Paris 2024. Moments choisis. 3/8. Variations sur le thème de la Cène et petit aperçu de blasphèmes
La cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024 a été célébrée avec enthousiasme, fierté, émotions sur les réseaux sociaux.
Néanmoins, mais cela semble être la loi du genre, les réseaux ont aussi fait résonner anathèmes, propos violents, ad hominem, voire insultes.
Certains, en France et dans le monde, auraient-ils souhaité ou le souhaitent-ils encore d'ailleurs polémiquer par principe, quitte à se tromper de cible ? Polémiquez, polémiquez, il en restera toujours quelque chose...
Qui vise-t-on ? Thomas Jolly, le metteur en scène, Thierry Reboul le spécialiste de l'évènementiel, (lire cet article), Patrick Boucheron l'historien dit "de gauche", Daphné Bürki, la styliste des costumes...
La création de Thomas Jolly
Création à laquelle il ne faut pas oublier de mentionner les équipes qui ont travaillé avec lui, fut un moment exceptionnel de qualité, d'originalité, d'émotions, de prouesses techniques et artistiques, de mélanges culturels, affinitaires, bref une évocation de la diversité de la France dans un tout conçu autour des valeurs de la République.
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Merci.
Dans la diversité des thèmes abordés tout au long du parcours séquanien, le spectacle mettait en scène les monuments de Paris par des séquences originales, hautes en couleurs, en sons, évoquant des séquences de la vie nationale, un véritable parcours à travers les âges, les arts, les les modes, les évènements, les styles. Même la pluie qui s'y était invitée, prenait une place bluffante dans ce tout magistral.
Mais certaines séquences n'ont pas été du gout de tous. Une polémique a enflammé les réseaux sociaux de la part des milieux bien-pensants, aux origines multiples et parfois surprenantes.
Le principal sujet de la polémique : la séquence où Philippe Katerine apparaît après que le couvercle d'une soupière, nu, la peau peinte en bleu au milieu de fruits divers, devant un banquet où se tiennent des personnages plutôt Botero que Giacometti.
Thomas Jolly s'était-il inspiré de "La Cène", peinte par Léonard de Vinci ou du "Banquet des Dieux" de Jan Harmensz van Bijlert ?
Un précédent article a traité de cette question et du rôle joué par la hiérarchie catholique et quelques politiques français.
Création artistique et blasphème.
Depuis des siècles, l'art subit les attaques des milieux bien-pensants et en premier lieu, de l'église catholique et de son clergé, autour d'un principe constamment réaffirmé : on ne plaisante pas avec l'idée de Dieu. C'est le fondement même du concept de blasphème.
Blasphème
Le Larousse établit cette origine : latin ecclésiastique blasphemare et du grec blasphêmein, cette signification : tenir des propos injurieux contre des personnes ou des choses respectables et donne comme exemple : Blasphémer contre la religion.
Dans le droit français, il n'existe aucune incrimination visant le blasphème En revanche, il réprime ce qu'il considère comme des infractions (diffamation, injure, provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence) à l’encontre des croyants. C’est la loi Pleven qui, en 1972, amende la loi de 1881 en créant les délits d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une race, une ethnie, une nation ou une religion.
Liberté absolue de conscience versus liberté de culte, mais telle que définie par la loi du 9 décembre 1905.
Censure, blasphème, "bienséance", sanctuarisation de l'idée de Dieu, l'histoire de la création artistique est pavée des luttes que lui opposèrent en leur nom les "bien-pensants" de tous poils.
La Comédie Française consacra en 2022 un spectacle à partir du livre d'Allison Cosson et Louise Vignaud, dans une mise en scène de Louise Vignaud "Le Crépuscule des Singes". Il y est question des vies comparées de Molière et de Boulgakov.
Le spectacle est ainsi présenté :
Le théâtre est-il libre ? Oui, mais il dut attendre l’année 1906 pour s’affranchir de la censure.
Avant cette date, deux régimes d’interdiction lui furent opposés: un préventif et un autre répressif. Au cours de l’Ancien Régime, toute publication était soumise aux règles du système du privilège – sorte de copyright avant l’heure – qui imposaient l’envoi du texte aux censeurs afin d’y déceler tout propos licencieux ou scandaleux.
Au XIXe siècle, un théâtre désireux de monter une nouvelle pièce devait envoyer le texte aux autorités au moins quinze jours avant la première. S’ensuivaient des échanges entre l’auteur et les censeurs si nécessaire, avant que des inspecteurs viennent assister à la répétition générale pour s’assurer que les modifications avaient bel et bien été codifiées. Nombre de dramaturges, tel Labiche, s’y conformèrent, y voyant un moyen de se prémunir des effets désastreux d’une interdiction ou une occasion pour tester leur pièce devant un premier public, sorte de « projection test ». D’autres, comme Hugo ou Zola, s’y opposèrent farouchement.
L'affaire du Tartuffe.
Lorsque Molière voulut jouer Tartuffe, en 1664 il eut à affronter les attaques de la Compagnie du Saint-Sacrement. Dans un premier temps Louis XIV ne put que céder. En pleine répression du jansénisme, il ne pouvait que rejeter une pièce malmenant par la moquerie la religion chrétienne.
Alison Cosson et Louise Vignaud écrivent :
L’une des controverses les plus célèbres du théâtre français est sans conteste l’interdiction qui frappa Le Tartuffe de Molière quelques jours après sa création à Versailles le 12 mai 1664. L’ordre émanait de Louis XIV, sous la pression de l’archevêque de Paris, son ancien précepteur. Une deuxième version, montée le 5 août 1667, subit le même sort. Le président du parlement de Paris, en charge des pouvoirs administratif et judiciaire en l’absence du roi parti combattre en Flandres, estimait que le théâtre n’avait pas pour vocation d’instruire les hommes sur la morale et la religion. Il fallut attendre la résolution de la crise janséniste en février 1669 pour qu’une troisième réécriture de la pièce soit finalement autorisée.
Article accompagnant le texte du "Crépuscule des Singes" d'Alison Cosson et Louise Vignaud, dans l'avant-scène théâtre, n° 1519
La bataille d'Hernani.
La création d'Hernani de Victor Hugo à la Comédie Française le 25 février 1830 fut l'objet d'une violente "bataille" entre deux camps artistiques, les tenants du théâtre classique et ceux du théâtre romantique. La puissance des cers du "Père Hugo" s'imposa, notamment au IV° Acte avec ce monologue de Don Carlos, attendant le résultat du vote de la Diète qui doit le faire empereur, dans le tombeau de Charlemagne.
Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires
Ne devraient répéter que paroles austères.
Tu t’indignes sans doute à ce bourdonnement
Que nos ambitions font sur ton monument.
— Charlemagne est ici ! Comment, sépulcre sombre,
Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre ?
Es-tu bien là, géant d’un monde créateur,
Et t’y peux-tu coucher de toute ta hauteur ?
— Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée,
Que l’Europe, ainsi faite, et comme il l’a laissée !
Un édifice, avec deux hommes au sommet,
Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet.
.../...
Pier Paolo Pasolini et son dernier film "Salo ou les 120 journées de Sodome".
Il y dénonçait d'une façon féroce, dans ce film sorti en 1975, la «République sociale de Salo» (1944-45), dernier avatar du fascisme en Italie.
Pier Paolo Pasolini sera assassiné peu de temps après. Il avait d'ailleurs reçu des menaces de mort de l'extrême droite pour cette ultime oeuvre qui avait été interdite dans plusieurs pays à l'époque.
Romeo Castellucci
Sur le concept du visage du fils de Dieu
(Sul concetto di del figlio de Dio)
En avril 2018 au Mans, le spectacle de Romeo Castellucci fut amputé de sa dernière scène sur ordre de la préfecture de la Sarthe. L’administration aurait-elle cédé aux intégristes catholiques qui s’insurgeaient contre la scène finale qui devait voir neuf jeunes enfants lancer des grenades factices sur une représentation géante d’un portrait du Christ ?
(dossier accompagnant le texte du Crépuscule des singes d’Alison Cosson et Louise Vignaud, mai 2022 à L’avant-scène théâtre, n°1519)
Et bien d'autres encore...
Pourquoi la hiérarchie catholique, profondément secouée par des affaires de "gestes inappropriés" sur des "fidèles" de certains de ses membres, parfois à la réputation jusque-là irréprochable, s'est-elle fourvoyée dans ce que certains des siens considèrent comme une regrettable erreur ?
L'avenir nous fournira peut-être la réponse.
Toujours est-il que le blasphème n'est plus sanctionné en droit français. La religion est une idée et comme toute idée, elle peut être discutée, raillée et même caricaturée.
Merci à Mariusz Cyrulewski d'avoir rassemblé cette compilation.
Compilation réunie par Mariusz Cyrulewski de Szczecin
Gérard Contremoulin
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