Jean Baubérot et la laïcité "positive" ou la "vente à la découpe" de la Laïcité
Dans un article précédent à propos des déclarations de Mme Elisabeth Badinter, j'indiquais la nécessité de réfuter la thèse de Jean Baubérot sur la Laïcité. Cette perspective a donné lieu à un échange sur Facebook entre deux militantes laïques, Annick PIAT et Catherine PICARD. Elles m'ont donné leur accord pour qu'il soit reproduit.
Le voici :
Je trouve réducteur et polémiste le propos de Jean Baubérot... Je pense plutôt qu'Elisabeth Badinter a reproché aux candidats autres que Marine Le Pen de ne pas parler plus de laïcité. Trop facile de tomber dans le piège de Baubérot et de taxer E. Bandinter de complaisance avec le FN. On marche sur la tête et on prend au 1er degré ce qui arrange pour fiche la zizanie dans cette période sensible. Je trouve qu'avant de balancer des communiqués, il faut réfléchir...Etre prudent(e)s dans les déclarations, vigilant(e)s voir méfiant(e)s à l'égard des transcriptions... Une règle.
Jean Baubérot est l'homme qui segmente la laïcité, la parcellise ce qui réduit le concept en le diluant grâce à moult qualificatifs. Exemple : "Effectivement, nous dégageons six types différents de laïcité. Trois d’entre eux prédominent aujourd’hui : ce que nous appelons une laïcité de « collaboration », une laïcité sur le modèle de la « foi civique » et une laïcité de type « séparatiste ». Ces trois aspects cohabitent à différents degrés dans notre société."
La laïcité n'est pas celle du boucher ou celle du libraire, elle est celle de la République, la référence de tous les citoyens. Une valeur universelle qui permet à chacun de pouvoir exprimer des choix spirituels, philosophiques, politiques...au delà du simple fait religieux et en toute liberté de conscience, d'expression. Les ennemis de la laïcité veulent toujours la réduire à un qualificatif, et l'inféoder au fait religieux. Jean Baubérot de fait défend aussi au nom de la liberté les mouvements sectaires qu'il nomme "nouveaux mouvements religieux, comme si cela donnait à une organisation un poids plus important de respectabilité. Par ailleurs le fait d'être ciblés "religieux" donnerait à ces mouvements le droit de ne pas respecter l'ordre public. Il y a derrière ces notions un désir de communautariser la société en donnant des droits spécifiques au nom de pratiques dites "cultuelles". Le droit est le même pour tous dans l'esprit des textes, il faudrait qu'il le reste dans l'application de la justice.
Je souhaite prolonger cet échange en insistant sur ce qui me parait le tort le plus important que Jean Baubérot cause à la Laïcité, c'est-à-dire un caractère non universel !
Toute son argumentation prend appui sur l'équilibre trouvé lors de l'adoption de la loi en 1905. Ce ne serait évidemment pas un problème s'il n'en faisait un modèle et qu’il en transpose le contexte (les conditions du déroulement des débats) dans la société aujourd'hui. Quel non sens ! Plutôt que de reconnaître la laïcité comme un principe fondamental qui doit concerner, transversalement tous les aspects de la vie (sociale, politique, économique, religieuse), il part au contraire de ces différentes situations sociales, dans leur diversité voire dans leur morcellement, et leur adapte des formes différenciées de la Laïcité, qu’il découpe ainsi en six segments, un pour chaque cas de figure. Jean Baubérot nous livre ainsi une laïcité "à la carte", vendue « à la découpe » !
Mais en situant son analyse en référence au seul fait religieux, il « oublie » l'aspect essentiel de la loi de 1905, la liberté de conscience, c'est-à-dire la possibilité de NE PAS croire, de se situer en dehors de toute croyance.
Dans une rigoureuse analyse juridique de la Laïcité, publiée sur le site Mezetulle de Catherine Kintzler, Charles Arambourou s'interroge :
En quoi consiste la liberté de conscience ? C’est la condition indispensable à l’égalité entre citoyens, quelles que soient leurs convictions personnelles, ou leurs appartenances identitaires.
- Exposé des motifs de la loi du 15 mars 2004 : « la liberté de croire OU de ne pas croire».
- La CEDH (Grzelak v. Poland, 15/06/2010) a rappelé que la liberté protégée par l’art. 9 de la Convention inclut un « aspect négatif » : ne pas croire, ou ne pas être obligé à manifester sa croyance ou sa non-croyance.
D’où la règle simple :est laïque tout ce qui contribue au respect de la liberté de conscience, c’est-à-dire en pratique, à l’égalité absolue de traitement des incroyants.
Voilà pourquoi la laïcité n’admet pas d’épithète comme « ouverte, plurielle, positive… ». Ils cachent la recherche d’un compromis permanent avecles seules religions, contraire donc à la liberté de conscience (car les incroyants sont alors exclus !). Ce compromis se fait sur le dos
du principe de laïcité (ex. : crucifix dans les centres de baccalauréat « privés sous contrat » de l’Académie de Créteil tolérés par le rectorat : ce sont les professeurs qui protestent qu’on
déplace !).
Facteur aggravant, ce positionnement de Jean Baubérot, venant d'un historien, spécialisé dans la sociologie des religions, s'intitulant lui-même "sociologue de la laïcité", ne pouvait qu’ouvrir la voie et en quelque sorte apporter sa caution, quoiqu'il ait pu en dire par la suite, à l'emploi de l'expression de "Laïcité positive" par Nicolas Sarkozy à partir de son discours du Latran... On ne peut que le regretter !
Charles Arambourou en souligne l'objectif dans l'extrait ci-dessus, faisant de l'utilisation d'une épithète le symptôme de la volonté de ne pas tenir compte des athées en ne s’adressant qu’aux seuls croyants, méconnaissant ainsi le principe de la Liberté de Conscience.
Jean Baubérot se livre aussi à une curieuse dénégation de l'anticléricalisme.
Il le pose comme l'un des courants qui, en montant en pression, avait créé en quelques sortes les conditions pour permettre à Aristide Briand, habile négociateur, de faire apparaître sa proposition de loi comme un apaisement et de permettre ainsi l'adoption de la loi de 1905 : « l'instauration de la laïcité nécessite la plupart du temps un moment anticlérical » Cette vision très instrumentalisante, le conduit à conclure à la fin de l'anticléricalisme, mécaniquement, avec l'adoption de la Loi !
C'est court, très court ! D'autant plus court que l'anticléricalisme qu’il réduit avec un certain mépris à un simple « moment », est en réalité un courant de pensée qui perdure et qui s'incarne sous les couleurs de mouvements ou d'associations d'Education Populaire plutôt actifs. Et lorsque ce courant s'exprime aujourd'hui, il se distingue clairement du courant antireligieux. Ces deux notions ne sont pas superposables et l'on peut être anticlérical sans être anti religieux. C'est d'ailleurs très probablement l'enjeu de la période que de les examiner et de mesurer leurs conséquences. La logique de la Loi de 1905, séparant les églises de l'Etat institue deux sphères, l'une regroupant les préoccupations publiques, l'autre regroupant les préoccupations privées.
Dans son analyse, Charles Arambourou relève le caractère inapproprié car incomplet des dénominations des deux sphères, publique et privée. Il leur substitue, avec Catherine Kintzler, les termes de sphère de l'autorité publique et sphère de la société civile. Cette nouvelle dénomination leur permet de situer de façon assez précise le champ où s'applique l'obligation de neutralité d'une part (l'autorité publique) et le champ de la religion d'autre part (la société civile, où le principe de neutralité ne s'applique pas). De même, la Laïcité ne s'appliquerait qu'au cléricalisme, c'est-à-dire à la volonté des églises d'intervenir dans le dispositif législatif ou réglementaire pour faire valoir des droits particuliers pour leurs "coreligionnaires". C'est ainsi que la découpe de la Laïcité en autant d'épithètes qu'il y aurait de segments de la société est une définition qui ouvre sur le communautarisme à l’anglosaxonne...
A ces deux sphères, Charles Arambourou est tenté d’en ajoute une troisième, la sphère intime, le domaine de la conscience individuelle, qu’il définit ainsi :
La sphère intime est le domaine de l’incroyance, de l’indifférence, ou de la foi personnelle (qu’il ne faut pas confondre avec la religion, dont la liberté d’exercice ne présuppose pas la foi individuelle). Dans une société démocratique, la loi n’a pas à régir la sphère intime – en revanche, elle la protège des ingérences d’autrui : manipulations mentales, sectes… abus de faiblesse !
Jean Baubérot, partisan d’une conception libérale de la laïcité, souffre qu’elle soit définie strictement. Il est vrai qu’à l’inverse, son éclatement conviendrait mieux à une organisation communautariste de la société où la loi n’est pas universellement reconnue mais où chaque communauté peut revendiquer (et obtenir) des dispositions législatives, institutionnelles ou règlementaires, dérogatoires au droit commun. A titre d’exemple on citera les tribunaux confessionnels britanniques, les sukuks ou la finance islamique envisagés par Christine Lagarde, alors ministre des finances. Et dans le domaine scolaire, les écoles confessionnelles (Ikastola basque, Diwan bretonne, ) ou encore les revendications visant à instaurer l’usage d’une langue régionale en lieu et place du français, langue officielle de la République, en Corse, en Bretagne, au Pays basque et enfin, the last but not the least, réserver le recrutement de fonctionnaires aux locuteurs de la langue régionale de la région concernée pour des fonctions qui seraient exercées dans cette langue ! Ce fut une dure bataille syndicale qu’il me fut donné de livrer pendant mon mandat de secrétaire général face à une revendication du STC (Syndicat des Travailleurs Corses) pour faire prévaloir l’unité du territoire, l’égalité d’accès des citoyens aux services publics et l’égalité d’accès des fonctionnaires aux emplois publics !
Laïcité et service public, un article en perspective, comme beaucoup d’autres dans cette période qui nous conduit vers le 9 décembre 2011, 106 ans après…
Gérard Contremoulin
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