Baron noir, une plongée au coeur de la gauche brisée.
Eric Benzékri et Jean-Baptiste Delafon ont écrit une version romancée des années de l'explosion des socialistes et la lente désagrégation de l'après 2008.
Leur tact permet de transformer juste ce qu'il faut de la réalité pour éviter le pathos, la quotidienneté et la familiarité. Et pourtant, qu'ils sont proches de ce que l'on a connu d'eux, ces personnages. Tout y est : la psychologie des personnalités, leurs ambiguïtés, les stratégies politiques, les trahisons "nécessaires", les légitimations de la division et du double langage, certaines phrases "cultes", même les tics de "Vidal" et de "Ryckwaert". Vraiment de la belle ouvrage messieurs.
Eric Benzekri fut un proche du leader politique qu'il nomme "Ryckwaert". Il le connaît bien et nous livre des moments savoureux. Il connaît bien aussi celui qu'il nomme "Vidal". Il décrit finement la relation entre ces deux leaders, faite d'admiration non feinte et de méfiance réciproque. Et s'il campe un "Vidal" stupéfiant d'intelligence politique, d'auto-légitimation, doté du lyrisme authentique du tribun, mais à l'aise aussi dans le double langage et parfois le cynisme, il s'en explique par la complexité du personnage qui l'inspire, tour-à-tour humain, susceptible de susciter la peur, fragile jusque dans la démesure, et toujours profondément seul.
"En politique on passe beaucoup de temps à attendre" glisse-t-il dans sa bouche, comme une antienne. Pas sur que cette patience stratégique corresponde bien au leader qui lui inspire ce rôle.
Vous avez envie de plonger dans l'univers impitoyable de la gauche sous la V° République où les règles institutionnelles servent les uns contre les autres et parfois alternativement, comment la personnalisation du pouvoir conduit à l'abandon des idées, vous voulez comprendre comment les forces de progrès sont anéanties par les institutions, alors : plongez.
Vous avez quelques heures devant vous, Baron Noir en trois saisons : à diffuser très largement. Mais pas en épisodes isolés : en coffret.
Remarquables comédiens, Kad Mérad est Michel Ryckwaerte et François Morel, Michel Vidal, jouent juste, au point que l'on pourrait parfois s'y méprendre. Et certaines ressemblances ne doivent rien au hasard.
Niels Arestrup et Anna Mouglalis, aux jeux étranges, sont deux présidents de la République aux accents intemporels qui mêlent les périodes de l'histoire, les ressemblances qui brouillent un peu les pistes historiques mais qui rendent tellement vrais les enseignements des récits.
Mais le suspense s'était nettement levé sur la saison 1 dans un article qui est venu "spoiler" d'entrée de jeu les lecteurs du "Lab politique" d'Europe 1 le 9 février 2016.
Benzekri joue avec les situations et les personnages comme on joue avec les symboles. Le sens est derrière l'apparence et l'évocation. Son analyse porte sur ce qu'il a connu de ces trente dernières années. La force tranquille de François Mitterrand, son aide au lancement du mouvement "SOS-Racisme", aux mobilisations étudiantes ; les préparations d'élections et le financement des campagnes électorales ; les rivalités fratricides dans chaque camp politique. Il porte un regard qui n'est pas toujours sans complaisance pour Ryckwaerte. Il souligne ce qui lui paraît fondamental dans l'engagement politique : la fidélité à la ligne politique. Non seulement on ne lui reprochera pas, d'autant moins qu'il réalise-là une oeuvre salutaire pour l'avenir.
La saison 3 se termine sur un drame touchant la présidente de la République juste après l'élection de son successeur. De quoi alimenter une saison 4 !
Un mot sur "Studio Canal" qui réussit à nous faire oublier l'entreprise de destruction de Canal+ par Vincent Bolloré. Après "Le Bureau des Légendes", série à laquelle Benzekri a également participé, ce Baron Noir confirme l'excellence des scénaristes français et de la production dans ce style avec une "docu-fiction" très captivante.
Gérard Contremoulin
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