Du contrepet comme science auxiliaire de l'Histoire.

CONTRIBUTION A L'ETUDE DE L'EVOLUTION DES RITES DE L'EGLISE ROMAINE
L'érudition contrapétique peut aussi apporter ses lumières à la solution des énigmes historiques. Nul n'ignore, par exemple, le grave problème posé par le cérémonial de l'intronisation papale, selon lequel traditionnellement le premier cardinal de l'Ordre des Diacres, s'adressant à la foule du haut de la loggia de Saint-Pierre lui annonçait le nom du nouveau Pontife et ajoutait les paroles sacramentelles :
Duos habet et bene pendentes1
Rappeler les vicissitudes des controverses exégétiques qui ont foisonné sur ce texte liturgique dépasserait le cadre de ce modeste ouvrage. On sait d'ailleurs communément que deux partis s'affrontèrent : les uns voyant dans pendentes l'idée péjorative d'un affaissement tératologique, les autres, au contraire, celle d'une attache puissante. Ni les uns ni les autres, est-il besoin de le dire, n'étaient dans le vrai, et on conçoit mal que personne ne se soit trouvé pour noter ce que le principe même de la discussion pouvait avoir d'oiseux eu égard à la personne auguste du Souverain Pontife. C'est seulement par la dévotion un peu bornée des fidèles que ce bene pendentes a pu passer pour un éloge de l'Homme dans le Saint : nul d'entre nous n'accepterait, en effet, de se voir appliquer une telle épithète, et personne ne la tiendrait pour un hommage à sa force ou à son courage. C'est à tort, d'autre part, qu'on a voulu en faire une réfutation de l'Ectopie pontificale.
Lacurne de Sainte-Palaye, dans ses Mémoires sur les ouvrages de Glaber, éclaire heureusement toute la question en découvrant que cette énigme est une simple contrepèterie : c'est, en effet, au XIIe siècle seulement que la faction des moines clunisiens hostiles à la réforme de saint Bernard, et par conséquent à la papauté, vulgarisa cette formule destinée à rabaisser les Sources de la puissance pontificale et à jeter l'opprobre sur les Attributs de Sa Sainteté.
Combien plus satisfaisant pour un esprit vraiment religieux apparaît le texte authentique, exprimant, avec la naïveté savoureuse de nos ancêtres, la modération de mœurs naturelle à l'âge et à la haute dignité du Chef de la Chrétienté !
Duos habet et pene bandantes2
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- On pourra consulter sur cette importante question le sérieux ouvrage de l'historien Alfred Jarry, Le Moutardier du Pape.
- L'adverbe pene (ou paene) signifie ici : à peine, sans excès. Ce terme est tout empreint d'onction ecclésiastique.
- La forme pene, résidu du cas instrumental indo-européen, est attestée comme adverbe par Tertullien dès avant les Pères ; et nous ne nous arrêterons même pas à l'opinion de ceux qui substituent à cet adverbe l'ablatif pene, à cause de la célèbre séquence Penis angelicus, dont il est superflu de rappeler qu'elle n'a été composée qu'au XIIIesiècle, par saint Thomas d'Aquin.