Après le Convent - 3 : De la nature du pamphlet maffesolien.
Le 4 septembre 2023, sur Sous la Voûte étoilée

Michel Maffesoli, le sociologue qui estime que " Les Lumières, c'est fini ! " a rompu les digues qui contenaient sa rancoeur contre le Grand Orient de France. Il vient de publier un pamphlet "Le GODF, les lumières sont éteintes", qu'il promeut dans plusieurs vidéos pour le moins sympathisantes.

Que se passe-t-il ?

 

Michel Maffesoli, le sociologue de la « post-modernité » qui ne tarit pas d'éloges sur Thomas Heidegger et Bruno Etienne, revendique son appartenance au GODF depuis 1972 dans une loge lyonnaise qu'il décrit comme "composée par moitié de commissaires de police et d'anarchistes" et dont il donne le nom "Les Chevaliers du Temple et du Parfait Silence réunis".

 

Il vient d'être exclus du GODF. Il n'accepte pas qu'on lui ait infligé cette sanction, d'autant qu'elle est  définitive. 

 

Au point d'avoir tenté de la court-circuiter en adressant une lettre de ... démission. Mais, (est-ce étourderie ?), il l'a adressée au Grand-Maître. Or, avec ses décennies d'ancienneté, Michel Maffesoli ne pouvait pas ignorer que selon le principe de séparation des pouvoirs, le président de l'exécutif (le GM) n'a aucune compétence pour en tirer conséquence, le GODF étant une fédération de loges. Et seule sa loge pouvait prendre en compte sa démission. Alors, est-ce par dépit, il a jugé  opportun de vider ce qu'il avait sur le coeur en publiant son pamphlet le 17 aout, c'est-à-dire 5 jours avant l'ouverture du Convent de Lille ! 

 

Quelle drôle d'idée ! D'autant que quelques concomitances, survenues dans la même période, laissent peu d'ambiguïtés sur ses motivations. En tout état de cause, il faut bien avouer que cela n'a eu qu'une très modeste influence sur les débats, même pendant les pauses...

 

Du pamphlet...

 

Dans une vidéo de promotion du 2 aout avec Eric Verhaeghe, (ci-dessous)  il précise lui-même qu'en tant que tel, c'est " quelque chose d'un peu simplet". S'il le dit...

 

Il y dénonce ce qu'il estime être "l'abatardissement" du GODF par une longue décadence, ayant petit à petit abandonné la vielle tradition spirituelle d'hétérodoxie et s'étant laissé "contaminé par l'Esprit du temps", pour devenir un "club politiste", préoccupé de l'orthodoxie, c'est-à-dire pour lui, la soumission.

 

Dans cette vidéo, il développe l'idée selon laquelle l'ancienne maçonnerie (dans son esprit, la véritable) "ne se préoccupe pas de politique ni de débats secondaires ou adjacents, pour s'intéresser à une conception plus spiritualiste. Je critique cela mais je valorise les obédiences qui sont restées dans la vieille tradition maçonnique, celle du symbolisme, beaucoup plus spirituelle".

 

L'argument éculé de Michel Maffésoli.

 

Les maçons préoccupés de l'histoire de l'Ordre reconnaissent la vielle critique de Laurence Dermott, actualisée en 1813 par la GLUA et perpétuée en 1913 par la création de la GLNF. Les chercheurs de "pureté maçonnique" se réfugient dans la quête d'une mystique "ancienneté ", garante selon eux de la virginité initiatique.

 

En vérité, outre le fait de parler de "la veille tradition", adresser au GODF le reproche de trop s'intéresser aux affaires de la Cité au point de "s'abâtardire", c'est confesser que l'on s'est soi-même fourvoyé pendant cinquante ans. Car le GODF s'est toujours impliqué dans les questions de société, particulièrement depuis 1877, qui abandonne l'obligation de "croire en Dieu et en l'immortalité de l'Ame", où nombre d'athées, de socialistes, d'anciens communards, ont pu être admis dans l'obédience. Cette histoire est celle des relations entre le GODF, la III° République et ses grandes lois progressistes et la naissance de quelques obédiences. Elle atteste de l'identité sociétale et sociale de l'obédience de la rue Cadet. 

Il faut bien reconnaître que cette critique portée par Michel Maffesoli ouvre une première contradiction avec l'orientation du GODF.

 

A l'appui de sa thèse, il s'en prend, toujours dans une vidéo de promotion, aux activités professionnelles d'anciens Grands-Maîtres, jadis philosophes, penseurs et aujourd'hui dit-il avec son humour narquois : "quand on a un vétérinaire, c'est que l'on a des moutons (ses soutiens apprécieront surement) et peut-être bientôt, si l'on en croit ce que l'on entend, un syndicaliste."

 

Sur ce dernier, il a vu juste.

 

Mais, la critique de Michel Maffesoli n'est ni nouvelle, ni isolée, bien au contraire.

 

Sur les origines de l'identité du Grand Orient de France.

 

Depuis ses origines, à partir de 1723, la Franc-Maçonnerie qui s'établit dans le Royaume de France est directement en lien avec les pratiques de la première obédience maçonnique, la "Grande Loge de Londres et de Westminster", fondée autour de 1717. Ce lien de continuité s'exercera pleinement avec l'élection de Philippe, Duc de Wharton en juillet 1728 avec les titres et prérogatives de Grand-Maître des Loges du Royaume de France. L'élection de ce premier Grand-Maître établit en fait la "Première Grande Loge de France". Elle en établit l'indépendance administrative par rapport à l'obédience anglaise.

 

Les différentes divulgations qui vont paraître entre 1723 ("Le dialogue entre Simon et Pierre" qui retranscrit le rituel de l'obédience de Londres) et 1757 ("Le maçon démasqué ou le vrai secret des Maçons", publié à Berlin) vont montrer les caractères à la fois initiatiques et de préoccupations humanistes, voire sociétales de cette maçonnerie naissante.

 

 

La critique des "Antients" de Laurence Dermott.

 

Ce caractère est fortement critiqué à partir de 1751 par l'irlandais Laurence Dermott à l'encontre de la Grande Loge de Londres et de Westminster.

 

initié à Dublin et qui va élaborer un texte contre les Constitutions d'Anderson, intitulé "Ahiman Rezon". Il va devenir la base initiatique de l'obédience qu'il fonde en 1753 et qui prend le titre de "Grande Loge des Anciens Maçons". Les fondateurs sont des émigrés irlandais ayant eu quelques difficultés à se faire recevoir dans les loges anglaises. Ils dénoncent les errements de la Grande Loge de 1717 comme ne respectant pas les Old Charges. Le premier Grand-Maître est Robert TURNER.

 

De facto, cette appellation d'Anciens projette celle de « Moderns » sur la Grande Loge de 1717, de sorte que les « Anciens » sont postérieurs aux « Moderns ». Va s’ouvrir la querelle des « Ancients et des Moderns » qui ne s’achèvera qu’en 1813 par la création de la Grande Loge Unie d'Angleterre (GLUA-UGLE) par la fusion des deux obédiences, l'élaboration d'un Rituel de l'Union sur les bases de celui des Anciens.

 

Ainsi disparaitra d'Angleterre le Rite des Modernes jusqu'à l'implantation à Londres (en fait à Surbiton, accueillie par le DH) le 23 octobre 1899 de la loge du GODF : la RL "Hiram", travaillant au Rite Français, renouant ainsi, après près de deux siècles, avec la tradition des Modernes en terre anglaise.

 

Cette critique de la perte du caractère spiritualiste et la pratique perdue du symbolisme nous est bien connue. Elle accompagne souvent les propos dont les maçons qui s'auto-proclament "Réguliers" nous gratifient, avec la plus grande fraternité bien sûr. 

 


Ce bref rappel pour montrer le lien de continuité dans les pratiques qui existent alors entre la première obédience anglaise et la maçonnerie française initiale. 

 

 

Michel Maffesoli trouvait-il encore sa place au GODF ?

 

La question pourrait effectivement être examinée si l'on constatait que le cheminement de Michel Maffesoli se serait éloigné ou continuait de s'éloigner du corpus de valeurs du GODF.

Qu'en est-il ?

 

 

 

I - D'abord, à partir de quelques-uns de ses ouvrages.

 

On sait depuis "Le Temps des tribus" (1988), qu'il estime que la Philosophie des Lumières, ce qu'il appelle l'Universalisme : "c'est fini !". Ignorerait-il que c'est le coeur de l'ADN du GODF ?

 

Il réitère dans sa première vidéo de promo du 24 février 2023 sur le site d'Eric Verhaeghe, "Le Courier des Stratèges" et prolonge sa critique d'un : "Le grand Orient est le porte-voix de la décadence Woke".

 

Il persiste et signe ses propos et promeut son pamphlet dans une seconde, mise en ligne le 12 aout, c'est-à-dire quatorze jours avant l'ouverture du convent de Lille, en y ajoutant cette pique : "voilà comment le Grand Orient est devenu un petit occident". 

 

En évoquant avec gourmandise la situation de la société des années 1750, Eric Verhaeghe ne se trompe pas de beaucoup sur les objectifs de Michel Maffesoli qui, finalement laisse tomber le masque en se joignant d'une part au courant des "Anciens", de Laurence Dermott et en apportant sa notoriété, si ce n'est sa voix, à des idées défendues par des mouvements de la droite extrême. 

 

Un ouvrage de 2022, intitulé « L’ère du soulèvement » traite de la crise sanitaire issue de la COVID.


Il y écrit notamment :

 

« Nouvelle inquisition, celle d’une élite déphasée regardant "de travers" tout à la fois le peuple malséant et tous ceux n’adhérant pas au catéchisme de la bien-pensance. "Regarder de travers", c’est considérer ceux et ce que l’on regarde, en coin, comme étant particulièrement dangereux. Et, en effet, le peuple est dangereux. Ils ne sont pas moins dangereux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sanitaire mise en scène par les théâtrocrates au pouvoir » (p. 24).

 

 

« Cette déformation de la réalité a, peu à peu, contaminé l’espace public. C’est cela le cœur battant du complotisme de "l’infosphère" : entretenir « mondainement » la peur de l’enfer contemporain. Anxiété, restriction des libertés acceptées, couardise, angoisse diffuse et tout à l’avenant au nom du « tout sanitaire »…(p. 26)

 

« Sans nier la réalité et l’importance du virus stricto sensu, sans négliger le fait qu’il ait pu provoquer un nombre non négligeable de décès, ce qui n’est pas ma compétence, il faut noter que le « virus » s’est introduit de manière essentielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduire à parler d’une psycho-pandémie suscitée et entretenue par l’oligarchie médico-politique » (ibidem).

 

« au-delà et en deçà de la stratégie de la peur qu’utilisent les pouvoirs publics, la multiplication des rassemblements festifs et autres formes « d’afoulement » rendent attentif au fait que c’est « l’être avec » qui est l’essence même de notre humaine nature. « et c’est bien pour dénier un tel " avec" que l’on rend obligatoire le port de "muselière" ayant pour fonction d’isoler et par même de conforter une logique de soumission nécessaire à la logique de la domination caractérisant un pouvoir public totalement déconnecté de la puissance populaire » (p. 33).

 

« À ce moment-là, le délire sanitaire ne marche plus. Certes, il vaut mieux que tel ou tel ministre cache ses lippes derrières un masque, sinon on verrait la flétrissure d’une pauvre âme en déchéance : celles d’un ou d’une psychopathe ». (p. 35).

 

 

 

Il promeut cet ouvrage dans une interview au "Forum des Humanités", accueillie par la chaine You Tube de l'ESCE, International Business School, tout aussi complaisante.

 

Peu de réserves dans ces propos dont certains sont des invitations à peine voilées à s'opposer aux mesures sanitaires prescrites par la loi et appliquées par l’Obédience…

 

Nombre de circulaires du Grand Orient de France ont réaffirmé son attachement aux lois de la République en décidant de faire respecter les décisions de prévention sanitaire des pouvoirs publics.

 

Peut-on dès lors s'étonner qu'il soit constaté une certaine proximité dans les propos de Michel Maffesoli avec le discours d’inspiration complotiste véhiculés par des groupes extrémistes qui ont nié, par principe et/ou par idéologie, la pandémie de la COVID et incité au soulèvement contre toutes les mesures édictées par les pouvoirs publics (cf. la "muselière" pour parler du masque).

 

 

 

II - Ensuite dans ses participations à des évènements organisés par ces mouvements.

 

On observe aussi que Michel Maffesoli participe régulièrement à des colloques, à des débats télévisés organisés par des groupes ou des mouvements soutenant ou promouvant les idées de l’extrême droite. Son nom apparait ainsi aux côtés de grands noms de cette mouvance politique, ouvertement anti-républicaine.

 

Quelques exemples :

 

Lors de l’anniversaire des dix ans de la "Ligue du Midi". Michel Maffesoli est dans la liste des "contributeurs habituels".

 

Lors du "Camp Maxime Real Del Sarte", université d'été de L'Action Française, du nom du monarchiste, anti-dreyfusard, fondateur et chef des Camelots du Roi.

 

Pour la promotion de ce livre sur le site de L'Action Française et la référence du colloque de Nice du 9 décembre 2021.

 

Sa contribution régulière à la revue belge : « Antaios », dirigée par , membre de la Nouvelle Droite. Cette organisation politique compte parmi ses fondateurs Alain de BENOIST. La Nouvelle Droite regroupe plusieurs mouvements ou courants tel que le Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne (), la mouvance identitaire dont l'une de ses composantes, "Génération identitaire" a été dissoute en 2021 par le gouvernement.

 

 

 

Il participe régulièrement aux communications du mouvement monarchiste maurrassien, L'Action Française sur sa chaine « ». Il traite ici, en compagnie de son épouse, Hélène Strohl, du thème de «l’ère des tribus ».

Entre autres choses, vers 23'30", référence à Maurras

 

 

Il promeut également son pamphlet sur Radio Courtoisie, radio diffusée sur le site d'hébergement Odyssée, qui utilise un titre accrocheur "La vérité sur la Franc-Maçonnerie", qui sent bon les marronniers saisonniers et dont voici l'enregistrement :

 

 

 

Michel Maffesoli apparaît particulièrement sur le site de Campus HEMERA, sous-titré : "Le média d'idées et de Formation du Rassemblement National".

 

 

 

Le GODF n'est toujours pas compatible avec l'extrême droite !

 

Le GODF, porteur des valeurs de l'universalisme, du progrès social et des principes de la République est constant dans son opposition aux orientations d'extrême droite. Nous l'avons rappelé ici-même à de nombreuses reprises, considérant que le "Front National n'est pas FM-compatible" (ici, ici, ici, ici), de même que les organisations intellectuelles ou politiques qui expriment et soutiennent les mêmes orientations.

 

Comme toute institution structurée, le Grand Orient de France s'est doté de textes adoptés démocratiquement par les différents convents (assemblées générales des loges). Ils contiennent les dispositions nécessaires pour veiller au respect de ces principes par des mesures de suspension, voire d'exclusion. Elles concernent " tout Franc-Maçon en raison des faits retenus à son encontre", et notamment : "l’appartenance, la collaboration de fait ou de droit à une association ou à un groupe appelant à la discrimination, à la haine, à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en prétextant de leur origine, leur appartenance à une ethnie ou à une religion déterminée et qui propagerait des idées et des théories tendant à justifier ou à encourager cette discrimination, cette haine, cette violence." (Règlement Général, article 93-7).

 

C'est au regard de ces dispositions que certains membres ont été suspendus, radiés ou exclus des effectifs des loges de l'obédience.

 

 

Alors quid de la situation de Michel Maffesoli ?

 

Par son discours et ses écrits, il montre à tout le moins,  sa proximité avec les auteurs des thèses extrémistes en violation des principes et valeurs qui fondent le Grand Orient de France.

 

Dernier exemple : « Il s’agit de trouver de nouvelles manières de faire vivre ensemble les différentes composantes de la société : non plus une république une et indivisible, mais une res publica en mosaïque», ou encore : « Les masses éparpillées ne se sentent plus représentées par la démocratie représentative. Le modèle politique de la démocratie représentative n’est plus pertinent ». 

 

La pertinence de cette dernière question (la démocratie représentative), dont la teneur fait l'objet de discussion dans certaines loges, se dilue dans l'outrance et les exagérations au point de n'apparaître que dans sa dimension polémique et se réduire à la mise en cause  de l’universalisme républicain, fondement du Grand Orient de France.
 

Cette proximité et le soutien intellectuel et moral fort qu'il apporte de facto à ces courants d’idées extrémistes que le Grand Orient de France n’a de cesse de combattre, ne rendait-il pas inéluctable la rupture de ses liens avec l'obédience de la Rue Cadet...

 

C'est ce qui fut jugé et non appelé.

 

 

 

Gérard Contremoulin

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