Contester pour exister, le révisionnisme en prime.
Contester ce qui existe, ce serait vivre ; exister, ce serait se rebeller...
A l'heure des réseaux sociaux, des chaines d'infos en continu et des "alternative facts" de Donald Trump, l'emporte-pièce, parfaite illustration d'un "fordisme" intellectuel, serait-il devenu le symbole de l'excellence ? L'uniformisation de la pensée en mode binaire, réduite à l'opposition pour ou contre, qui occupe le champ social, le laisse penser.
Plus précisément, cette réduction affecte maintenant la vie citoyenne. Cumulé au sentiment de n'être pas écouté, dire non devient un moyen d'exister. La formule qui traduit le mieux ce type d'attitude est le référendum. A une question, seules deux réponses sont possibles : OUI ou NON. Et plus précisément, la personnalisation du pouvoir transforme ce mode de consultation en plébiscite de celui qui pose la question. Le fondateur de la 5° République, lui-même, en a fait les frais en 1969 et beaucoup depuis... Dire NON affirme une force collective qui est réunie sur le mode du plus petit commun multiple. Celui du Traité Constitutionnel Européen (TCE) de mai 2005 en est un bon exemple.
Du bon usage d'un droit constitutionnel.
La protestation sociale est un marqueur de notre culture au point d'être devenue un droit constitutionnel, imprescriptible. En faire usage marque une certaine plénitude citoyenne, au point que toute limitation de l'étendue du droit de manifester et pour quelque motif que ce soit, est dénoncée comme la violation d'une liberté fondamentale.
Pourtant, la protestation sociale n'est pas uniquement la rébellion. A coté de la culture de contestation, il existe aussi une culture du compromis où la réflexion et la recherche de solution permet une issue positive pour les deux parties, une "troisième" voie. Et ce n'est pas parce qu'elle suscite les foudres des "révolutionnaires" qu'elle doit être négligée. D'autant moins qu'elle est très proche de la méthode maçonnique. Elle part du constat de l'existence de deux positions différentes, voire opposée. Elle identifie les désaccords et recherche les conditions qui permettent de résoudre la contradiction autrement que par la négation de l'un ou de l'autre.
C'est tout l'intérêt du respect du caractère contradictoire dans un débat ou de l'exposé des motifs, à propos d'une "réalité" historique. Il faut rechercher par principe les diverses faces d'une même réalité, et fuir autant que faire se peut, les biais cognitifs, les idées préconçues, les préjugés et éviter d'analyser des faits anciens avec la grille de lecture d'aujourd'hui.
Vouloir que l'histoire soit telle qu'on aurait voulu qu'elle soit est un pas vers le révisionnisme.
Présenter un fait historique dans la complexité des conditions qui l'ont fait se produire, y compris dans ses contradictions, ne peut qu'en permettre la bonne compréhension. Il est indispensable de restituer le contexte de l'époque. On ne peut comprendre la véritable portée d'une décision, sa véritable signification, qu'en rétablissant les valeurs, les obligations, les conditions de vie, bref, l'ensemble des réalités susceptibles de faire comprendre pourquoi elle a été prise. Cela permet d'éviter certains écueils dommageables comme l'anachronisme ou certaines supercheries comme le créationnisme (lecture littérale de la Bible où le monde, tel qu'il est aujourd'hui, aurait été réé en une semaine). L'anachronisme de la pensée conduit au contre-sens, à l'erreur.
Pour bien comprendre.
Peut-on se satisfaire de la pensée du vichyste Robert Brasillach selon laquelle "l'histoire est écrite par les vainqueurs" ? On sait ce qu'il est advenu de lui au terme d'un procès "à chaud", dont on peut lire ici les scabreux méandres.
Même dans son cas, ce serait faire fi des historiens qui travaillent sur la base de l'analyse d'éléments contradictoires. Qui poursuivent leurs recherches dans les archives, les témoignages, tout ce qui peut leur permettre de reconstituer le puzzle de l'histoire et d'en établir une version la plus proche possible de ce qu'elle a été, en lumières et en ombres. La passion, la compassion , la revanche tout autant que le panégyrisme doivent en être exclus.
Vouloir confondre démarche scientifique et opinion est coupable... Vouloir transformer telle ou telle époque en story-telling à des fins électorales, révisionnistes ou simplement manipulatoires est coupable. Accepter de ne prendre en compte qu'une partie d'un tout, réduire un personnage à un seul élément de sa personnalité ou de son oeuvre devient éminemment suspect. C'est ce à quoi nous assistons avec la vague obscurantiste visant certains hommes d'Etat, qui constitue une négation de notre histoire dans ses dimensions nationale et internationale.
Déboulonner les statues.
Contester ce qui existe, ce serait vivre ; exister, ce serait se rebeller...
Prendre et isoler du reste de son activité telle ou telle séquence qui apparaît sous un jour coupable aujourd'hui participe d'un révisionnisme qui n'a rien d'historique. Le mouvement de déboulonnage ou de tagage de statues de personnages historiques, importé des USA s'inscrit dans cette lignée.
Jules César, Christophe Colomb, Jean-Baptiste Colbert, Victor Schoelcher, la Reine Victoria, Léon Gambetta, John A. MacDonald, Winston Churchill, Charles De Gaulle (ici, ici)
Le parallèle avec la volonté politique de destruction du patrimoine culturel par Daesh ou celles des bouddhas de Bâmiyân par les talibans est tentant.
Le parallèle avec la volonté politique de destruction du patrimoine culturel par Daesh ou celles des bouddhas de Bâmiyân par les talibans est tentant.
Alors, reste l'humour...
ou l'espoir ...
Gérard Contremoulin
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