant du service public de l'éducation, tout comportement ou tout port de marque, signe ou insigne, manifestant de façon ostentatoire l'appartenance religieuse, politique ou philosophique, est interdit. »
Le débat s'annonce vif, à l'image du brouillage qui s'installe dans le pays.
Eddy Khaldi, président de la Fédération Nationale des DDEN, a été auditionné par le Sénat le 16 octobre dernier. Il a notamment déclaré :
C‘est bien la question de la nature de l’activité qui se pose et non pas du lieu à l’intérieur ou l’extérieur de l’école
Aujourd’hui, la question est exclusivement posée au juge administratif par des accompagnants arborant un signe religieux qui ne peuvent encadrer une sortie scolaire. Les tribunaux administratifs apportent des réponses diverses à ces recours.
Imaginons un parent contestant l’accompagnement scolaire par une personne portant un signe religieux ostensible en faisant valoir la liberté de conscience des élèves ?
Le juge administratif devra choisir entre deux libertés :
-
La « liberté de conscience » des élèves
-
La « manifestation de la liberté religieuse » et non pas « la liberté religieuse » de
l’accompagnant. Demander de restreindre ou enlever un signe ostensible n’est pas une atteinte à la liberté religieuse ni au libre exercice de son culte.
Une loi existe pour cela qui hiérarchise ces deux libertés. La loi du 9 décembre 1905 pose le primat de la liberté de conscience dans l’article 1. La liberté de conscience appartient à toutes et tous. Le « libre exercice des cultes » appartient lui à quelques-uns et découle du respect absolu de la « liberté de conscience ».L’école publique laïque doit comme l’énonçait Jean Rostand : « former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les aimer sans les enrôler... Et leur donner le meilleur de soi sans attendre cette reconnaissance qu’est la ressemblance »
Des responsables institutionnels chargés de faire la loi disent que les signes religieux ostensibles sont interdits d'un point de vue légal, et d’autres soutiennent qu'ils sont autorisés toujours par la loi. Ce n'est ni l'un ni l'autre.
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Il n’y a pas de législation, juste une réglementation floue que chacune et chacun interprètent à leur guise.
Cette absence de loi renvoie au juge administratif le soin de la faire. Là aussi à géométrie variable.
Peut-on, encore une fois, laisser les directeurs et directrices d’école dans cet inconfort juridique pour traiter et résoudre les conflits entre « Liberté de conscience de tous les élèves » et « manifestation de la liberté religieuse d’un accompagnant »
Voir, ici, le texte de cette audition.
La question scolaire et la question de la pratique de la Laïcité sont des éléments qui portent diagnostic sur l'état du pacte républicain. Le moins que l'on puisse dire est que la situation n'est pas bonne. L'absence de sérénité est une donnée du débat. En prendre conscience sera-t-il de nature à nous permettre de contourner l'obstacle ?
Savoir faire vivre l'esprit de Séparation, clé de voûte de la loi de 1905, est à ce prix.
Ce que souhaitait Victor Hugo : "je veux l'Eglise chez elle et l'Etat chez lui".
Gérard Contremoulin
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