Rite Français : veiller des cendres ou entretenir un brasier ?
La struture des juridictions des hauts grades de rite français comprennent quelques différences qui illustrent la vitalité du Rite et son adaptabilité aux situations obédientielles.
Si l'on peut observer au REAA comme au RER le souci d'une vigilance intransigeante sur le respect absolu de la lettre des rituels, il en est sensiblement différemment au Rite Français.
Déjà, ses différentes versions dans le temps, montrent qu'au delà de ces différences sensibles et notoires de contenus et de rédactions, on lui fait toujours référence aujourd'hui. On attache le nom du Frère qui lui a donné une coloration particulière ou qui a présidé à une réécriture ou à une stabilisation. Ainsi le Tuileur de 1801 (publiant la version pratiquée au GODF depuis 1786) faisait-il suite à la luxurience originelle, ainsi Groussier faisait-il suite à Amiable...
Ces versions ont oscillé entre les deux pôles habituels, symboliste et sociétal, s'adaptant aux dominantes des temps. On lui reproche souvent cette spécificité en allant jusqu'à lui contester sa qualité initiatique...
N'a-t-on pas dit sur le ton de la fraternelle moquerie que "le GODF était l'association profane qui ressemblait le plus à la franc-maçonnerie". Son auteur, avec qui j'ai depuis des liens d'estime et d'amitié, se reconnaîtra...
Le Rite Français dans les obédiences.
Le Grand Chapitre Général du Grand Orient de France a mis en place un Conservateur du Rite au sein de la juridiction. Le Grand-Maître du GODF est le garant des 5 rites pratiqués dans les différentes juridictions présentes dans l'obédience en sa qualité de président de l'obédience qui détient la propriété des patentes de tous les rites pratiqués. A ce titre, chaque juridiction de hauts grades est liée au conseil de l'ordre par une convention bipartite aux termes de laquelle une commission paritaire est mise en place et est chargée d'examiner les questions administratives entre les deux entités.
La plupart des obédiences pluri rites ont une juridiction de Rite Français dite Grand Chapitre Général, du GODF à la GLNF !
Il existe depuis avril 2011 un traité d'Amitié dit " Charte de Lisbonne" entre 16 juridictions de grade de sagesse de Rite Français de la franc-maçonnerie libérale dans le monde. Ce traité est un jalon dans la renaissance du Rite et marque l'attachement que lui porte une part de plus en plus importante des franc-maçons à l'échelon international.
La tentation de l'académisme.
Ce développement de l'implantation du Rite Français s'accompagne de sa déclinaison dans chaque obédience qui le pratique. C'est une source de débats et un gage de sa vitalité dès lors que ces déclinaisons ouvrent la perspective de l'émancipation individuelle et collective des soeurs et des frères.
Car, et c'est bien naturel, des questions se posent.
S'agit-il pour les francs-maçons de rite français, soeurs et frères, de suivre à la lettre un rituel (mais lequel ?) de l'utiliser comme un horizon indépassable ?
Ou d'en faire un outil pour comprendre le réel, un outil pour saisir la supériorité de l'esprit humain sur toute transcendance, un outil nécessairement malléable, modifiable ?
Cette alternative peut conduire à choisir l'une des formes historiques du rite, par exemple le RFR (Rite Français Rétabli) ou le RFP (Rite Français Philosophique), et à développer autour de lui une forme de "patriotisme d'organisation" rejetant toutes les autres comme des déviations ! Nos frères anglais ont connu pendant plus de 60 ans la "guerre des Ancients et des Moderns" qui s'est conclu par la victoire des Ancients (en fait les plus récents) sur les Moderns (les initiateurs de la franc-maçonnerie) ! La fin de cette période tumultueuse correspond à la naissance de la GLUA.
Ce type de choix peut aussi induire une unification de la forme du rituel et à sa conception comme un contenu symbolique déterminé, exempt de toute interpretation et enseigné comme tel.
Une telle démarche peut apparaître comme un véritable contre-sens. Comment imaginer que le rite de fondation de la franc-maçonnerie du siècle des Lumières puisse se concevoir comme une vérité révélée ? La forme française du rite des Moderns qu'est le Rite Français ne serait-il pas, une nouvelle fois, défait ?
Si le rituel est univoque, il devient un catéchisme où son contenu n'est pas susceptible d'interprétation, dès lors un texte sans prétexte, des gestes qui perdent leur fonction symbolique pour n'être plus que des habitudes, presque des tics.
Quel intérêt ?
La formidable force de ce rite tient au contraire dans sa capacité à susciter les interprétations, à promouvoir la liberté de penser et la liberté des pensées, à générer l'envie d'adapter sa forme pour mieux respecter son esprit !
Concevoir l'adaptabilité du rituel.
Au delà des structurations obédientielles, comment fait-on vivre le Rite Français ?
Cette phrase de Jaurès, lui qui appréciait assez peu la franc-maçonnerie, est néanmoins édifiante : "La tradition, ce n'est pas de veiller des cendres mais d'entretenir un brasier".
Cela suppose de ne pas confondre l'esprit du rite avec sa lettre, le rituel. Cela suppose de se garder de l'idée où il n'y aurait qu'une seule conception, une seule compréhension possible d'un rituel.
On touche là une différence majeure avec les autres rites pratiqués en franc-maçonnerie. Et c'est aussi la différence que l'on pourrait établir entre un garant du rite (le témoin de l'authenticité historique et administrative des patentes) et un conservateur du Rite (le dépositaire des différentes pratiques du rite).
Peut-on penser qu'il y ait au Rite Français un garant du contenu du rite à qui soit soumis toute évolution des rituels avec comme conséquence l'impossibilité de modifier aucune virgule sans son approbation ?
Cette pratique, si elle est celle d'autres rites comme le REAA ou le RER, n'est pas celle du Rite Français.
Gérard Contremoulin
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