Regards-miroir sur l'actualité
Le clown triste, publié par lusile17
Les cris de poulailler dans l’hémicycle de l’assemblée nationale, Lampedusa, Brignoles, Léonarda, Christiane Taubira et Anne-Sophie Leclère, Baby-Loup.
Qu’y-t-il de commun entre ces sujets ?
1/ Déjà, ils se sont produits, c’est-à-dire que certaines conditions ont été réunies pour qu’ils se matérialisent. Pourquoi un fait dépasse-t-il le statut de fait divers pour arriver à la Une ? La hiérarchisation des faits d’actualité ne répond pas nécessairement à des critères logiques.
2/ Ceux-là constituent en eux-mêmes des atteintes plus ou moins violentes aux droits de l’Homme et du citoyen ! En République, la loi protège le faible en s’adressant à tous sur la base du concept d’Égalité issu de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et des Principes Généraux du Droit auxquels nulle loi future ne peut déroger, le Conseil Constitutionnel y veille.
3/ Ils montrent un état préoccupant de dégradation du respect mutuel. Que ce soient les caquètements lorsqu’une femme députée parle ou les caricatures, les images injurieuses ("je la verrai mieux sur un arbre") et les mots choisis ("la sauvage") à l’encontre de Christiane Taubira, montrent le niveau de cette dégradation. Certes la loi ou les règlements peuvent accorder réparation mais la valeur humaniste du respect mutuel a totalement disparue ! Derrière cette dégradation ne se dissimulent plus ni le racisme ni la xénophobie.
4/ Ils montrent aussi la difficulté de trouver la réponse ad équat dans l’arsenal juridique actuel où la réglementation (article 37 de la Constitution) peut conduire à des résultats fort différents des objectifs visés par le contenu de la loi (article 34 de la constitution). Tout ou partie d’une loi peut nécessiter des décrets pour être appliquée. Certaines ne le sont pas du fait de l’inexistence de ces textes réglementaires. Marie-Noelle Lienemann avait bien posé le problème en proposant de mettre en place une procédure annuelle d’observation de l’application des lois. Ce qui est désormais le cas au Sénat, l'Assemblée Nationale procède quant à elle à un exercice de "simplification législative" théoriquement "à droit constant". On a vu avec la Scientologie que ce n'était pas toujours le cas !
C’est sous l’angle de ces textes que l’on peut évaluer l’interpellation en pleine activité scolaire de la jeune Léonarda puis son expulsion du territoire. Le rapport de l’inspection générale met l’accent sur deux éléments intéressant pour nous : la régularité de l’interpellation au regard des textes et l’inadéquation des conditions de cette interpellation. Force doit rester à la loi. Mais la question concerne les modalités de son application. Lesquelles devait-on privilégier ? Celle qui vise le père, homme apparemment sans scrupule ou celle qui protège (mal apparemment) les enfants mineurs ?
5/ Ils ont fait l’objet de débats plus ou moins polémiques où se sont mêlées application du droit et dimension passionnelle. Pour qu’une loi soit parfaitement respectée, il est nécessaire, en plus du caractère démocratique de son adoption, qu’elle soit considérée comme totalement légitime d’un point de vue moral.
Entendons-nous bien, une loi promulguée est légitime du point de vue démocratique et juridictionnel. La loi sur le Mariage pour tous doit s’appliquer. On a vu néanmoins la forte opposition qu’elle a suscitée et continue de susciter. De même que la loi portant réforme des retraites dite loi Fillon avait fait l’objet de fortes et longues mobilisations. Disons clairement que l'une et l'autre sont légitimes.
C’est là que nous avons rendez-vous avec le débat toujours classique de la morale et de la politique.
S’il y a rencontre ou superposition entre les deux, aucun souci et la loi est bien comprise et acceptée. Son application ne pose aucun problème.
S’il y a conflit entre les deux, au moins pour une partie de la population, alors les créneaux d’incompréhension suscitent des difficultés.
Ce peut être aussi l’interprétation des conditions de l’application d’une loi qui pose problème. Il en est ainsi de l’interpellation de Léonarda.
6/ Le caractère passionnel est d’autant plus fort qu’un fait devient symbole. Que ce soit les boat-people arrivant à Lampedusa, pour ceux qui arrivent, ou Baby-Loup ou encore Léonarda, tout ou partie de la question s’érige en symbole d’une injustice, d’une atteinte aux droits, d’une atteinte à la dignité. Les réseaux sociaux accélèrent une telle mutation et joue comme un piège pour le ou les décideurs.
Mais cette transformation peut n’être due finalement qu’à une segmentation du problème posé, qu’à une focalisation sur un seul de ses différents aspects ?
- Lampedusa (les causes de leur volonté d'exil, le sort réservé aux passeurs qui exploitent la situation (de 1000 à 3000€ par personne), le rôle de l’Europe, la capacité d'accueil).
- Léonarda (elle seule, sa famille ou les turpitudes du père, Schengen et la liste des emplois autorisés, les conditions de l’intégration des populations Roms, l’entrée de la Roumanie dans l’Europe au 1° janvier 2014).
- Baby-Loup (le port du voile, laïcité et droit du travail dans le secteur privé et dans le secteur public, la non délégation de service public de la mairie de Mantes, le projet inédit de la crèche, le lieu d’implantation, la personnalité et le parcours professionnel et/ou militant de la directrice).
7/ Ils montrent l’extrême difficulté du législateur à trouver le point d’équilibre (et donc sa justification politique et sociale à agir) entre l’ajout d’un nouveau dispositif législatif dans le droit existant et l’état et les besoins de la société, c’est-à-dire l’adéquation entre ce pourquoi il est élu et l’analyse qu’il en fait.
Ce n’est pas un hasard s’il existe 3 sources au droit dans notre pays qui a une tradition de droit positif : la loi (nationale, internationale, traités), la jurisprudence et la doctrine.
Une loi nouvelle doit intervenir pour répondre à une question de société (abolition de la peine de mort, IVG, PACS,…) et non pas pour répondre à un besoin électoral (attention aux lois sécuritaires ou aux lois mémorielles).
Elle doit prendre sa place dans un ensemble législatif préexistant. Elle le bouleverse ou le complète. C’est la question de l’adéquation de la loi aux évolutions de la société et de l’attitude à adopter lorsqu’elle apparait inadéquate. Cette question est par exemple évoquée dans le statut général des fonctionnaires comme une exception au devoir d’obéissance, exception extrêmement encadrée bien entendu.
8/ Vient enfin la publication sur le blog La Lumière de la position de la Loge "Altérité" de Tours du GODF à propos de l'affaire Léonarda. J'avais reçu ce texte et j'ai décidé de ne pas le publier. Les positions publiques du GODF sont de la responsabilité du conseil de l'ordre. Les loges, sous certaines conditions, peuvent s'exprimer sur des sujets de leurs ressorts géographiques (leurs "orients"). Mais au delà de ces raisons réglementaires, on peut se demander si le rôle des francs-maçons est bien d'entrer ainsi dans l'arène politique et de porter une revendication aussi radicale que celle visant la démission d'un ministre de la République ! Quant à comparer ses méthodes à celles "des fascistes et de l'extrême droite", cela relève d'un point de vue politique pour ne pas dire politicien qu'il est par ailleurs bien difficile de partager !
La question qui me semble se poser aux FF\MM\, à travers cette actualité, concerne la capacité d’empathie et de clairvoyance, de bienveillance et de discernement et néanmoins de rigueur au regard des valeurs humanistes dont tout responsable doit faire preuve dans l’application de la loi de la République, a fortiori lorsqu’il en a la mission.
Ainsi la vie citoyenne du franc-maçon n'aura pas été un long fleuve tranquille cette semaine. L'authenticité de son engagement peut le conduire à prendre des risques et notamment celui de se tromper ! L'important est qu'il s'en aperçoive et qu'il (s') en explique les raisons. Car la hiérarchie des devoirs lui impose de s'engager à trouver une solution à un problème qu'il découvre. Sinon comment travailler à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité ?
Et j’aurais pu ajouter la condamnation définitive de la Scientologie pour « escroquerie en bande organisée » 15 ans après la 1° instance, comme d’une première réelle ouverture vers la voie de la dissolution en France de cette secte !
Gérard Contremoulin
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