L'ABC de la Laïcité, par Eddy Khaldi et Alf
Au moment où tout se passe comme si tout le monde trouvait "normal" que le pape, chef de la Chrétienté, soit reçu par les parlements (novembre 2014 Strasbourg, septembre 2015 Sénat des USA) et illustrant ainsi cette immixion des religions dans les affaires publiques, Eddy Khaldi et Alf (Alain Faillat) nous proposent leur ABC de la Laïcité.
L'accompagnement médiatique dont il a bénéficié est rien moins que scandaleux ! Les médias se sont fait la courte échelle pour finalement rivaliser de conformisme... Et le "monde bien pensant" serait-il nostalgique du temps où le roi guérissait les écrouelles ? Qu'on en juge ici par cette information sur "l'étreinte miraculeuse" qui laisse augurer d'un sévère retour à l'obscurantisme ! Affligeant...
Un bon manuel !
Dans un tel contexte, l'ABC de la Laïcité, d'Eddy Khaldi et Alf est un ouvrage particulièrement bien venu et bien vu. Il fait un point de situation tout à fait indispensable depuis" la Charte de la Laïcité à l'école" de Vincent Peillon. Il vient après plusieurs ouvrages (voir en fin d'article) conçus comme des outils d'informations pour celles et ceux qui souhaitent comprendre tous les enjeux de cette bataille laïque et en connaître les détails, les protagonistes et le rôle qu'ils ont joué. Cette dernière livraison d'Eddy Khaldi s'inscrit dans la catégorie des manuels pédagogiques que tout militant, que tout acteur de la citoyenneté devrait avoir dans sa bibliothèque.
Le fait religieux reprend de la vigueur.
Vivre dans un pays qui se veut laïque aujourd'hui n'est pas un long fleuve tranquille. Le fait religieux retrouve une vigueur qu'on aurait pu croire en berne. Bien à tort car depuis la loi de 1905, les catholiques, surtout, n'ont jamais réellement accepté d'être dépossédés de l'éducation et du contrôle des consciences que lui assurait la situation sous l'Ancien Régime qui a perduré jusqu'à La Commune de Paris. Les trente ans qui suivirent permirent que se construise le rapport de force qui s'est concrétisé dans la loi du 9 décembre 1905 par l'érection du principe de Liberté de Conscience au rang des principes de la République.
Depuis, les religieux n'ont jamais cessé de tenter de revenir en arrière. Eddy Khaldi a consacré plusieurs ouvrage pour montrer, textes à l'appui, quelle stratégie le clergé catholique avait adopté, de quels relais il avait bénéficié et comment cla s'est traduit en un siècle. Le fait religieux n'est plus aujourd'hui le seul fait des catholiques. Les fondamentalistes islamistes, en voulant imposer leurs dogmes (alimentaires, vestimentaires, inégalité sexuelle érigée en loi),
Saper encore et toujours les bases de l'humanisme laïque.
Alors que les médias privilégient l'actualité immédiate d'une Nadine Morano qui justifie à bien des égards l'opinion qu'exprimait à son sujet Guy Bedos, opinion de surcroit légitimée par le juge, ne nous méprenons cependant pas sur le travail de sape qui est à l'oeuvre dans la société...
C'est un travail idéologique qui passe par la contestation des bases de l'édifice républicain, de son objectif d'émancipation de tout dogme et de toutes tutelles, de la relativisation des valeurs des Lumières.
Dire que "la France est un pays de race blanche", même en prenant la précaution, bien oratoire, de préciser : "majoritairement", est et reste une belle anerie ! Mais elle fait mouche sur un électorat disponible pour les déclarations racistes.
C'est certes montrer aussi une ignorance assez crasse de l'histoire de notre pays, mais ne faut-il pas prendre conscience que la connaissance de l'histoire de la République est un chantier assez communément déserté !
C'est surtout montrer un chauvinisme militant, mais il est attendu des nostalgiques d'un nationalisme nécessairement xénophobe.
Dans ce contexte, ce manuel de laïcité remet les choses en perspective.
Quinze commentateurs pour quinze articles.
La Charte de la Laïcité à l'école contient quinze articles. L'originalité de cet ouvrage est d'avoir obtenu que quinze personnalités du monde de l'éducation, de la recherche, militants de la Laïcité, rédigent un commentaire. Leurs noms figurent à la UNE.
Quinze commentateurs pour quinze articles.
La Charte de la Laïcité à l'école contient quinze articles. L'originalité de cet ouvrage est d'avoir obtenu que quinze personnalités du monde de l'éducation, de la recherche, militants de la Laïcité, rédigent un commentaire. Leurs noms figurent à la UNE.
Regardons le commentaire de l'article 12 :
La Laïcité implique une neutralité de l'Etat et de l'ensemble des services publics afin d'assurer un total respect des convictions des usagers et des administrès. Il en résulte que le service public d'éducation ne peut délivrer un enseignement sous le prisme des convictions, d'une quelconque religion ou en conformité avec sa vision du monde. Il doit être, en lui-même, détaché de toute emprise du religieux. Mais sa neutralité lui impose de présenter objectivement les religions, leur histoire et leurs préceptes, dans le respect des convictions des uns et des autres, en s'efforçant de ne pas froisser les sensibilités.
Ce respect des convictions, objet de la neutralité des services publics, ne peut cependant conduire à leur remise en cause ni en perturber le fonctionnement. Les usagers sont tenus de respecter les règles du service et les programmes d'enseignement. Ceux-ci, précisément neutres et objectifs dans leurs contenus, ne peuvent être remis en cause au nom de convictions personnelles des usagers.
Admettre une telle remise en cause reviendrait précisément, par le dit ou le non-dit, à adapter l'enseignement à la vision du monde par telle ou telle religion.
Rémy Schwartz
Président de l'Office français de l'immigration et de l'intégration,
conseiller d'Etat, rapporteur de la commission Stasi.
Oser l'altérité.
La peur de l'autre, la peur de la différence qu'il incarne, la peur de l'altérité est le cancer des sociétés désemparées. C'est le terreau sur lequel peut prospérer le pire des systèmes politiques, si les humanistes venaient à déserter leurs devoirs.
Au contraire, l'alternative à l'immobilisme, à la régression sociale, est dans l'ouverture, dans le fait d'oser l'altérité, de ne pas la craindre et donc de l'organiser !
Alors, regardons le commentaire de l'article 4 :
La laïcité constitue la clé de voùte de la citoyenneté républicaine. De "sujet" de sa Majesté, déterminés par leur naissance, soumis à un ordre social éternel du monde imposé au nom de dieu, les femmes et les hommes, par la Révolution, sont devenus les acteurs de leur histoire et de leur vie, des citoyens. Quelles que soint leur naissance, leurs origines, leur couleur, leurs appartenances religieuses, philosophiques, politiques, ils sont désormaios libres et égaux en droits.
Citoyen, disait Condorcet, on ne le devient pas par naissance, mais par l'instruction. C'est, aujourd'hui plus que jamais, la mission de l'école publique, laïque, obligatoire, de former, non des petits blancs, noirs, jaunes, verts, chrétiens, musulmans, juifs, homo ou hétéro, de gaucheou de droite, mais des femmes et des hommes libres et responsables, capables de penser par eux-mêmes. Ainsi, la citoyenneté, ressourcée aux principes universalistes d'une République sociale et laïque, pourra-t-elle concrètement, concrétiser le troisième terme de la devise républicaine : la fraternité.
Patrick Kessel
ancien journaliste, président du comité Laïcité République
membre de l'onservatoire de la laïcité.
En novembre 2014, Eddy Khaldi interpellait ainsi le courant laïque...
STRASBOURG : « la saine laïcité » de l’Eglise
Aucune voix des organisations laïques traditionnelles ne s’est élevée contre cette visite divine à Strasbourg. Où est l’Observatoire français de la laïcité ? Pourquoi reste-t-il atone ? Refuse-il de voir l’immixtion du religieux dans le champ politique ?
Seul l'Observatoire Chrétien de la Laïcité, groupant des associations en majorité catholiques, en France, a désapprouvé fermement la décision d'inviter le pape à s'exprimer officiellement devant le Parlement européen : « l'Observatoire Chrétien de la Laïcité demande la séparation claire et nette des Institutions religieuses et de l'Etat au sein des institutions européennes. C'est une des conditions essentielles pour permettre aux européens de toutes convictions religieuses ou non de vivre ensemble. »
Dans les mêmes circonstances en 1988, Jean Paul II prêchait pour une nouvelle évangélisation : « Le combat que mène Jean-Paul II n'est pas politique, mais éthique et culturel. » disait LE MONDE. Cette visite avait soulevé bien des réactions de plusieurs organisations laïques.
En 2014, les intentions politiques et philosophiques, ainsi que les intentions stratégiques sont encore plus évidentes. Excepté quelques voix isolées, plus personne dans nos organisations laïques ne réagit à cette entorse de plus en plus cléricale. L’Eglise a-t-elle toutes les compétences, qualités et expérience pour donner des leçons de démocratie ?
La « nouvelle laïcité » de l’Eglise reprend racine en Europe.
Une séparation asymétrique prend corps. Le pape intervient dans le champ politique mais le politique, lui, ne peut intervenir sur le terrain de l’Eglise. Ainsi, dans sa dernière exhortation « Ecclesia in Medio Oriente » le pape Benoît XVI précisait ce qu’il entend par laïcité, ce respect de la distinction de la sphère religieuse et de la sphère politique appelées à se connaître, à collaborer entre elles sans se mélanger : « La saine laïcité, … signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance… »
Eddy KHALDI
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Et précisait l'origine du concept de "saine laïcité".
Dans sa dernière exhortation Ecclesia in Medio Oriente le pape Benoît XVI précise ce qu’il entend par laïcité, ce respect de la distinction de la sphère religieuse et de la sphère politique appelées à se connaître, à collaborer entre elles sans se mélanger : « La saine laïcité, … signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant la nécessaire distance, la claire distinction et l’indispensable collaboration entre les deux.
Aucune société ne peut se développer sainement sans affirmer le respect réciproque entre politique et religion en évitant la tentation constante du mélange ou de l’opposition…. La prise de conscience de ce rapport approprié permet de comprendre qu’il existe une sorte d’unité-distinction qui doit caractériser le rapport entre le spirituel (religieux) et le temporel (politique), puisque tous deux sont appelés, même dans la nécessaire distinction, à coopérer harmonieusement pour le bien commun.
Une telle laïcité saine garantit à la politique d’opérer sans instrumentaliser la religion, et à la religion de vivre librement sans s’alourdir du politique dicté par l’intérêt, et quelquefois peu conforme, voire même contraire, à la croyance. C’est pourquoi la saine laïcité (unité-distinction) est nécessaire, et même indispensable aux deux » (n° 29).
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Bibliographie illustrée d'Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi