Cahuzac, cris d'orfraies et petites lachetés...
Exécution de Cadoudal en Place de Grève, le 28 juin 1804
La place de grève joue encore son rôle puisque le pilori est toujours dressé. Et le cortège des curieux s'y presse comme s'il s'agissait d'une mise à mort.
Et s'il s'agissait d'une victime expiatoire ? Un miroir dans lequel se reflète notre propre confusion, ou pire l'amalgame, entre morale et droit, entre justice et vengeance, entre bouc émissaire et responsabilité collective, entre part cachée et part visible de chacun ?
Jérôme Cahuzac a avoué. Cet aveu provoque beaucoup de ressentiments, de haine, de dégouts. Ils sont pour une part justifiés par l'ampleur de notre déception.
Et force est de constater qu'une meute n'ayant en tête que lynchage ou revanche, sonne l'hallali et hurle la danse du scalpe autour de l'auteur de l'aveu quant elle n'appelle pas carrément à la désobéïssance fiscale !
Cela entraîne quelques réflexions.
Séparation des pouvoirs.
Cette affaire fait apparaître l'indépendance de la Justice et sa liberté puisqu'elle a pu mener ses investigations sans intervention du pouvoir exécutif(Elysée et Matignon).
On peut également observer que la presse (le journalisme constitue le 4° pouvoir selon Marc Paillet) a pu mener, elle aussi, ses propres investigations. La moindre des honnêtetés intellectuelles est de le reconnaître et de le mettre au crédit des actuels locataires. Certes les organes de presse n'ont pas tous eu la même stratégie mais Mediapart est allé son chemin.
Faut-il pour autant laisser Edwy Plénel considérer que puisque Médiapart disait depuis 4 mois un certain nombre de choses, que par conséquent, tout le monde était par au courant... Non, probablement. La liberté de la presse et de son pouvoir d'investigation ne doit pas réduire à néant le libre arbitre du lecteur !
Droit et Morale.
La politique, via le législateur, est l'espace où se réunissent le temps du vote d'une loi, ces deux notions alors qu'elles ne sont pourtant pas habituellement superposables. Le législateur fait évoluer le droit en fonction des évolutions de la société. C'est ce qu'en d'autres temps André Laignel avait parfaitement résumé par cette formule choc : "vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires".
Jérôme Cahuzac a avoué. Mais son aveu, qu'il place injustement sur le terrain de la morale (je demande pardon... et à qui le Président répond sur le même registre qu'il est "impardonnable"), se situe d'abord sur le terrain du droit. C'est à ce seul titre qu'il est mis en examen et qu'un procès pourra éventuellement se tenir. Et c'est également sur ce terrain que j'avais en partie placé ma précédente réaction.
Aujourd'hui, le citoyen est confronté à la réalité du droit positif, c'est-à-dire le droit écrit, la loi. Il est probable que la loi lui apparaisse éloignée de ce qu'il en attend, inadaptée par rapport à ce qui lui apparaitrait comme "normal, acceptable" par la société dans un tel moment. Il est confronté au grand décalage entre l'idée qu'il se fait de la manière dont les choses devraient se passer (la morale) et ce qu'il voit se faire (le droit). ... Comprendre cette différence est, en politique, un élément essentiel de l'action. Cet énorme décalage lui devient insupportable et il est disponible pour toutes les surenchères, pour toutes les démagogies.
Dans le cas de Jérôme Cahuzac, le fait de détenir un compte bancaire à l'étranger, mais d'en nier l'existence donc le montant, donc le lieu, donc le fonctionnement, est une infraction susceptible de sanction pénale. C'est ce qui est retenu contre lui. Mais, c'est moins cela qui est choquant que le fait qu'il soit dans une fonction ministérielle qui consiste précisément à lutter contre la fraude fiscale. C'est non conforme à la morale. D'autant plus que cela se produit, au moment où la crise économique touche plus de 6 millions de gens en les réduisant à une situation d'extrême précarité. Dès lors, Jérôme Cahuzac apparaît comme celui qui doit payer sa "faute", laquelle devient sous l'effet du "bashing" "LA" faute. La curée peut dès lors se déchaîner. Et peu s'en sont privés.
Vengeance et Justice.
La décision d'une peine n'est justice qu'alors qu'elle est prononcée par un pouvoir légitime, en l'occurence, un tribunal. La "faute" de Jérôme Cahuzac, telle qu'elle apparaît au moment où il révèle l'existence de son compte est d'avoir menti ! En demandant qu'on lui pardonne ce mensonge, il se place dans la position de rupture du contrat moral, c'est-à-dire en dehors du droit.
Pourquoi ?
L'homme politique est toujours tenté de contourner la question de droit en recherchant la légitimité électorale. Et même si cette perspective est totalement exclue -pour l'instant- pour Jérôme Cahuzac, les exemples sont assez nombreux d'hommes politiques condamnés qui ont été réélus ultérieurement. On peut penser que c'est là ce que le Président de la République vise en souhaitant rendre inéligible à vie une élu convaincu de fraude fiscale. Ce qui est d'ailleurs discutable.
Si l'on ne comprend pas que ce n'est pas le problème, alors la situation ne peut que se reproduire comme c'est le cas à chaque fois qu'on se trompe de registre, qu'on fait prévaloir la morale sur le droit. Cette erreur ne peut que générer l'envie de vengeance alors que c'est de justice dont on a besoin.
Reste la question de la trahison. C'est le contraire de "la paix des braves". Là où l'on peut "fraterniser avec l'ennemi" parce que la loyauté de chacun dans la bataille a conduit à se respecter et à se porter une mutuelle reconnaissance, nous sommes exactement dans la situation inverse. Dans le combat mené contre la crise où des efforts sont demandés à tous, l'attitude de Jérôme Cahuzac est déloyale, elle rompt avec l'engagement collectif. On se sent trahi, je me sens trahi !
Bouc émissaire et responsabilité collective.
Jérôme Cahuzac serait donc "ce pelé, ce galeux d'ou venait tout leur mal". Mais de quelle peste serions-nous donc malade à l'instar des aimaux de La Fontaine.
Fils de la République, adolescents qui se brûlent régulièrement les ailes en se rapprochant de la lumière du soleil, Icares incapables d'assumer collectivement leur destin... nous voici horrifiés par l'acte incompréhensible d'un ministre de cette même République. Mais ne sommes-nous pas en train de nous cacher à nous-mêmes, notre manque de vigilance collective ?
En nous sentant trahis par lui, nous lui reprochons soit de n'avoir pas été à la hauteur de l'espérance collective que nous avions placé dans l'action de ce pouvoir pour lequel nous avions voté, et de ne pas être digne de la fonction ; soit, si l'on n'a pas voté pour lui, d'être le symbole de ce qu'il faut éliminer "à la prochaine échéance".
Quoiqu'il en soit, il est rare depuis les aveux, d'entendre une once d'évocation de responsabilité collective. Cette affaire est traitée comme si elle n'était que politique, politicienne serait d'ailleurs plus approprié. Et surtout comme l'acte d'une brebis galeuse dont le seul fait de s'en séparer règlera le problème et ramènera la paix. Que nenni !
Les investigations des deux juges mettront à nu bien des "révélations" qui resteront autant d'écrans de fumée tant que nous ne réussissons pas à profiter de cette affaire pour prendre des dispositions ad équat pour les rendre impossible à l'avenir.
Le travail a été commencé.
D'abord par Michel Rocard qui, le premier, a souhaité mettre de l'ordre dans les financements politiques à un moment où, en l'absence de règle, chaque organisation politique (de droite comme de gauche) faisait un peu n'importe quoi et organisait des circuits de financements dans lesquels on retrouvait des entreprises... Il y eu des procès célèbres.
Plus tard, Lionel Jospin a complété le dispositif. De sorte qu'aujourd'hui, les entreprises n'ont plus le droit de financer une activité politique de quelle que manière que ce soit, l'enrichissement personnel est traqué, chaque candidat ou liste de cadidats doit établir un "compte de campagne" selon des règles assez strictes et une commission nationale est chargée de les valider. Le rejet d'un compte peut entrainer l'inéligibilité du ou des candidats pour une durée donnée.
Il se peut donc que les investigations des juges empruntent ce type de voies...
Et la Franc-Maçonnerie dans tout ça ?
L'annonce de la réunion du Conseil de l'Ordre sur l'examen de sa situation confirme que Jérôme Cahuzac est membre du GODF. C'est une circonstance aggravante.
Dès lors, plutôt que de tirer sur un homme à terre, et sans revenir sur cette "trahison" que j'ai ressentie, sa qualité de franc-maçon developpe d'autant plus mon envie de chercher à comprendre pourquoi il s'est comporté ainsi. Le Franc-Maçon cherche d'abord à comprendre. Ce qui n'obère certes pas sa capacité à juger.
Dans l'attente, il est insdispensable que le Conseil de l'Ordre prenne toutes dispositions pour marquer son éloignement de l'Ordre pendant que la justice de la République mènera ses investigations. Pendant ce temps, Jérôme Cahuzac bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d'innocence.
De mon point de vue, sa qualité de Franc-Maçon augmente le degré de sa responsabilité. L'article 1° de la Constitution du GODF n'est pas une brève de comptoir ! Malgré l'obligation de le lire à chaque réunion, le comprenons-nous bien...
Gérard Contremoulin
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