Pudibonderies nauséabondes...
"Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Par de pareils objets les âmes sont blessées
Et cela fait venir de coupables pensées"
gémissait Tartuffe en recouvrait d'abord d'un regard libidineux puis de son mouchoir, le décolleté assurément évocateur de Dorine, la servante.
En 1664 (pour les 3 premiers actes) puis en 1669 (la pièce entière), Molière dénonçait de ce trait saillant l'hypocrisie d'une société où le faux-semblant, la duplicité, la perversion et la pudibonderie étaient les marques. Le règne de Louis XIV, long encore de quarante cinq ans, connaît alors une intransigeance morale avec l'influence du parti des dévots, la Compagnie du Saint-Sacrement. Molière va engager sa plume et son talent pour le railler. Cela fera scandale.
2020, une sextape, un renoncement, une polémique.
Voici une semaine, les réseaux sociaux ont fait tourner en boucle le renoncement de Benjamin Griveaux à la Mairie de Paris à la suite de la publication d'une sextape, conçue en 2018 dans le cadre d'une relation intime entre deux adultes consentants. Le diffuseur a parfaitement justifié son initiative par sa volonté de dénoncer :
"l'hypocrisie des politiques est devenue la norme, au point de créer une situation monstrueuse"
Tout en expliquant qu'il réfléchit depuis octobre 2019 à la création d'un site Porno-politique et qu'il "a le matériel" (Source : BFM-TV 20.02.2020). "Au nom de la transparence, il veut dénoncer la distorsion entre le comportement public et privé d'un homme politique" (ITV Europe 1).
Il faut arrêter.
Cet embrasement des réseaux est vite devenu le tremplin d'exigences de transparence d'où se profile le retour à un certain "ordre moral" nauséabond sur fond de confusion dans les têtes.
L’avocat Éric Dupond-Moretti conteste l'attitude de l'activiste russe. Il estime qu'il a d'abord violé l'intimité d'une correspondance privée.
"Benjamin Griveaux est victime pénalement, il est totalement victime", (micro de Sonia Mabrouk sur Europe 1).
"Le citoyen que je suis est vent debout contre de telles pratiques", poursuit Éric Dupond-Moretti, qui réfute l’argument selon lequel un homme politique tel que Benjamin Griveaux aurait dû se montrer plus prudent dans ses échanges privés. "Quand Apollinaire adressait des lettres érotiques, voire pornographiques, ne se mettait-il pas en danger ? Une correspondance ne doit pas être violée. C’est aux réseaux sociaux, c’est aux blogs à s’adapter à notre intimité. Elle est infiniment respectable."
Il faut arrêter, et le plus vite sera le mieux, cette chasse aux déclarations morbides et puantes, d'où qu'elles viennent et sur qui que ce soit. Car se serait prêter nos voix à l'installation d'un ordre moral qui n'annonce rien de bon.
Il faut arrêter cette "transpercence" selon le néologisme créé pour la circonstance par l'avocat pénaliste : "où il faut absolument tout dire, et le secret devient suspect".
Chacun doit rester libre de ses choix sexuels.
Je suis surpris que celles et ceux qui se sont précipités à dénoncer, à juste titre, les risques d'imposition d'un délit de blasphème à la suite de l'affaire Milla, joignent aujourd'hui leurs voix à ce concert de jugements sur l'adéquation entre les pratiques sexuelles de Benjamin Griveaux et sa capacité à être élu...
A quel titre et au nom de quoi il y aurait une "norme" en la matière ? Si ce n'est au nom d'une loi "morale" ?
N'y aurait-il pas chez lui comme chez chacun de nous, place pour le fantasme ?
Ce qui se dit, ce qui se fait, ce qui s'échange entre deux adultes ne regarde qu'eux deux. Cela s'appelle la vie privée et, en République, elle est inviolable.
Et quelle que soit la nature de ces échanges, cela n'a rien à voir avec leurs qualités de citoyens et/ou de responsables politiques. Cette sextape ne disqualifie aucunement son auteur pour parler de famille ou de tout autre sujet. Sinon, il faut admettre que c'est une autre loi que celle de la République qui guide... Une "loi morale" par exemple !
Bien sûr, Benjamin Griveaux a pris un énorme risque. Il en a tiré les conséquences lui-même, en conscience.
Mais où est le bug : chez lui, chez celle qui a conservé la sextape pendant deux ans ou chez l'activiste qui diffusé la vidéo après lui avoir dérobé ?
"L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn" (Victor Hugo, La Conscience)
Gérard Contremoulin
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