Exercices des libertés fondamentales, les pouvoirs du maire...
Qui exerce l'enfermement de l'esprit critique ?
S'agissant d'une liberté fondamentale que garantit la République, peut-être est-il prudent que les francs-maçons, Soeurs et Frères, aiguisent leur esprit critique sur cette question : l'interdiction d'un spectacle de M. M'Bala M'Bala a-t-elle violée la liberté d'expression ?
SLVE s'était interrogé sur cette question pour estimer que non. D'autres estiment que oui, plaçant la liberté d'expression au dessus de tout autres considérations selon l'axiome qu'il est "interdit d'interdire". Exprimé avec force et force redondances en mai 68, il est amusant de le voir réutilisé par certains de ceux qui veulent par ailleurs "en finir avec mai 68" !
Néanmoins, la question se pose à tout républicain conséquent !
Lors de l'émission "Mots croisés" consacré à ce thème, il est ressorti d'un échange entre Alain Finkielkraut et Patrick Devedkjian, d'accords sur cela, la mise en exergue de deux parties dans le concept d'ordre public : l'ordre public matériel et l'ordre public immatériel. Dans la mesure où le Conseil d'Etat se fonde sur cette deuxième partie pour interdire le spectacle, et donne raison à l'interdiction en annulant le jugement du tribunal administratif, il convient de s'intéresser à son raisonnement puisque, la multiplication de tel jugement peut transformer cet arrêt d'espèce en arrêt de principe et opérer une inversion de jurisprudence...
En 2011, une analyse juridique de M° Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris, traite de cette question dans un article que le Courrier des Laires inclut dans sa rubrique juridique sous le titre : "Affaire Dieudonné - Ordre public, moralité, dignité : les pouvoirs de police du maire".
Extrait :
Selon l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, si « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » et si « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement », c’est sous la réserve de devoir « répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En pratique, les juges essaient au cas par cas, d’assurer l’équilibre… Un exercice de haut vol, qui exige un raisonnement juridique aussi subtil que rigoureux.
En matière de création artistique, « l’abus de la liberté » n’est pas aisé à identifier. Le maire peut-il s’immiscer dans le débat et prendre, sur le fondement de son pouvoir de police, des mesures restreignant cette liberté ? Le juge administratif est appelé à y répondre, en statuant sur la légalité des mesures d’interdiction qui lui sont soumises. Il admet le principe d’une telle régulation locale : « Le principe de la liberté ne saurait faire échec aux nécessités du maintien de l’ordre public » (CE, 23 décembre 1936, Bucard : Rec. CE 1936, p. 1151). Mais il censure également les cas dans lesquels l’usage du pouvoir de police aurait été injustifié ou disproportionné.
Le maire devra non seulement motiver son arrêté de police mais le fonder sur une violation précise de l’une des composantes de l’ordre public.
Plan de l'article :
I. L’interdiction fondée sur le trouble à la sécurité ou la tranquillité publique
II. L’interdiction fondée sur l’atteinte à la moralité ou à la dignité humaine
III. L’essentiel
- le pouvoir de police générale accordé au maire par le Code général des collectivités territoriales l’autorise à interdire un spectacle susceptible de troubler l’ordre public ;
- pour le juge administratif, l’ordre public a pour composantes la sécurité, la salubrité, la tranquillité publiques, mais également la moralité publique et la dignité de la personne humaine ;
- le maire pourra interdire une représentation artistique pour ces motifs, dès lors qu’aucune autre mesure ne permet d’éviter le trouble, et qu’elle est justifiée par des « circonstances locales » ;
- à la différence de la « moralité publique », la dignité de la personne humaine peut être protégée par le maire sans qu’il soit besoin d’identifier des circonstances locales particulières justifiant la mesure.
Sa lecture complète montre que la position du Conseil d'Etat n'est pas "de circonstance" mais répond à une préoccupation habituelle des maires. C'est d'ailleurs, d'entrée de jeu, si je puis dire, que la loi de 1881 "encadre" cette nouvelle "liberté d'expression" qu'elle institue néanmoins ! Le débat est ouvert...
Gérard Contremoulin
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