Lettre à mes amis obèses.
Ce texte est un aveu, une confession, un appel aussi. C'est une envie de dire que cette maladie, l'obésité, doit être reconnue comme telle. Et d'abord par celles et ceux qui en sont atteints ! Ensuite, mais il faudra que ces derniers acceptent de se mobiliser, reconnue aussi par les pouvoirs publics !
J'ai perdu des tonnes dans ma vie, tant les effets yoyo ont marqué mes allers-retours pondéraux, seules conséquences des "régimes" que j'avais tentés. Perdre et reprendre, vivre le régime comme une punition, entretenir l'idée qu'en se rationnant on va perdre du poids... Quelle hypocrisie ! Nos conditions de vie rendent tellement rare la "stabilisation" d'une perte de poids que c'est quasiment impossible. Pourquoi faire semblant et confier aux diététiciens le soin de traiter l'obésité ?
Je fais partie d'une génération qui n'a jamais entendu parler de diététique et encore moins bénéficié d'un enseignement spécifique. Il fallait finir son assiette, il fallait manger dans ces années d'après guerre où subsistaient encore les derniers tickets de rationnement ! Je suis né en 1948...
Alors durant mes 65 premières années, j'ai mangé. Manger est devenu un réconfort, un substitut. On ressent un indéniable bien être physique et même moral à l'occasion d'un bon repas, surtout s'il est convenablement accompagné de vins choisis et conclu par un excellent cigare et un bon alcool. Cela, je l'ai vécu pendant tant d'années... Alors, inexorablement, les kilos sont venus accompagner ce que je ne vivais absolument pas comme des excès. Et puis, les arrêts du tabac, trois avant le définitif, les ont multipliés.
Mais, la forte augmentation du nombre de cas d'obésité, et notamment chez les jeunes, tant aux USA qu'en Europe, montre qu'elle frappe toutes les générations !
Reconnaître que l'on est obèse.
L'apnée du sommeil a fini par mettre en jeu mon pronostic vital tant les micros arrêts respiratoires étaient nombreux et venaient perturber la qualité de mon sommeil. C'est une situation dont on ne prend conscience qu'avec le temps... Lorsque la fatigue se fait sentir tout au long de la journée, que l'on a tendance à "piquer du nez" après le déjeuner, lorsque les jambes enflent, lorsque les chaussettes "marquent" la peau...
Ma respiration était devenue une préoccupation de tous les instants. Monter les escaliers du métro, ceux de mon appartement, accomplir les pas nécessaires aux déplacements usuels demandaient de plus en plus d'efforts et surtout, devenaient de plus en plus difficiles. Les articulations chevilles, genoux devenaient douloureuses et disons-le, carrément insupportables sans parler des douleurs lombaires...
J'ai mis 5 ans à accepter mon état, 5 ans entre le moment où j'ai décliné l'offre d'un ami chirurgien qui se proposait de me poser un anneau gastrique et ma décision, 5 ans pour accepter de reconnaître que j'étais devenu obèse !
Avec un Indice de Masse Corporelle de 42, il était pourtant évident que je l'étais. L'ajout du qualificatif "morbide" était même nécessaire ! Mais il est des vérités insupportables...
Et puis, il n'est pas si facile de s'imaginer dans une autre enveloppe corporelle. Elle est votre identité. Et lorsque l'on a une activité qui présente un certain caractère public, elle devient votre carte de visite...
L'obésité est une maladie sociale discriminante.
Alors, amis en "surcharge pondérale", mes amis que l'on appellent volontiers "fort" si vous êtes un homme mais "grosse" si vous êtes une femme, cette situation est une maladie sociale. "La maladie des riches dans les pays pauvres et celle des pauvres dans les pays riches", comme dit celui qui allait devenir mon chirurgien.
Elle est discriminante, elle est autopénalisante, elle est injuste. Oui, injuste car vous ne l'avez pas choisie. Pour preuve cette curiosité qui fait qu'un obèse prend du poids ne serait-ce qu'en regardant une vitrine de patissier ! Oui, "tout nous profite" !
Et puis, ces repas que nous n'arrivons pas à réglementer, qui n'en finissent pas, ces "encore un petit bout de pain pour finir le fromage" suivi du "encore un petit bout de fromage pour finir le pain" ... Quel obèse n'a pas entendu cette adresse : "tu creuses ta tombe avec ta fourchette" ?
Réagir.
Le film se serait déroulé inexorablement vers une fin mal envisagée si je n'avais décidé de prendre le taureau par les cornes et me rapprocher de mon ami-complice, toubib de son état, et qui me surveillait du coin de son oeil fraternel. Si je n'avais pas eu également autour de moi mes très proches pour me donner des exemples de personnes obèses qui avaient décidé de franchir le pas et d'aller vers la chirurgie bariatrique, la chirurgie de l'obésité.
Et me voilà dans le cabinet du Dr Jean Cady, spécialiste en France du "Bypass en Oméga", qui opère en coelioscopie, pour la première des deux consultations obligatoires. Le chirurgien explique le geste chirurgical qu'il va choisir d'accomplir parmi quatre options. Dans mon cas, ce sera ce Bypass en Oméga, intervention qui associe restriction alimentaire et malabsorption intestinale. La seconde consultation est celle qui décide de l'intervention.
En fait ces deux consultations, séparées en moyenne de 6 semaines, entourent un parcours obligé de consultations de spécialistes chargés de donner un avis de non contre-indication de l'intervention chirurgicale. Psychiatre, cardiologue, écho-dopler, bilan biologique, dentiste, pneumologue, nutritioniste. Ce dernier me gratifia d'une seconde visite avec nouveau bilan biologique et finit par me faire comprendre qu'il n'était pas favorable à l'intervention, ce sera le seul ! Il n'est évidemment pas si facile de reconnaître que sa spécialité n'est pas la plus performante, voire d'une certaine manière inefficace....
La date de l'intervention fut finalement fixée au 4 décembre. Derniers examens (fibroscopie, anesthésiste) et je me retrouve à la clinique la veille du jour J. J'en sortirai trois jours plus tard.
Au passage, un grand merci à l'équipe soignante pour sa disponibilité et son professionalisme.
Une pensée spéciale pour Mathilde...
Cinq mois plus tard, j'avais perdu 31 kilos.
J'en suis aujourd'hui à -36 kilos. L'objectif est presque atteint (-40). J'ai modifié mes habitudes alimentaires. J'oublie l'ascenseur et je n'hésite plus à faire à pied les distances usuelles. Je me suis mis à la gym quotidiennement, particulièrement les abdos, car manifestement il existe encore des marges de progression !!!
Bref, ma vie a changé. Je me sens beaucoup mieux et ne regrette qu'une chose, ne pas l'avoir fait avant....
Alors, mes amis obèses, si vous le souhaitez, je veux bien en parler sincèrement et très amicalement avec vous en messagerie privée ou par téléphone.
Une chose est certaine, rien n'est possible si ce n'est pas clair dans votre esprit...
Gérard Contremoulin
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