Réfléchir par temps de Covid (5) : Musique et diversité.
Le célébrissime concert de l'Orchestre Philharmonique de Vienne, le 1° janvier, dans la Salle dorée du Musikverein de Vienne est une institution de renommée mondiale.
L'histoire de cette institution est résumée par Thierry Geffrotin dans cette vidéo, à l'occasion du concert de l'an dernier.
Pour le concert de 2021, l'orchestre a fait appel à Riccardo Muti.
Et puis, le tweet d'Ibrahim Maalouf.
Un tweet du trompettiste multicapé est venu jeter un peu de trouble dans les louanges et fait éclater une caractéristique jusque là bien discrète.
Il rend d'abord hommage à la qualité de cette formation pour déplorer ensuite qu'elle se caractérise aussi par une ségrégation revendiquée face à ce qu'il est convenu de nommer dans le politiquement correct "la diversité".
Ce prestigieux orchestre, le Wiener Philharmoniker, est effectivement une institution littéralement "conservatrice" et raciste.
Cette formation, comme le monde de la musique classique, est machiste, xénophobe. Cette orientation est d'ailleurs parfaitement assumée par les musiciens dont le fonctionnement est autogéré. Ils l'expliquent par un argument qui rappelle de mauvais souvenirs dans cette partie de l'Europe. L'ouverture des pupitres aux femmes et aux non blancs serait une source de modification du style des interprétations du répertoire. Il n'y a qu'un pas pour comprendre que cette source de modification serait une source d'impureté. Difficile de faire moins réactionnaire.
Wikipédia comprend un long article sur le Wiener Philharmoniker. Certains extraits sont édifiants.
Le processus d'intégration est très long : les musiciens doivent d'abord prouver leurs capacités en jouant pour l'Opéra et le Ballet durant un minimum de trois ans. Ce n'est qu'ensuite qu'ils peuvent présenter leur candidature auprès du conseil d'administration du Wiener Philharmoniker.
L'orchestre a un fonctionnement autogéré qui n'exclut cependant pas une tendance au conservatisme (il n'a accepté des femmes dans ses rangs qu'en 1997) et une tendance à rechigner à s'ouvrir aux instrumentistes étrangers, particulièrement les non-continentaux.
L'article égrène ensuite une série de déclarations de musiciens de l'orchestre, tous aussi machistes que racistes, parmi lesquels :
.
En 1970, Otto Strasser, ancien président de la Philharmonie de Vienne, écrit dans ses mémoires :
Après qu'un candidat se fut qualifié comme étant le meilleur, lorsque le paravent fut retiré, se tenait là un Japonais, devant le jury médusé. Il ne fut par conséquent pas engagé, sa physionomie n'étant pas adaptée à la Pizzicato Polka du concert du nouvel an.
La première flûte du Philharmonique de Vienne, lors d'une interview pour une station de radio en 1996 :
« Depuis le début nous avons parlé des qualités viennoises particulières, de la manière dont la musique se fait ici. La façon dont nous faisons de la musique ici n'est pas liée seulement à une capacité technique, mais aussi avec quelque chose qui a beaucoup à voir avec l'âme. L'âme ne se sépare pas des racines culturelles que nous avons ici en Europe centrale. Elle n'admet pas non plus d'être séparée du genre. Ainsi, si l'on pense que le monde devrait fonctionner avec des quotas, il est naturel d'être irrité par le fait que nous soyons un groupe de musiciens mâles blancs, qui joue exclusivement de la musique de compositeurs mâles blancs."
Et, the last but not the least...
En 2003, un membre de l'orchestre déclarait dans une interview pour un magazine :
Trois femmes c'est déjà trop. Lorsque nous en aurons vingt pour cent, l'orchestre sera ruiné. Nous avons fait une grosse erreur, et nous le regretterons amèrement."
Sous la Voûte Etoilée a ouvert ses colonnes aux femmes qui revendiquent la reconnaissance authentique de cheffes d'orchestre (ici).
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dix sept ans après cette dernière déclaration, le tweet d'Ibrahim Maalouf montre que la situation n'a pas beaucoup évoluée.
Quant aux orchestres français, l'article évoqué ci dessus à propos des cheffes, montrait déjà que la situation n'était pas substantiellement différente.
Des perspectives.
Ibrahim Maalouf annonçait, le 12 janvier dernier dans l'émission "C dans l'Air" qu'il allait créer un orchestre symphonique composé de musiciens issus de la "diversité".
La Musique populaire est la fois celle qui rencontre un large écho dans la population, jouée par des professionnels (ici, ici).
Et sur le thème de la diversité et de la musique populaire, l'Orchestre d'Ile-de-France autour chef Christophe Mangou :
ou bien encore à l'initiative de la cheffe d'orchestre
La musique populaire est aussi celle dont les gens s'emparent pour la jouer eux-mêmes. L'initiative de l'orchestre symphonique de Radio-France, avec "Viva l'Orchestra" a pris une belle initiative, où l'on retrouve le chef Christophe Mangou, (ici).
Les expériences menées durant le premier confinement, celles qui le sont actuellement indiquent que la musique est une "essentialité" que l'on ne saurait négliger sans dommage.
Il faudra accompagner autant que possible l'initiative d'Ibrahim Maalouf.
Gérard Contremoulin
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