La fenêtre d'Overton.
La fenêtre d'Overton, est une allégorie, issue de la théorie créée par Joseph P. Overton. Elle désigne un espace conceptuel où figurent des idées, des projets selon leur degré d'acceptation (ou de refus) par l'opinion publique selon une échelle en cinq niveaux. Ils montrent comment une idée qui reste minoritaire n'a aucune perspective.
A l'inverse, certaines circonstances ou stratégies de communication peuvent permettre à une idée, un projet minoritaire d'atteindre le niveau indispensable de notoriété et de popularité pour être acceptée et transformée en politique publique.
"La viabilité politique d'une idée dépend principalement du fait qu'elle se situe dans la fenêtre, plutôt que des préférences individuelles des personnalités politiques."
Cette phrase de Joseph G. Lehman, Président du Think Tank "Centre de Politique Publique Mackinac", résume la stratégie à laquelle ce concept renvoie.
Pour comprendre comment se déplace la fenêtre d'Overton et le fonctionnement en cinq étapes de cette théorie, voir : ici.
Des signaux "à bas bruits"
Cette théorie invite à interroger certains signes qui apparaissent dans notre environnement social, économique, politique, lorsqu'ils "choquent" nos habitudes. On peut en chercher les origines et de tenter d'en comprendre les objectifs.
Quel militant n'a pas souhaité que les projets pour lesquels il agit ne deviennent majoritaires et valident ses propres choix ? Cette voie-là est plutôt bien connue et tend à montrer que ce qui se fait consciemment, au vu et au su de l'opinion publique, n'entre pas vraiment dans le champ de cette recherche.
En revanche, ce qui n'est pas annoncé comme tel, ce qui se déroule à notre insu mais qui cible néanmoins notre inconscient, semble bien s'y intégrer. Les cinq étapes du processus décrit par Overton à propos du cannibalisme rendent compte du processus de transformation de l'opinion.
Le "plafond de verre".
L'expression, d'origine elle aussi américaine, désigne la situation où certaines catégories de personnels n'accèdent jamais aux niveaux hiérarchiques supérieurs, notamment par sexisme, racisme et/ou ségrégationisme.
Ce phénomène concerne également le phénomène où une opinion ou un projet politique qui, ayant atteint un niveau de popularité qui rend vraisemblable son accessibilité au pouvoir, n'y parvient pourtant pas. Les prochaines élections européennes fourniront une photographie du rapport des forces politiques à partir de laquelle les élections suivantes : les présidentielles pourraient démontrer son dépassement...
Eléments d'actualité.
Les dernières semaines, dans le contexte de la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques ont vu naître une polémique aux multiples rebondissements. Qui portera la torche dans ses divers relais et qui chantera lors des cérémonies d'ouverture et de clôture ?
L'hypothèse présentée par le président de la République d'inviter Aya Nakamura à chanter Piaf à la cérémonie d'ouverture a déclenché une première polémique mêlant racisme et défense de la langue française. Autant le premier argument est détestable autant le second peut s'entendre, particulièrement à un moment où l'on veut donner une image positive du pays.
Mettre en avant comme argument les performances de vente de ses disques plutôt que son style d'écriture ou ne retenir de ce dernier que son adéquation à certains territoires paraît bien démagogique et peu reluisant.
Puis, l'arrivée de la Torche à Marseille fut le théâtre d'une bien curieuse cérémonie.
D'abord elle fut majestueuse avec l'entrée du célèbre voilier-école "Le BELEM", justement honoré dans tous les ports, comme lors de l'Armada de Rouen. Les évolutions aériennes de la Patrouille de France soulignaient la majesté du moment. Florent Manaudou faisait mettre pied à terre à la torche olympique, en écho à la prestation en Grèce de Laure, sa soeur, première championne olympique de la famille. Il la transmettait à la championne paralympique Nantenin Keita, moment particulièrement symbolique.
Ce qui fut bien moins majestueux fut le choix du passeur suivant. Pourquoi s'est-il porté sur le rappeur marseillais JUL , d'autant que l'auteur de : "Te déshabille(s) pas, j'vais t'violer" allait allumer "Le Chaudron", la permanence du "Feu olympique".
Quel symbole voulait-on, alors, exprimer, dans le contexte d'une lutte contre les agressions sexistes et sexuelles ? Alors que le Festival de Cannes et un prochain débat parlementaire sur une "loi intégrale" sur cette question en souligne l'actualité, pourquoi ?
Le concours de l'Eurovision, sa préparation sur fond d'antisémitisme où la candidate d'Israël (Eden Golam) était menacée d'interdiction, les performances des lauréats et la proclamation du vainqueur suisse (Némo) comme candidat "non binaire" qui "se sent ni homme ni femme", avec sa traduction vestimentaire.
La fenêtre d'Overton est particulièrement bien illustrée dans la dernière série écrite par Eric Benzekri, "La Fièvre", diffusée sur Canal+.
Elle décrit comment une influenceuse, à partir d'une stratégie de communication numérique et des moyens conséquents, va faire progresser l'idée de la possession d'arme par les citoyens. De minoritaire qu'elle est dans l'opinion publique, elle va en favoriser le développement jusqu'au point de devenir majoritaire et de devenir possiblement une loi.
Le débat houleux que cette situation enclenche, conduit à une interrogation capitale du Président de la République, que joue d'ailleurs Kad Mérad du "Baron noir", la série précédente du même auteur, qui ne sera pas "spoilé" ici, même si elle apporte une conclusion catastrophique exemplaire.
Une situation préoccupante.
Les différents rebondissements illustrent les différentes facettes de l'opinion. Racisme, défense de la langue française, orientations sexuelles, antisémitisme. Et bien entendu les effets démultiplicateur-amplificateur des réseaux sociaux interviennent comme moteurs de la construction de l'opinion.
Ces manifestations sportives "artistiques", linguistiques, ne sont-elles pas ces "bas bruits", illustrants les premières étapes du processus d'Overton ? Chaque franges de l'opinion, mue chacune par ses propres options, va se trouver illustrée par telle ou telle facette. De sorte que, de proche en proche, une mue s'opère où l'homme perd sa spécificité pour se fondre dans le collectif uniforme. Le culte de la norme tend à s'imposer comme une règle intangible.
La philosophe Juliette Grange, dans son ouvrage sur les "Néos-conservateurs", explique la manière dont les "anti-Lumières" s'appliquent depuis une quarantaine d'années, à saper les bases de leur philosophie. Travail patient, ciblé sur les sphères d'influences (facultés, labo de recherche, ...), l'objectif est toujours de démontrer que le principe de base des Lumières, l'homme est le centre de toutes choses, est dépassé. Les tenants de la "postmodernité" s'en font les chantres. Après "L'Enlightenment", "L'Endarkenment"...
Réagir.
La langue occupe un rôle central dans la pensée, depuis son élaboration, son expression et jusqu'à sa contradiction. Bref, elle est essentielle à l'activité humaine.
Quoique l'on puisse dire de l'Académie Française, son rôle de protection de la langue française, depuis l'observation de son évolution jusqu'à l'enregistrement de nouveaux mots, elle reste un marqueur et un protecteur indépassable de notre patrimoine culturel, au sens large.
Quels que soient les domaines, scientifique, littéraire, poétique, médical, économique, la langue constitue, même avec les spécificités "jargonneuses" de ces domaines, le vecteur irremplaçable de la transmission et de l'échange. Et les exemples que l'on donne des recherches de et sur l'Intelligence Artificielle ne font que conforter cette idée.
Louis Aragon, dans "L'homme contre les nuages" écrit :
Veillons aux mots, veillons à ce que toujours les mots demeurent les serviteurs fidèles de la réalité, et ne servent point à son camouflage. Le paysan défend son champs qui donne le blé. Le savant, l'écrivain, le philosophe doivent défendre le champ des mots qui donnent prises aux hommes sur l'univers.
C'est là notre tâche, à nous intellectuels, notre grande tâche pacifique, et nous devons y permettre aucune complaisance de détail, aucune défaillance, et si nous voulons barrer la route à la guerre, au fascisme. qui est la guerre et qui est le mensonge.
En écho, il faut se souvenir de l'implacable et castratrice propagande nazie, résumée par son ministre Joseph Goebbels, dans son journal (volume 1939-1942) :
Nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous voulons réduire le vocabulaire de telle façon qu'ils ne puissent plus exprimer que nos idées.
Le rôle du vocabulaire.
La langue française compte soixante mille mots, nécessaires à la compréhension mutuelle. Quarante mille viennent s'y ajouter, considérés par l'Académie comme "superfétatoires" (qui vient s'ajouter inutilement). Ces cent mille mots correspondent à trois-cent-cinquante mille définitions. Et certains spécialistes portent à un million de mots leur estimation en y incluant les termes techniques utilisés dans les différents domaines d'activité. Deux cents millions de gens la parle dans le monde.
Que penser alors de ceux de nos concitoyens qui ne bénéficient aujourd'hui que de sept-cents à mille mots ? Quelles conséquences sur la cohésion sociale ? Quelles conséquences pour la compréhension des phénomènes complexes ?
La production actuelle des chanteurs et chanteuses, outre une utilisation minimaliste, s'inscrit dans cette spirale d'une dépréciation importante de la richesse du vocabulaire. Que cette tendance lui substitue des mots issus d'autres cultures, abrégés ou sexuellement imagés (Aya Nakamura) ou volontairement provocateurs (Nemo, Jul) ne compense pas. Au delà, ce phénomène tend vers la construction de barrières culturelles entre les individus et renforce le sentiment d'appartenance à une communauté. Et cette communauté n'est pas la communauté nationale des citoyens.
Alors, qu'observons-nous ?
Une attention particulière semble devoir être portée sur ces "bas bruits" qui se font entendre dans la société. De quoi sont-ils les signes annonciateurs ? A quelle étape sommes-nous de la fenêtre d'Overton ?
Précisément, si nous voulons contourner la facilité de penser que représente le populisme et le complotisme, il est impératif de chercher à comprendre.
A suivre...
Gérard Contremoulin
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