Plutôt le symbolisme que la symbolâtrie !
Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres
Penser le symbole comme un outil...
Opposer les maçons qui seraient "symbolistes" à celles et ceux qui ne le seraient pas est un vieil exercice auquel on se livre encore beaucoup trop pour que ce soit très ... catholique. Plusieurs de vos récents commentaires reviennent sur la survalorisation du symbolisme dans le travail des Francs-Maçons.
Cette thèse qui place le symbolisme comme une fin s'impose aujourd'hui dans la littérature maçonnique. Elle s'écrit à grand renfort de copier-coller d'un volume à l'autre ou est le fruit d'amateurs de pseudonymes curieux, évocateurs, pour laquelle on crée même des maisons d'éditions pour mieux fidéliser un lectorat, de toute manière, captif !
Sur le fond, et à moins de considérer que le contenu du symbolisme soit renfermé dans un "catéchisme", il en existe au moins trois conceptions. Le tout symbole, le tout sans symbole (particulièrement après 1877) et celle qui se situe au milieu de cette alternative en souhaitant accorder au symbolisme la valeur d'un outil au service d'une Franc-Maçonnerie tournée vers l'amélioration de la Société.
Dans cette optique, il devient un outil au service d'une Franc-Maçonnerie de Progrès. Cette vision du symbolisme ne bénéficie, encore aujourd'hui, que de peu de littérature. Charles Porset qui en parle comme de cette "épaisse gangue accumulée à travers le temps" ("oser Penser"), Cécile Révauger, qui fut sa collaboratrice et Jean-Charles Nehr, qui indique dans "Symbolisme et Franc-Maçonnerie" :
"Pour important qu'il soit dans la vie de la Franc-Maçonnerie, le symbolisme ne doit pas nous faire oublier l'essentiel. Certes le symbolisme est un moyen privilégié pour aider les Francs-Maçons de progrès à réaliser l'oeuvre qu'ils poursuivent : " travailler à l'amélioration de l'homme et de la société". Certes le symbolisme joue un rôle fondamental, exceptionnel dans l'histoire de la Franc-Maçonnerie et dans le travail du Franc-Maçon, mais il n'est pas une finalité, il n'est pas un but, il n'est qu'un moyen, qu'un outil." (p.179)
Quelques éléments de critique du symbolisme conçu comme une fin en soi :
D'abord, ce symbolisme cultive à loisir la complexité sans jamais la justifier autrement que par une espèce de procrastination qui repousse toujours à plus tard l'explication et y voit même, chez certains auteurs, sa propre raison d'être. Mais à quoi peut donc bien servir un symbole qu'on ne comprend jamais vraiment ?
Ensuite, il est présenté comme destiné à faire accéder à des "vérités d'ordre supérieur" sur le postulat que "ce qui en en bas est comme ce qui est en haut", Bien curieux postulat au demeurant qui renvoie à une espèce de syllogisme où la tierce serait l'Homme : L'homme aspire à connaître ce qui est en haut, or ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, donc en connaissant ce qui est en bas, l'homme connaît ce qui est en haut ! Reste à justifier l'intérêt de connaître "ce qui est en haut" ! Et la littérature maçonnique regorge, en puisant dans les mythologies les plus diverses, d'arguments pour nourir la "réflexion".
Enfin, il isole le maçon dans une recherche individuelle, une sorte de centration destinée non pas à lui permettre de s'émanciper en s'appropriant le signifié pour mieux appréhender les différentes compréhensions que l'on peut avoir d'un même fait mais en sacralisant le signifiant, c'est-à-dire en le plaçant plus haut que ce qu'il est censé signifier.
Je suis de celles et de ceux qui "utilisent" le symbole comme un outil en adoptant cette première définition qu'il y a symbole qu'alors qu'existent 3 facteurs : le signifiant, le signifié et le groupe auquel ils s'adressent, sachant que tout autre groupe ne comprendra pas nécessairement le signifié. Ainsi, porter le dessin d'un poisson stylisé pourra constituer un signe de reconnaissance pour certains catholiques.
Mais les tenants du tout symbolisme en maçonnerie vont plus loin. Ils attribuent au signifiant un rôle en lui-même, une valeur intrinsèque dont l'étude peut révéler les "mystères" de la Franc-Maçonnerie ! Là encore une littérature maçonnique conseillée, appropriée va venir "aider" le Maçon dans sa récherche.
On peut entrer dès lors, dans un processus qui accentue l'isolement, qui sacralise une pensée, qui met en place des éléments troublants, proches de la démarche sectaire. C'est ce que Pierre Louis retrace dans son livre "Main basse sur une Loge Maçonnique" que j'avais évoqué ici à l'issue de ma rencontre avec lui au Salon du Livre Maçonnique.
Et par un curieux effet du hasard, on fait souvent au Rite Français le reproche de n'être pas un rite symbolique. C'est probablement réconfortant pour ceux qui le disent, mais ce n'est pas la réalité. Le Rite Français, dans sa version la plus communément pratiquée aujourd'hui, celle d'Arthur Groussier, offre un contenu symbolique centré sur la connaissance de soi, l'aventure de l'altérité, le gout de la sortie des sentiers battus, la maîtrise de la curiosité, celle de la consolidation des acquis et de leur transmission.
Puis dans ses grades de sagesse, au delà du 3° degré, il offre sur la base du mythe d'Hiram et de la construction du Temple de Salomon un parcours initiatique sur la hiérarchie des Devoirs de l'Homme dans la société et de la Connaissance de l'Art de se perfectionner.
Il s'agit en fait d'un outil qui privilégie le rôle que pourra jouer le Maçon, à partir de sa maîtrise, dans la Loge ET dans la société, à la place qui est la sienne. C'est là un choix cohérent avec la Maçonnerie du Siècle des Lumières. C'est notre REGULARITE, définie et structurée par notre histoire, au fil des évènements internes et externes.
Et cette histoire-là est aussi celle de la République, particulièrement la 3° mais pas que..., dans ses contradictions, dans ses oppositions, dans ses drames. Celle dont sommes les héritiers, celle à laquelle nous avons à nous mesurer, celle qui nous élèvent. Le symbolisme peut être soit cet outil forgé au fil des ans qui s'est modifié avec la société et ses évolutions ou cet ensemble fixé, figé à une époque et qui porte en lui-même sa propre signification, objet d'étude de sa propre identité.
La différence entre ces conceptions n'est pas de nul effet dans la manière de maçonner. Elles prédisposent à des Franc-Maçonneries qui, bien qu'en affirmant des objectifs universels, n'en affichent pas moins des différences substantielles. Ainsi de la "Régulière", de celle qui voudrait l'être et de celle qui n' en a cure.
Une Maçonnerie qui appelle au repli sur soi ou une Maçonnerie qui appelle à s'intéresser aux questions de la société et à extérioriser ses réflexions...
Gérard Contremoulin
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