De la "Manif pour tous" à "Jour de colère" : le retour des anti-Lumières.
Sans survaloriser leurs importance, traiter de ces manifestations dans leur seule traduction politique serait passer à coté d'une dimension majeure de l'évolution entre ces deux moments du mouvement qui agite, qui secoue notre société, la montée de la remise en cause de ce que l'on pouvait considérer comme un acquis : les apports de la philosophie du Siècle des "Lumières".
Sous le vocable de "sociétal" les médias nous présentent ce qui serait une opposition : les questions sociétales d'une part qui ne seraient que secondes et d'autre part, les questions sérieuses, c'est-à-dire l'économie, le chomage, l'emploi qui seraient..., elles, prioritaires. Rien n'est moins certain !
Dans une chronique sur France Culture dont vous jugerez de la pertinence, Edwy Plénel évoque le caractère fondamental du débat entre les tenants de la Manif pour tous et ceux du Mariage pour tous et de la loi sur la famille.
Au coeur de l'affrontement, le mouvement d'émancipation pour l'Egalité face à la revendication du retour à ordre social ancien, "naturel" au sens religieux du terme, l'esprit des "Lumières" (voir l'article de Valéry Rasplus) ou la "loi naturelle"...
La lutte contre la loi Taubira, vecteur de rassemblement.
Le changement de leader à la tête du "mouvement" de la réaction à l'évolution, semble montrer qu'après le succès des mobilisations contre la loi Taubira, il est probablement apparu nécessaire de façonner une représentation plus emblématique, moins sulfureusement exotique que celle qu'en donnait Frigide Barjot. "Artiste" aux réussites mitigées et aux inspirations plutôt hétérodoxes avec la morale catholique, elle avait su néanmoins se rapprocher du Vatican en prenant la défense du Pape Benoit XVI avec son "touche pas à mon Pape" puis en créant le "Benoithon" !
La hiérarchie catholique française, en perte de vitesse à l'époque, avait probablement dù penser qu'il valait mieux, quitte à jeter un voile pudique sur ses activités "artistiques", s'en remettre à elle pour dynamiser une mobilisation contre le projet de loi Taubira dite du Mariage pour tous qui lui apparaissait comme le mal absolu ! Et force est de reconnaître que bien lui en a pris.
Elle a néanmoins été virée du collectif au profit d'une fondamentaliste plus rassurante sur la solidité de ses orientations idéologiques.
Ludovine Dutheil de la
Rochère,
née Ludovine Mégret
d'Etigny de Sérilly, dite Ludovine de la Rochère devient donc présidente de la Manif pour tous et promet, lors de son discours des Invalides, que le mouvement ne s'arrêterait pas là ! Elle
annonce alors une 2° saison. Nous y sommes.
Une militante catholique en mode "catho-tradi".
Après ses études au lycée de la Légion d'Honneur, elle obtient son capès d'histoire-géographie et enseigne dans l'Essonne. Elle va rejoindre l'équipe de communication de la "conférence des éveques de France" puis la "Fondation Jérôme Lejeune". Le professeur Lejeune, après une carrière consacrée à la trisomie 21, est l'un des plus célèvres opposants au droit à l'avortement...
C'est elle qui avait désapprouvé par une lettre les propos de Jean-François Copé sur le mariage homosexeuel auquel il disait ne pas être opposé...
Elle s'est félicité du rejet du rapport Edite Estrela au Parlement Européen. Pour avoir une idée du rapport des forces à l'oeuvre sur le sujet, il est édifiant d'observer le classement des occurrences Google à propos de ce rapport. Les premières pages sont quasiment toutes consacrées aux sites catho-tradis !
Une opportunité pour structurer un mouvement anti-Lumières.
Ludovine de la Rochère, plus politique, expérimentée dans la communication "institutionnelle", va mettre sa solide conviction traditionaliste au service de ce mouvement. Elle va probablement incarner l'opposition à toute évolution hors du cadre de la morale catholique traditionnelle, générée par le décalogue.
Elle a l'intelligence politique de choisir le débat sur les réformes sociétales pour enfoncer le coing avec la majorité et le gouvernement sur un vrai débat de fond. Comment ne pas voir qu'il s'agit là d'un défi sur l'essentiel de nos valeurs : la supprématie de la Raison sur la croyance, de la réflexion sur la véritée révélée, de la loi sur la foi !
D'autant que ce mouvement réactionnaire ne manque pas d'égéries. Plus exactement, chacune a sa spécialité et son champ d'intervention. La France de l'Ancien Régime était divisée en 3 Ordres, le clergé, la noblesse et le tiers-état. La France réac qui a commencé sa restructuration, travaille selon 5 axes.
On y retrouve, outre Ludovine de la Rochère :
Frigide
Barjot,
qui tente de rester dans la course. Elle crée
un nouveau mouvement : "L'avenir pour tous"... Lors d'une tentative de manifestation, ce mouvement a du se contenter d'un modeste bilan d'arrondissement.
Et puis :
Christine Boutin
est députée UMP. Très active au sein de l'Opus
Déi, elle est l'un des 40 "consulteurs" du Conseil pontifical pour la famille créé par Jean-Paul II ; elle a
créé le parti chrétien démocrate. Apparue médiatiquement pendant le débat sur la PACS en 1998 où elle est intervenue plus de ... 5 heures durant à la tribune de l'assemblée nationale. Pendant le
discours de la Garde des Sceaux, elle a choisi de brandir la Bible qu'elle avait dans son sac-à-main. Si son antériorité n'est pas contestable, son inspiration l'est parfois beaucoup moins... Néanmoins, elle "fait le job" consciencieusement...
Béatrice Bourges,
fondatrice du Printemps Français, était l'une
des personnalités leaders de la Manif pour tous jusqu'à ce qu'elle considère ce mouvement comme trop modéré. Le Printemps Français, branche dissidente donc, est soutenu par les Jeunesses identitaires, les étudiants d'extrême droite du GUD et CIVITAS. A
l'issue de "Jour de Colère", le 26 janvier, elle entame une grève de la faim "jusqu'à (dit-elle) la destitution du président de la République" ! Grève de la faim qu'elle arrêtera le 3
février.
Béatrice Bourges est une proche de Christine Boutin et s'est présentée aux législatives de 1999 sous l'étiquette "Droite Libérale Chrétienne". Elle ne rechigne pas à favoriser une certaine violence comme lors de "La nuit blanche des Blancs-Manteaux", qui a vu le saccage de la vitrine d'un local LGBT. On l'a vu devant le siège du GODF le 24 mai avec Frédéric Pichon, avocat, ancien dirigeant du GUD. Dernière action en date, demander la censure des livres qui selon elle parle de la soi disant "théorie du genre" dans les bibliothèques !
Farida
Belghoul
est depuis 2013 une proche d'Alain Soral. Elle a été présidente de l'Union des Etudiants Communistes (UEC). En 1983, elle est leader du Collectif parisien de soutien
à la "Marche pour l'Egalité et contre le Racisme" ! En 1984, elle prend le leadership de la 2° Marche pour l'Egalité avec son mouvement "Convergence 1984". Le mouvement beur est divisé et le
débat fait rage avec SOS Racisme sur fond de désaccord stratégique. Faut-il mettre en place une mobilisation de la jeunesse contre le FN (SOS) ou faut-il, d'une manière autonome (du pouvoir
mitterrandien) poser le problème de l'Egalité (Convergence). On ne réussira pas à éviter une grille de lecture incorporant les problèmes du Proche-Orient. La stratégie proposée par SOS sera
adoptée dans des conditions qui vont laisser des traces.
Farida Belghoul, journaliste engagée et responsable de la radio associative "Radio Beur", va développer une réflexion sur les conditions de l'éducation et notamment sur la sitation d'échec scolaire des plus défavorisés. En 2007-2008, elle imagine et définit un projet, le REID, qui est alternatif au programme de lutte contre l'échec scolaire de l'Education Nationale. Ce projet ressemble comme un frère jumeau aux Ateliers Pédagogiques Personnalisés, tel que j'ai eu l'occasion d'en mettre un en place notamment pour le quatier intercommunal des Blagis (92) à la fin des années 81. Faute de financement, elle abandonnera son projet.
Reste qu'en rejoignant Alain Soral en 2013, (et comment une leader de l'antiracisme devient-elle compagnon de route d'un mouvement précisément raciste ?) elle devient celle qui décrit une soi disant "Théorie du Genre" qui serait enseignée dans les écoles, y compris maternelles. Elle sera à la base de la JRE (Journée de Retrait de l'Ecole). Cette dénonciation va déclencher les deux dernières mobilisations où l'extrême droite -dans toutes ses composantes- s'est illustrée, de façon violente, vociférante ou contenue.
Le problème, c'est que personne ne trouve trace de la description de cette soi disant "théorie", excepté sur les sites cathos-tradis et que l'Education Nationale dément formellement une telle existence !
En revanche, le discours de Farida Belghoul s'est considérablment radicalisé autour d'un complot qu'elle voit se tramer par l'Education Nationale qui organiserait l'incommunicabilité entre les enfants et leurs parents pour mieux leur inculquer une propention à devenir des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) en puissance en sapant l'identité masculine... allant jusqu'à l'éventualité de la mutilation des petits garcons !!!
Comme on peut le découvrir dans cette vidéo (à partir de 3'20), Farida Belghoul est devenue une adepte des approximations et des amalgames. Approximations dans les faits, dans les images qu'elle prend et approximations dans les explications qu'elle donne de certains mots.
Cette fable nauséabonde, bien souvent ridicule et comme Soral, antisémite, antimaçonne et homophobe, sert toujours de point de ralliement pour s'opposer au gouvernement.
La manif pour tous - saison 2, une offensive anti républicaine.
Certes, on ne peut nier la réussite du mouvement ; certes, on peut trouver "extravagant" le motif qui déclenche les mobilisations actuelles, mais une question se pose néanmoins.
D'où viennent les fonds qui ont servi à financer les formidables moyens techniques à Paris et en province (camions, podiums, sonorisations) et organisationnels (infrastructures d'organisation des transports, logistiques, impressions de tous ces drapeaux, ses fanions, ces pin's) dont les organisateurs disposent ?
Peut-il y avoir une telle mise à disposition de moyens sans espoir de quelques retours sur investissement ?
Les groupuscules d'extreme droite, laboratoires de l'anti républicanisme.
Ce sont les espaces où s'expriment les radicalités anti républicaines.
D'ordre religieux.
Civitas est probablement celui qui explique le plus clairement la pensée catho-tradi. Son secrétaire général, Alain Escada, explique simplement que la France est catholique, qu'elle doit le rester (ou le redevenir) et placer sa destinée dans la Foi, sous entendu en rompant avec l'idée "satanique" d'une France sans dieu ! Les projets de loi ou les lois qui s'écartent de la "morale chrétienne" sont sans fondement et doivent être combattues selon le principe exprimé également par Christine Boutin que la Foi prime la Loi !
Le site "le Salon beige" va au bout de la logique antimaçonnique et ne demande rien moins que "la dissolution de la franc-maçonnerie" ! La droite catholique identitaire trouve là la source de sa régénération.
D'ordre politique. Plusieurs groupuscules se sont manifestés depuis mars 2013.
Un exemple avec Dissidence Française qui explore les différentes expressions du mot d'ordre "la France contre la République". Dans cette vidéo, la cible est la carte électorale, symbole de la démocratie représentative, qui sera brûlée après une diatribe anti maçonnique...
Il en existe d'autres, outre le Printemps Français ou les résurgences de mouvements dissous comme "Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires" de Serge Ayoub ou des "Jeunesses Nationalistes" d'Alexandre Gabriac, ce jeune homme "exclu" du FN pour salut nazi !
Le risque de rupture du consensus sur les valeurs.
L'illisibilité de l'action du pouvoir, ses grandes difficultés à expliquer simplement son orientation, la multiplication de ses renoncements, favorisent la montée d'une opposition qui peine à se structurer. D'autant que la faiblesse de la droite républicaine et dans certains cas, sa complicité, marque l'ampleur de la crise des valeurs et libère les énergies qui voient là une opportunité pour dénoncer le modèle républicain.
Ce n'est pas une question de majorité ou d'opposition à telle ou telle politique, ce qui est en jeu, c'est le legs des Lumières. La crise dans laquelle nous sommes entrés est une crise de confiance dans les valeurs qui en sont issues. Elles généraient un consensus qui assurait la cohésion de la société. Ce consensus est de moins en moins lisible aujourd'hui, ce qui favorise la rupture des digues.
Il est plus que temps que les républicains se réveillent, prennent la mesure des évènements et réagissent...
Gérard Contremoulin
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