Les religions sont elles solubles dans la démocratie ?
Au moment où les religions du Livre mettent en commun leurs "autorités morales" contre le mariage pour tous, s'érigent en partenaires du législateur et se voudaient interlocuteurs des pouvoirs publics, contrairement à la loi de 1905, on peut se demander si elles sont "solubles dans la démocratie"...
La question de la démocratie est centrale pour un laïque puisqu'elle traite de l'organisation de la Cité. Elle est l'un des moyens sur lesquels s'appuie la République pour se déployer. Ainsi est-elle "laïque, démocratique et sociale".
Mais la République est aussi un ensemble de principes et de valeurs qui place l'être humain au coeur de toute démarche. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, clé de voûte du bloc de constitutionnalité, institue les principes de Liberté et d'Egalité comme premières caractéristiques de l'être humain : "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit".
Petit détour sémantique.
Laïque, du grec laïkos "commun, du peuple" (laos), terme qui s'oppose à kléricos "clerc". Il n'est, dès lors, pas tout à fait anormal qu'un laïque (qui fait profession de Laïcité) soit anticlérical. Alors que le Laïc est en fait un fidèle, auxiliaire du culte, qui n'est pas "entré dans les odres", par exemple un diacre, c'est à dire un "clerc". Et l'on retrouve cette vieille différence sémantique entre les masculins "laïque" et "laïc". Le premier est souvent anticlérical et de toute façon non lié au clergé alors que le second en est le substitut.
Anti clérical ou antireligieux.
Si le laïque est volontiers anticlérical, est il forcément antireligieux ? La Laïcité peut-elle n'être qu'un combat contre les cultes ?
Oui pour ceux qui considèrent que la Laïcité se perd chaque fois que l'on évoque les réalités religieuses autrement qu'avec le projet de les réduire au silence ou tout simplement lorsqu'on en parle.
Non pour ceux qui considèrent que les religions ont toutes leurs raisons d'être mais dans le secret de la conscience de chacune et de chacun, loin de l'Etat et des pouvoirs publics qui doivent, en retour, observer la plus grande neutralité à leur égard.
C'est une question qui se pose dès lors que l'on souhaite parler aujourd'hui du phénomène religieux et de ses différentes traductions.
Abdellatif Laâbi propose deux visions de la Laïcité. l'une est ce qu'il nomme "l'athéisme militant" et l'autre, "comme l'impartialité indispensable pour abriter toutes les croyances".
Malek Chebel et son oeuvre plaide pour un retour aux sources de l'Islam, une religion d'ouverture vers celui qui est différent, vers une altérité productrice de progrès, vers le dialogue scientifique et intellectuel, Averroès et Maïmonide.
La revue GOLIAS propose une lecture du catholicisme assez différente de la parole vaticane, épingle le centralisme romain et l'autoritarisme papal et considère que la loi républicaine est la première qui s'impose aux catholiques.
Et puis, il y a ces questions des caricatures et du blasphème.
Elles viennent interroger nos convictions laïques et républicaines. Les unes et les autres appartiennent au domaine de la Liberté d'expression, indivisible.
Des caricatures de Mahomet aux happenings des FEMEN en passant par les "Versets Sataniques" de Salman Rushdie, la pièce de théâtre "Golgotha Picnic" ou la parodie de La Cène réalisée pour Benetton, les réactions les plus vives sont venues des fondamentalistes, qu'ils soient islamistes ou "catholicistes" comme Civitas, SOS Tout-Petits ou la Contre-Réforme Catholique. La violence de leurs réactions, fatwas, incendie et agressions physiques est totalement inacceptable. Et le soutien d'un Alain Soral, dans sa logorrhée d'extrême droite, antisémite, xénophobe, raciste, vient confirmer cette origine.
Mais, il y a aussi la réaction des croyants "lambda" qui peuvent se sentir humiliés, raillés dans leurs croyances. Et j'avoue mon trouble à leur écoute. Si je suis volontiers "à-bas-la-calotiste" en groupe privé, ce qui est mon droit le plus strict, puis-je m'autoriser à l'être en public ?
La rigueur de la position qu'il faut avoir sur le respect de la loi de 1905 ouvre néanmoins la réflexion sur la manière de vivre et de faire vivre cette "indifférence" de l'Etat à l'égard des religions. Nous sommes dans le domaine de la compréhension de l'autre et du respect mutuel d'une part et d'autre part, de la loi républicaine pour tous et de la conscience pour chacun. Et lorsque Christiane Taubira en concluant le vote du Mariage pour Tous, rappelle ce propos d'Emmanuel Lévinas : "l'altérité, cette irréductible inquiétude pour l'autre", elle touche le coeur de la cible. Peut-on vivre à l'écart de l'autre, c'est à dire sans préjudice pour soi-même... N'est-ce pas le crédo, mais aussi l'inévitable obligation du "Vivre Ensemble" ?
L'espace public et l'espace privé.
Alors, que penser des FEMEN lorsqu'elles investissent Notre Dame de Paris ? Provocation ? Bien sûr. Liberté d'expression ? Bien sûr.
Judicieux ? C'est tout le débat...
La voie publique appartient à tous. En y manifestant, chacun prend le risque de se voir contesté dans ce qu'il manifeste. Ainsi, lorsqu'elles viennent apporter la contradiction dans la manifestation de Civitas, elles sont dans leur rôle, provocateur, à la limite blasphématoire mais ce n'est pas un délit.
Par contre, à l'intérieur d'un lieu de culte, ici le symbole de l'histoire du catholicisme en France, elles prennent le risque que la force du symbole, religieux mais aussi culturel, artistique, architectural, se heurte violemment à l'image de ce que leur happening propose. Et l'on sent bien qu'il y a là matière à réflexion.
Sans aller jusqu'au bout des propos de Bruno Roger-Petit, qui souhaiterait tant qu'elles se fassent oublier ou même, quittent le territoire, je pense que cet épisode n'est pas de la meilleure inspiration... Non pas parce que ce lieu de culte est privé, je rappelle que les pouvoirs publics l'ont en grande partie à leur charge (depuis 1905), mais - et c'est là la question - parce qu'il est ce symbole de cette activité humaine, religieuse et profane, dont il parle.
Car ce type d'édifice n'est pas seulement un édifice religieux !
Pour qu'un happening touche sa cible, il lui faut réunir un contenant, un contenu, mais à la différence du symbole, peu importe le public auquel il s'adresse. D'où l'effet produit de provocation, de parfum de scandale... Et il est d'autant plus efficace qu'il fait parler de lui, quels que soient les propos... sur le moment. Car le véritable impact d'un happening réside dans la réflexion qu'il provoque, qu'il installe. Dans le cas qui nous occupe, force est de constater qu'on continue d'en parler? Et, en en parlant, on cherche des précédents et... l'on en trouve ! Tel le "Scandale de Notre Dame" où un faux moine, Michel Mourre, le 9 avril 1950 dans cette même cathédrale, prononça une fausse homélie, déclarant notamment que "Dieu est mort". Bien plus scandaleux, à l'époque, que les seins nus des FEMEN.
Mais, en 2013, se féliciter de la démission d'un pape, fut-il réactionnaire, en montrant des poitrines dénudées, dans CE lieu, suscite de légitimes interrogations.
C'est vrai que j'aime fréquenter les églises, les basiliques romanes ou gothiques (St Julien de Brioude, Sarlat), certaines abbayes ou cloîtres (Lavaudieu, l'abbatiale St Ouen à Rouen, La Chaise-Dieu), certaines cathédrales (Rouen, Strasbourg, Chartres), certains temples protestants (Metz), etc. Non pas pour les offices, je suis devenu athée, mais pour eux-mêmes. Ces lieux donnent une idée du Beau, du Sublime, de l'intelligence humaine, de l'Art de la construction et de son adéquation avec la réflexion, la méditation. Et c'est probablement le respect qu'ils m'inspirent qui se trouve surpris par ce happening des FEMEN et par celui de Michel Mourre à Notre Dame...
Dura lex sed lex...
De sorte que si les principes de la loi de 1905 sont à respecter avec la plus grande rigueur, c'est dans toute leur étendue. La Laïcité ne commande pas de mener le combat contre les églises, contre les cultes. Elle prévoit même la garantie de leur exercice, "dans le respect de l'ordre public garanti par la loi".
Le militantisme laïque n'est pas l'athéïsme militant. Pour lutter efficacement contre tous les fondamentalistes dans leurs expressions publiques (de l'Opus Dei aux loubavitchs en passant par les évangéliques protestants), il ne faut surtout pas tout refuser en bloc comme le souhaite l'athéisme militant. Il ne faut pas refuser aux fidèles le droit d'exercer leurs cultes. Mais il faut en fixer les limites : ce sont celles de la loi !
Respecter la séparation entre sphère publique et sphère privée passe par l'absolue nécessité de respecter toute l'étendue de la loi de 1905. C'est en ce sens, et seulement en celui là, que les religions peuvent prendre place dans la République. Alors, sur la base de ce respect mutuel, le "vivre ensemble" peut n'être pas qu'une utopie... C'est précisément cela dont les fondamentalistes ne veulent pas.
Et nous, que voulons-nous ?
Gérard Contremoulin
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