La Loge ou l'Obédience ? Les deux...
Tableau des Loges de la Grande Loge de Londres et de Westminter vers 1735
La cohésion des loges est assurée par un lien fort qui les rassemble dans une entité, l'obédience. Un lien qui est à la fois susceptible de les représenter toutes et d'assurer à chacune la liberté d'exister en pleine souveraineté.
Ce lien, en bien des points comparable à "l'affectio sociétatis" du droit des associations, est un pacte social qu'est censé partager chaque loge et chaque Franc-Maçon en intégrant une Loge. Ce lien fait d'ailleurs l'objet d'un serment prêté par tous les fondateurs lors de la création d'une nouvelle Loge. Ne parle-t-on pas alors, d'agrégation de la Loge à l'Obédience...
L'obédience, concrétisation de ce lien.
Lorsque le 24 juin 1717, quatre Loges à Londres ("L'oie et le Grill", "Le Gobelet et les Raisins", "Le Pommier" et "La Couronne") décident de se réunir dans la taverne "The Goose and Gridiron", elles s'assemblent pour créer en fait la première obédience maçonnique : "La Grande Loge de Londres et de Westminster". Elles vont s'appuyer sur les "Constitutions" des deux pasteurs Anderson et Désaguliers. C'est un acte majeur qu'elles posent.
On observera au passage dans leurs titres patronymiques et celui de leur lieu de réunion la nature de leur pratique du symbolisme...
Plus sérieusement, par cette création, elles ouvrent la voie au développement de la Franc-Maçonnerie, développement qui va s'étendre, rapidement, à toute l'Europe.
Dans une obédience aussi ancienne que le GODF, à l'origine de la Franc-Maçonnerie dans notre pays, ce lien a fait l'objet d'une longue chaine de transmission, dans le temps et dans l'espace.
Si les fondamentaux (repris des Constitutions d'Anderson) subsistent, un certain nombre d'éléments, plus conjoncturels, se sont bien évidemment transformés. De sorte que ce que l'on peut appeler notre "Tradition" est plus un esprit qu'une stricte lettre.
Ce lien est vivant. Il peut croître, il peut aussi régresser.
La vitalité observée sur 3 siècles du GODF (depuis 1728) , son histoire, contrastée, suit globalement une résultante ascendante vers la réalisation de ses idéaux de progrès social, et (dé)montre cette capacité de l'obédience à "croître".
Les deux conflits mondiaux ont montré à l'inverse combien le fait obédientiel pouvait être la cible des régimes autoritaires et à ce titre vulnérable.
La période de la Résistance, alors que le GODF et la GLDF avaient été dissoutes dès le 19 aout 1940 par Pétain, a vu la survivance de loges maçonniques dans les pires conditions, certaines se trouvant même être des réseaux de résistance (Patriam Recuperare, Alsace-Lorraine) ! Jusqu'en 1943, le Général De Gaulle s'abstiendra de prendre position. Puis il finira par déclarer : "Nous n'avons jamais reconnu les lois d'exception de Vichy. En conséquence, la Franc-maçonnerie n'a jamais cessé d'exister". Las... Cette position ne se substituera jamais aux conditions dans lesquelles les Frères et les Soeurs auront su, avant et face à l'occupant nazi et à ses séïdes vichystes, maintenir le lien maçonnique en faisant vivre des Loges ! Et la renaissance de la Franc-Maçonnerie ne se fera qu'à partir de leur volonté de faire revivre les obédiences, attestant ainsi de la raison d'être de ce lien !
Aujourd'hui, Loge et/ou obédience, toujours la question...
L'actualité de cette question est probablement le produit de la célèbre proclamation "Un maçon libre dans une loge libre". Affirmée aujourd'hui comme un crédo incontournable, elle s'est progressivement imposée en même temps que la regression également progressive des pouvoirs des exécutifs successifs du GODF.
Elle repose sur une aspiration à l'autonomie qui est, en fait, une compréhension erronée ou partiale du principe de souveraineté des loges.
En effet la souveraineté est cette capacité garantie aux loges de l'obédience d'être décideur sur les matières prévues par la Constitution et le Réglement Général, lors des Convents. Le Convent est souverain. Il est constitué de chacune des Loges inscrites qui doivent obligatoirement participer. Les décisions des Convents, hors budget et ratification de conventions, soit modifient les textes généraux, soit ouvrent des droits dont les loges peuvent ensuite décider de bénéficier ou pas, souverainement.
Deux exemples célèbres :
- le voeu n° 9 de 1877 mettant fin à l'obligation de croire en Dieu. Cette décision fait cesser une obligation mais n'en impose aucune autre. On peut continuer à croire !
- les voeux de 2010 et 2011 sur l'initiation des femmes et l'affiliation des soeurs. Les loges qui le souhaitent, peuvent... sans que ce soit une obligation pour les autres.
Dans ces conditions, la souveraineté n'est en rien une "autonomie" et chaque loge reste soumise aux textes généraux et aux décisions prises par l'exécutif en application des décisions du dit Convent.
La liberté du maçon dans une loge libre peut-elle garantir la sauvegarde de l'Ordre maçonnique ?
Oui, probablement, si l'on considère que la maçonnerie se résume à la vie de la loge, aussi intense, aussi valorisante, aussi émancipatrice soit-elle pour chacun de ses membres.
Non, certainement, si l'on considère la vocation de l'Ordre maçonnique tel qu'il est rappelé dans l'article 1° de la Constitution du Grand Orient de France et dans une forme assez proche dans d'autres obédiences comme la GLMF ou dans son esprit comme au DH ou à la GLMU ou encore à la GLFF, c'est-à-dire :
La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la Solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité.
Elle a pour principe la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience.
Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l'apppréciation individuelle de ses membres, elle se refuse à toutes affirmation dogmatique.
Elle attache une importance fondamentale à la laïcité.
Elle a pour devise : Liberté, Egalité, Fraternité.
Sa lecture est la seule obligation réglementaire, hors rite, faite à chaque loge du GODF. Et le contenu en fait mieux comprendre pourquoi.
Car il y a deux valences, quasi permanentes, dans la vie maçonnique : le cheminement initiatique, démarche très intime que l'on opère dans sa loge et l'engagement citoyen que l'on peut faire à titre individuel, selon ses propres engagements citoyens (politique, syndical, associatif que l'on peut avoir) mais aussi à titre collectif, à partir d'une présence de "la Franc-Maçonnerie" dans la société. Et cette dimension ne peut être lisible qu'avec l'existence des obédiences et le choix qu'elles font d'intervenir ou pas dans la société.
Un débat toujours d'actualité, parfois tellement dans l'actualité...
Cette notion d'obédience n'est pas uniformément acceptée dans tous les courants de pensée présents dans la maçonnerie et ce partage ne dépend pas uniquement des obédiences. Il peut leur être transversal, comme le sont tous les problèmes d'une société en crise. Mieux vaut le savoir que de se le dissimuler. On est toujours rattraper par ce que l'on se cache !
Le courant libertaire considère que la Loge est la base de la Franc-Maçonnerie et la SEULE instance susceptible de s'exprimer au nom des membres. L'obédience n'est qu'un supplément d'âme pour lequel "on est prêt à payer, mais pas trop". Ce courant conteste, par exemple, toute action internationale qui n'aurait aucun sens en Franc-Maçonnerie.
Un courant "républicaniste" pour lequel les Loges sont à la fois souveraines et acteurs d'initiatives plus ou moins suscitées par quelques esprits éclairés républicains probablement, autoproclamés sans aucun doute ! Cette stratégie emprunte des voies souvent surprenantes, parfois consternantes, en Franc-Maçonnerie et poursuivent, finalement, des buts définis hors de l'obédience...
Un courant d'inspiration trotskyste qui s'appuie sur un fait obédientiel fort dès lors que celui-ci accepte de relayer ses orientations, notamment sur l'athéisme militant... En fait une survivance d'une mouvance politique en perte de vitesse dans la vie politique mais qui conserve encore de beaux quartiers en Franc-Maçonnerie.
Le courant "régulier" pour qui la Franc-Maçonnerie s'interdit de débattre de religion et de politique. La méconnaissance de cette interdiction a couté cher à François Stifani à la GLNF, lorsqu'il a soutenu en 2008, ouvertement l'ancien président de la République... Mais ce courant s'appuie sur l'acceptatoin d'un fait obédientiel puissant.
Le courant légitimiste qui considère que le respect de la République suppose le respect des institutions de la République et du résultat sorti des urnes. Attitude largement majoritaire, notamment au GODF, elle y constitue à la fois la force et la faiblesse du fait obédientiel. Force en terme de représentation symbolique dès lors que les principes sont respectés par les détenteurs du pouvoir et faiblesse dans le cas contraire ; force en terme d'expression des valeurs pour lesquels nous travaillons et faiblesse dès lors qu'elles sont bafouées. Et l'on comprend bien que si les Loges peuvent rester fidèles à leurs engagements, à leurs réflexions, à leurs propositions, il est indispensable pour une lisibilité nationale de pouvoir compter sur un échelon obédientiel audible.
Enfin, un courant "régionaliste" qui souhaite que quelques loges puissent avoir la possibilité de s'exprimer sur toutes questions dès lors qu'elles sont en situation de le faire, soit pour des raisons de situations locales, soit de compétences auto affirmées. C'est probablement le cas de figure le plus caractéristique de la perte de substance obédientielle.
Par ailleurs, ce courant s'apparente fort à une autre identité, la GLNF, avec sa structuration en "Provinces", dont les instances sont déconcentrées avec des Grands-Maîtres provinciaux...
Est-ce bien ce que nous voulons ?
En guise de conclusion...
De ce jeu institutionnel où tantôt la Loge, tantôt l'obédience tient le haut du pavé, ne faut-il pas retenir que l'important est la vie qui surgit à chacune de ces étapes (ou de ces scénarii) dans les interstices ? Le GODF a mené sa vie, bon an mal an depuis 3 siècles. Il en a connu des péripéties, des drames, des effondrements ET des sursauts. De même que les obédiences qui ont vécu ces périodes...
Ne faut-il pas regarder cette glorieuse histoire non pas avec les yeux de Chimène mais avec le courage indéfectible de Sisyphe ? Optimiste mais lucide.
La perte de substance du fait obédientiel peut conduire à l'implosion d'une obédience en ce sens que l'addition des intérêts particuliers n'a jamais permis de comprendre et surtout de défendre ce qu'était l'intérêt général !
Aujourd'hui, nous sommes au pied de ce mur.
Chacune et chacun est donc devant le choix de privilégier soit l'intérêt particulier, vécu dans la Loge, soit l'intérêt que représente l'obédience comme expression collective et lisible de la Franc-Maçonnerie.
C'est le défi que j'évoquais dernièrement. Saurons-nous nous réformer en profondeur pour faire face aux tâches de l'heure ?
Et plutôt qu'au pied, n'est-ce pas en haut, lorsque le mur est construit, que l'on voit le maçon...
Bien plus que l'intention, c'est l'acte qui révèle...
Gérard Contremoulin
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