Deux impostures dialectiques, régularité et reconnaissance.
La FM est-elle universelle oui ou non ?
Nos amis profanes qui s’intéressent suffisamment à nous pour faire de temps en temps un tour sous la Voûte étoilée ont sans doute compris de nos échanges qu’il n’y a pas une Franc-maçonnerie, mais plusieurs, et la distinction la plus évidente est sans doute celle que l’on fait entre maçonnerie régulière et maçonnerie libérale.
La première pose qu’on ne peut être Franc-Maçon que si l’on croit en Dieu et en l’immortalité de l’âme, la seconde que toute personne obéissant à la loi morale, croyante ou non, peut être Franc-maçon. Sans doute y aurait-il un débat philosophique passionnant à avoir sur les deux conceptions (différence entre « le regard de l’homme, qui s’attache à l’extérieur, et celui de Dieu, qui pénètre les tréfonds de l’âme » d’une part, et la définition possible, d’inspiration Kantienne d’une « loi morale universelle » de l’autre), mais tel n’est pas le propos ici.
Le concept de régularité (sans doute à cause de l’antériorité historique de la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), et aussi de la quasi-impossibilité, au début du XVIII° siècle, de se situer hors du champ de la croyance en Dieu sans être qualifié « d’athée stupide » ou de « libertin irreligieux »), ainsi que la décision du Convent de 1877 du Grand Orient de France de supprimer l’obligation de croire en Dieu, ont créé les conditions d’une sorte de schisme entre obédiences régulières et obédiences libérales.
Dès lors, la porte était ouverte à l’application d’une « reconnaissance » entre obédiences, la GLUA, bientôt suivie par ses affidés, s’arrogeant le droit de déterminer, sur la base de la régularité ou non, de la qualité maçonnique des Francs-maçons de telle ou telle autre obédience. En fait, dans cette optique, il n’y a de maçons que les « réguliers », les libéraux étant considérés comme organisations « se considérant comme maçonniques », mais n’en ayant pas la qualité réelle.
Parallèlement, la tyrannie ne florissant jamais qu’avec la complicité de ceux sur lesquels elle s’exerce, les obédiences non-régulières se partagent entre celles qui proclament leur identité libérale, allant jusqu’à forger un néologisme assez moche: « adogmatique » pour se définir, et celles qui déploient des trésors d’ingéniosité et de calculs politiques pour conquérir le Graal, c’est-à-dire la reconnaissance de la GLUA.
Dans les deux cas, je dirais qu’on accepte les règles de ce jeu pervers, puisqu’on se positionne par rapport à ses critères.
Le concept opérationnel pour définir les différentes formes de FFMM me semble plutôt être celui de l’universalité. Anderson lui-même souhaitait définir dans ses constitutions, les conditions d’une fraternité universelle des hommes, en les « soumett(ant) seulement à cette Religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d'Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d'Union et le Moyen de nouer une véritable Amitié parmi des Personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement Éloignées. ». D’autre part, l’Art. 2 de la Constitution du GODF stipule que « La Franc-maçonnerie a pour devoir d’étendre à tous les membres de l’humanité les liens fraternels qui unissent les Francs-maçons sur toute la surface du globe. »
Ainsi peut-on jeter les bases d’une nouvelle classification, de nature à mon avis à faire réfléchir tous nos SS et FF: Il y a une Franc-maçonnerie universaliste et des Franc-maçonneries particularistes, sélectives ou restrictives.
En FM universaliste (Grand Orient De France et quelques autres) :
Les maçons sont libres de leurs options métaphysiques, qu’il s’agisse de croyances et de pratiques religieuses, mais aussi d’athéisme ou d’agnosticisme,
Les maçons sont des femmes et des hommes,
Ils ont pour premier devoir de se perfectionner en tant qu’individus et en tant que citoyens, et aussi celui de réfléchir à l’amélioration de la société,
Ils ont la possibilité de travailler au rite de leur choix
En FM sélective (les autres) :
On ne peut être maçon sans proclamer sa croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme,
On ne peut être femme et maçon
Il faut s’interdire en Loge de s’interroger sur le fonctionnement de la société (mais il n’est pas forcément interdit d’y faire des affaires),
Il faut travailler le plus souvent au rite unique de sa Grande Loge.
Bien au-delà de ces considérations, il reste que ce qui fait fondamentalement un Franc-maçon, c’est :
Qu’il (ou elle) a vécu l’initiation maçonnique et
Qu’il (ou elle) se comporte en maçon.
C’est pourquoi je suggère à nos Sœurs et à nos Frères, et en particulier à ceux qui œuvrent dans nos instances dirigeantes :
D’abandonner définitivement les concepts de régularité maçonnique et de reconnaissance inter-obédientielle,
D’adopter définitivement une indifférence totale par rapport aux stratégies et manigances des uns et des autres par rapport à ces notions,
D’adopter définitivement le critère d’universalité pour évoquer (si besoin est) les différentes « branches » de la maçonnerie,
De pratiquer définitivement l’ouverture la plus large à l’égard de nos Sœurs et nos Frères de tous horizons, la reconnaissance maçonnique restant l’apanage exclusif de chaque Loge.
Philippe Bodhuin
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